Censure: la loi Avia ou comment contourner le judiciaire
Laetitia Avia et Mounir Mahjoubi (LREM) à l’Assemblée Nationale le 19 novembre 2019. © Stephane ALLAMAN/ SIPA
Pourtant torpillé par la commission européenne, très justement annulé par le Sénat, le dispositif phare de la loi Avia a été réintroduit par la commission des Lois de l’Assemblée nationale et a été adopté ce mercredi par les députés en deuxième lecture.
L’échec d’une commission mixte paritaire destinée à mettre les deux chambres d’accord sur un même texte, le 8 janvier dernier, a ouvert la voie à la commission des Lois de l’Assemblée nationale et à la réintroduction d’un dispositif liberticide, à savoir la création d’un délit sur mesure pour les plateformes internet (Facebook, Google etc.) en cas de non-retrait de contenus considérés comme étant « manifestement illicites » et signalés comme tels.
La commission des lois de l’Assemblée nationale a de nouveau ouvert la boîte de Pandore au motif que « les magistrats ne pourront pas examiner a priori tous les contenus qui déferlent sur la toile du fait de leur viralité » et donc qu’il faut « rétablir l’idée de supprimer au plus vite les contenus haineux sans attendre le juge ».
On ne pouvait être plus clair, le législateur nous indique sans ambiguïté que c’est l’autorité judiciaire (rappelons que dans une démocratie digne de ce nom, c’est elle qui est gardienne des libertés) qu’il convient de contourner. Plus de pouvoirs aux plateformes et toujours moins à la Justice. Voici le cœur de la loi Avia.
Si la rapporteure du texte avait promis une rédaction allégée, une définition revue des contenus haineux, une référence précise aux infractions, une prise en compte des moteurs de recherche ou encore une précision du caractère intentionnel du délit, il n’en demeure pas moins que le texte qui s’apprête à être voté conserve son architecture d’ensemble et ses deux vices originels.
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Un objectif louable, une définition imprécise
Destinée, selon son exposé des motifs, à mettre un terme à des propos rappelant « les heures les plus sombres de notre histoire » (mais de quelles heures exactement, la Saint Barthélémy, Waterloo ?), le texte n’apporte aucune précision relative aux contenus précisément visés.
Interviewée par BFM Business, Laetitia Avia se complaisait une fois encore à réciter la litanie des mots en phobe et à rappeler qu’il fallait lutter contre les injures à l’endroit de la race. C’était bien la peine de nous avoir pourtant rebattu les oreilles sur le fait que les races n’existaient pas et qu’il fallait les retirer de notre droit…
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La rapporteure du texte rappelle que ce qui est visé, c’est le champ de la dignité humaine. Objectif louable, mais définition imprécise. Pour la petite histoire, rappelons que, dans une affaire relative à un lancer de nain, le Conseil d’Etat avait posé ce principe de dignité humaine dans un arrêt célèbre de 1995, connu de tous les étudiants en droit, en donnant aux autorités de police une base légale pour interdire tout spectacle portant atteinte à la dignité humaine.
25 ans plus tard, on peut vraiment douter de l’efficacité en droit d’un tel principe. Personne ne peut affirmer que le nombre et la fréquence des distractions douteuses a vraiment disparu et, comme le soulignait très justement le regretté Guy Carcassonne en 2013, « le principe de dignité de la personne humaine inquiète plus qu’il ne sauvegarde ».
Mobiliser un tel principe, c’est nécessairement confier à celui qui en a la charge de se livrer à une interprétation particulièrement subjective des propos qui lui sont soumis et de donner à la proposition de loi un champ d’application particulièrement fluctuant.
On pourra également s’étonner que le texte se borne à se limiter au champ de ce qui est convenu d’appeler le « politiquement correct », c’est-à-dire aux propos visant des groupes prétendument minoritaires, alors que le bien commun (la France, la République, la justice, la démocratie) ne figure pas dans le champ d’application du texte.
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Une mise en œuvre douteuse et aléatoire
C’est donc clairement aux plateformes qu’il conviendra de procéder à l’interprétation des contenus et à déterminer s’ils s’avèrent ou non être une infraction. C’est donc à des opérateurs privés, soumis à des intérêts privés, qu’il conviendra d’appliquer la loi française. Curieuse conception de la démocratie que nous offre la loi Avia.
Un délit sur mesure a spécialement été créé pour eux en cas de non retrait dans les 24 heures du signalement.
Pour tenir un délai aussi bref avec un champ d’application aussi flou, les plateformes n’auront d’autre possibilité que de mettre en œuvre des méthodes de filtrage automatique des contenus et de privilégier, en cas de doute, la censure à l’expression. Autrement dit, le doute bénéficiera à l’accusation.
Lorsque l’on est opposant à ce texte, on ne peut que regretter d’être systématiquement renvoyé aux « heures les plus sombres de notre histoire » et que les années 30 soient encore et toujours convoquées dans le débat par les défenseurs du texte qui s’autoproclament résistants face à un péril fasciste imaginaire.
Le Conseil national des barreaux, le Conseil national du numérique, la Fondation Internet Nouvelle Génération, Internet sans frontières, la Quadrature du Net, la ligue des droits de l’Homme ou encore le syndicat des avocats de France (on ne peut pas les suspecter d’être des méchants d’extrême droite) ont adressé une lettre ouverte à la Garde des Sceaux faisant unanimement part de la dérive prise par la proposition de loi Avia et des risques graves qu’elle fait peser sur la liberté d’expression.
On pourra regretter fortement que les soutiens du texte persistent à entretenir un amalgame entre la nécessité du texte et sa proportionnalité. Il est sans doute nécessaire de lutter contre la haine, la méthode proposée n’est en revanche absolument pas proportionnée.
La loi Avia n’est rien d’autre qu’une loi liberticide, dogmatique, portée au mieux par idéologie, au pire par clientélisme.
Source : Causeur
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