Castaner sur la Pitié-Salpêtrière : « Je n’aurais pas dû employer le terme “attaque” »
Edouard Philippe a renouvelé sa confiance à son ministre de l’intérieur, accusé par l’opposition d’avoir « menti » après l’intrusion de manifestants dans l’hôpital parisien le 1er-Mai.
Mercredi 1er mai. Il est 20 h 18, indique l’horloge de BFM-TV. Christophe Castaner prend la parole face aux caméras et micros réunis devant l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, dans le 13e arrondissement de Paris. La traditionnelle manifestation syndicale, à laquelle se sont joints « gilets jaunes » et black blocs, finit de se disperser. Flanqué de son secrétaire d’Etat, Laurent Nunez, et du préfet de police de Paris, Didier Lallement, le ministre de l’intérieur dénonce l’intrusion, quelques heures plus tôt, de manifestants dans l’enceinte de l’établissement.
« Des gens ont attaqué un hôpital, lance M. Castaner. Des infirmières ont dû préserver le service de réanimation, nos forces de l’ordre sont immédiatement intervenues pour sauver le service de réanimation. » Environ une heure plus tard, le ministre publie un message destiné aux 190 000 abonnés de son compte Twitter :
« Ici, à la Pitié-Salpêtrière, on a attaqué un hôpital. On a agressé son personnel soignant. Et on a blessé un policier mobilisé pour le protéger. »
« Je n’aurais pas dû employer le terme “attaque” »
Sur quels éléments se fonde-t-il pour parler d’« attaque » ou d’« agression » ? Le lendemain matin, en tout cas, sa collègue ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, ne reprend pas ces termes à son compte et parle plutôt d’« exaction », « inqualifiable » et « indigne » à ses yeux. « Il y a peut-être des personnes qui ont voulu se réfugier, d’autres qui ont voulu commettre des vols. Les circonstances seront plus claires quand les personnes auront été interrogées », estime la ministre, au micro d’Europe 1. « Les soignants étaient sous tension, c’est un endroit stratégique pour un hôpital, un service de réanimation. Après, il n’y a pas eu de violences ou d’agressions », relève-t-on dans l’entourage de Mme Buzyn.
Vendredi matin, Christophe Castaner lui-même a reconnu lors d’une conférence de presse : « Je n’aurais pas dû employer le terme “attaque” », mais plutôt celui « d’intrusion violente », évoqué devant lui par des responsables de l’hôpital parisien, dont le personnel était « choqué », et qui est « plus adapté » aux faits. « Accepter de revenir sur ses mots, ça ne me pose aucun problème, a-t-il poursuivi. C’est naturel aussi qu’un homme politique soit un homme qui (…) puisse se dire qu’une situation a évolué. » Pour autant, le ministre de l’intérieur a estimé que « cet incident, au lieu d’être nié dans une polémique absurde, devrait tous nous émouvoir ».
En début d’après-midi, le directeur de l’AP-HP, Martin Hirsch, a par ailleurs souhaité préciser, dans un courriel envoyé à tous les personnels de l’établissement, que ni lui ni la ministre de la santé n’avaient employé le mot « attaque » pour qualifier les événements :
« Nous avons parlé de “tentative d’intrusion”, ce qui est exact. Je n’ai jamais évoqué de “personnel agressé”, dans aucune déclaration. Et, de même, à la question qui m’a été posée sur le fait de savoir s’il y avait eu des dégradations, j’ai toujours répondu que non. Il m’a été également demandé s’il y avait un lien entre l’intrusion et la recherche d’un policier blessé. J’ai répondu que ce n’était pas le cas et qu’il n’y avait rien qui le laissait penser. »
Et Martin Hirsch d’ajouter : « Que certains rappellent que nous sommes exclusivement au service de la santé et des patients et non pas au service d’un quelconque autre intérêt ne me choque absolument pas. Je le partage. »
De fait, les différents témoignages et vidéos diffusés tout au long de la journée sur les réseaux sociaux, que ce soit par des manifestants ou des membres du personnel de la Pitié-Salpêtrière, ont battu en brèche le scénario d’une attaque caractérisée. Certes, une grille d’entrée a bien été forcée. Mais les manifestants – 32 personnes ont été placées en garde en vue, mercredi, puis libérées jeudi – semblaient chercher à se replier de manière chaotique pour échapper aux charges de la police.
« Inacceptable »
Il n’en fallait pas plus pour que l’opposition cible Christophe Castaner. Le président des sénateurs socialistes, Patrick Kanner, a annoncé sur Twitter son intention de solliciter la convocation du ministre devant la commission des lois du Sénat.
