Bénir des « couples » homosexuels : Lettre de Jean Marie Guenois

Journaliste au Figaro, rédacteur en chef, spécialiste des questions religieuses, journalist, religious affairs editor

Chères lectrices et chers lecteurs,

L’Église catholique plonge dans le tumulte. Depuis le 18 décembre 2023 la possibilité ouverte par Rome de bénir des « couples » homosexuels a déclenché une crise inédite. Des épiscopats entiers refusent d’appliquer ce que demande le pape tandis que d’autres conférences épiscopales disent oui à Rome.

La communauté catholique, souvent divisée se voit déchirée. Le malaise s’enracine sur le fond de la décision mais il porte également sur le pape qui l’a voulue.

Le cardinal Fernandez, son ami théologien argentin que François a nommé au poste de préfet du dicastère de la doctrine de la foi en juillet 2023, auteur de la « Déclaration », a cherché à éteindre l’incendie le 4 janvier. Il a donné à chaque évêque la liberté ou non, de procéder à ces bénédictions, ce qui a déminé le sujet mais en récusant toute discussion et en exigeant l’obéissance, il a encore aiguisé les tensions.

Il a notamment argumenté ce recul par la criminalisation de l’homosexualité dans certains pays qui mettrait en péril les couples demandeurs de bénédiction. Il a d’ailleurs encouragé les évêques concernés à se battre pour la reconnaissance de la «dignité» des personnes homosexuelles en cause.

Sur le fond, en revanche, il a été formel : «Il est clair qu’il n’y aurait pas de place pour se distancer doctrinalement de cette Déclaration ou pour la considérer comme hérétique, contraire à la Tradition de l’Église ou blasphématoire

Si « l’attention à la culture locale» pourrait «admettre différentes modalités d’application», elle ne pourrait en aucun cas mener à «une négation totale ou définitive de ce chemin proposé aux prêtres.» Ce sujet devant être traité «hors de toute idéologie».

Cela n’a pas empêché, le 11 janvier, les évêques d’Afrique de confirmer collectivement leur refus de ces bénédictions. Ils se sont fondés sur l’enseignement de l’Église et non sur les catégories définies par Fernandez. Ils ont aussi réaffirmé leur « communion » avec le pape.

Contre toute attente François, le 14 janvier, dans une émission à la télévision italienne a reconnu son « isolement » sur ce dossier. Il a toutefois justifié sa décision d’ouvrir la bénédiction de l’Église à « tous ». Pas question pour le pape de renoncer à cette ouverture.

Ce sujet est sensible car il touche des personnes homosexuelles respectables avant tout. Le débat cristallise des facteurs multiples en cette fin de pontificat; François a 87 ans. Il intervient entre les deux tours du synode sur l’avenir de l’Église. La session d’octobre 2023 est passée, celle d’octobre 2024 promet. Cette dissension d’une partie de l’épiscopat face à Rome a déjà marqué l’histoire de ce pontificat, laissant un goût amer à beaucoup.

Pour autant cette crise ne peut être assimilée à une révolte de palais et à son risque de sédition vis-à-vis du souverain pontife. Elle n’est pas strictement dogmatique puisque le cardinal Fernandez insiste pour distinguer nettement ces bénédictions de la doctrine du mariage catholique. Elle n’est pas non plus une crise d’identité. Il faudrait plutôt chercher du côté d’une « crise de civilisation ».

En quel sens ? Fondée sur les récits évangéliques et bibliques, l’Église catholique défend une vision de la société dont le noyau est l’union exclusive d’un homme et d’une femme, appelés à devenir des parents. L’Église admet et ajoute désormais officiellement à sa vision sociétale, un autre modèle possible de couple, le duo homosexuel. Elle le reconnaît par une bénédiction, certes informelle, mais clairement définie et encadrée par un document émanant de la plus haute autorité théologique de l’Église romaine.

L’Église, avait jusque-là évité d’affronter le sujet en répétant l’enseignement du catéchisme de l’Église catholique : respect des personnes homosexuelles, condamnation de l’acte.

De plus, le pape François impose ce sujet en tant que pasteur et s’en fait le porteur principal du projet. D’où le traumatisme ressenti. Si beaucoup se félicitent de cette « avancée », d’autres ne comprennent pas. Ils le disent à haute voix cette fois et ce ne sont pas les habituels contestataires qui parlent.

Ainsi des religieux dominicains. Ils viennent de consacrer dans la très sérieuse «la revue thomiste» deux articles de fond. Après ce premier mois polémique, ces contributions permettent d’entrer dans un débat plus argumenté.

Le premier article porte sur le «sensus fidei», ce «sens de la foi», sentiment populaire des catholiques de base qui mesurent d’instinct, ce qui est de Dieu et ce qui ne le serait pas. Le pape François qualifie souvent le «sensus fidei» «d’infaillible». Cette revue explique pourquoi les fidèles ressentent une forme de malaise avec Fiducia Supplicans.

Voici ce que le frère Emmanuel Perrier écrit dans l’introduction d’un article d’une grande pertinence : « Nous ne pouvons qu’être alarmés du trouble dans le peuple chrétien suscité par un texte venant de l’entourage du Saint-Père. Il est insupportable de voir des fidèles du Christ perdre confiance dans la parole du pasteur universel, de voir des prêtres déchirés entre leur attachement filial et les conséquences pratiques auxquelles ce texte leur imposera de faire face, de voir des évêques se diviser. Ce phénomène de grande ampleur auquel nous assistons indique une réaction du sensus fidei. »

L’autre article est signé par le Frère Thomas Michelet, qui enseigne à l’Angelicum à Rome, l’université dominicaine. Son titre est aussi court «Peut-on bénir ’fiducia supplicans’ ?» que son développement est détaillé puisqu’il passe au crible tous les arguments de Fiducia Supplicans en faisant la part des choses.

Il pose toutefois cette question que nous retrouverons à la fin de cette lettre : «L’époque fait primer les droits individuels sur le bien commun, ce qui à terme est ruineux pour toute société fût-elle ecclésiale. Peut-on sauver à tout prix la brebis perdue au point de perdre les quatre-vingt-dix-neuf autres ainsi délaissées ?»

Dans le même temps, et pour donner une idée du chaos catholique ambiant le cardinal Mauro Gambetti, très proche de François, qui l’a chargé de la gestion de la basilique Saint-Pierre, confirmait le 11 janvier, lors d’une conférence de presse au Vatican, la disponibilité des prêtres de «Saint-Pierre», comme l’on dit à Rome, d’accueillir dans ce saint des saints catholique, des bénédictions de couples homosexuels mais que «personne ne s’était encore présenté».

Je vous propose de décrypter ce qui s’est passé pour comprendre le pourquoi de la décision du pape, ses enjeux mais aussi la gravité de cette crise.

Avant d’entrer dans le détail, je vous remercie de votre fidélité à cette lettre «Dieu seul le sait » que j’espère beaucoup plus régulière en cette année 2024 au seuil de laquelle je vous adresse mes vœux les plus chaleureux.

De quoi parle-t-on exactement ?

Le cardinal jésuite Luis F. Ladaria. TONY GENTILE / REUTERS

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