Son homologue à l’Assemblée nationale, Valérie Rabault, demande elle aussi l’audition de M. Castaner devant la commission des lois de l’Assemblée, estimant « nécessaire » que le ministre s’explique sur ses déclarations. Les parlementaires communistes ont fait les mêmes demandes et souhaitent également « la création d’une commission d’enquête parlementaire pour que toute la lumière soit faite sur les événements du 1er-Mai ».
« Il y a un an : les mensonges de Benalla. Cette année : le mensonge de Castaner sur la pseudo-attaque de la Pitié-Salpêtrière. La vérité, première victime des hommes de main de Macron », a déclaré jeudi Jean-Luc Mélenchon, chef de file de La France insoumise (LFI). « Christophe Castaner attise la violence. C’est inacceptable », a dénoncé de son côté Yannick Jadot, tête de liste d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) aux élections européennes, évoquant « des personnes qui cherchent refuge ». A Beauvau, on assume les déclarations du ministre :
« Les faits sont là. L’enceinte de l’hôpital a été forcée, des individus ont tenté de s’introduire dans un service de réanimation. C’est un incident très grave. Il est navrant de constater qu’au lieu de condamner clairement ces faits inadmissibles certains préfèrent jouer sur les mots pour entretenir une polémique indigne. »
Du côté de la majorité, un front semble se former autour du ministre, malgré la tourmente. « Il y a un émoi légitime, un hôpital, c’est une enceinte sacrée de la République », affirme de son côté Benjamin Griveaux, député (La République en marche) de Paris. « Quand on défonce une grille d’hôpital, c’est une attaque grave, abonde son collègue (LRM) parisien Mounir Mahjoubi. Que des manifestants se soient glissés après pour se protéger, peut-être. » Vendredi après-midi, le premier ministre, Edouard Philippe, a renouvelé sa confiance à Christophe Castaner :
« S’agissant des polémiques qui ont agité le monde médiatico-politique pendant les vingt-quatre dernières heures, je crois savoir que le ministre de l’intérieur a corrigé son propos. Il a sans doute eu raison de le faire en choisissant le terme qu’il a utilisé. Et je n’ai pas d’autres commentaires à faire sinon qu’il a évidemment, et comme depuis le début, toute ma confiance. »
Interventions mises en scène
Il n’empêche, les propos du ministre lui reviennent aujourd’hui tel un boomerang. Et pas seulement du côté gauche. « Le ministre de l’intérieur doit cesser de mettre de l’huile sur le feu et doit maintenant s’expliquer sur ses déclarations démenties par les faits », a tweeté Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains au Sénat. « Le vrai problème n’est pas que M. Castaner emploie un mot ou un autre, mais qu’il n’ait toujours pas compris que le rôle du ministre de l’intérieur n’est pas de commenter et de publier hâtivement des photos sur Twitter, mais de diriger vraiment la Place Beauvau », cingle Guillaume Larrivé, député (LR) de l’Yonne.
« Le ministre de l’intérieur doit cesser de mettre de l’huile sur le feu et doit maintenant s’expliquer sur ses déclarations démenties par les faits », a tweeté Bruno Retailleau
Ce n’est pas la première fois que la stratégie de communication de M. Castaner est critiquée. Très réactif et friand des interventions mises en scène face caméra, principalement destinées aux chaînes d’information en continu, le ministre de l’intérieur a pris l’habitude de réagir à chaud après chaque événement lié aux « gilets jaunes ». La décision de se rendre à la Pitié-Salpêtrière a d’ailleurs été prise en fin d’après-midi, mercredi, immédiatement après les premières recensions de l’incident. Un CRS blessé au visage, auquel Christophe Castaner souhaitait rendre visite, avait par ailleurs été évacué dans le même hôpital.
En amont de ce 1er-Mai, la Place Beauvau avait opté pour une stratégie de la tension en avertissant très largement sur les risques de débordements, quitte à surévaluer le nombre de militants radicaux finalement présents dans le cortège. A la fin de la journée, la communication devait principalement être axée sur la « réussite » globale des opérations de maintien de l’ordre. Un répit pour les autorités largement mises en cause dans ce domaine depuis le début de la mobilisation des « gilets jaunes ». Las, la sortie intempestive du ministre, démentie par les nombreuses vidéos, a achevé de gâcher une « séquence » politique qui s’annonçait pourtant à son avantage.
Source : Le Monde
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