Bataclan : pourquoi la police et l’armée n’ont pas pu intervenir ensemble
Les militaires présents aux abords du Bataclan après l’irruption des djihadistes n’ont pas reçu l’autorisation d’intervenir, d’après les enregistrements d’échanges radio que « l’Obs » a pu consulter.
C’est le genre de conversation que personne ne souhaite relire à l’avenir. Elle se déroule le soir du 13 novembre, à 22h22, sur les ondes de la radio réservées aux policiers chargés de surveiller l’agglomération parisienne. L’un des interlocuteurs est un agent de la la brigade anti-criminalité (BAC) arrivés parmi les premiers devant le Bataclan juste après le début de la tuerie. Un autre fonctionnaire, un commissaire qui passait devant la salle de spectacle en voiture, est déjà là et a pris l’initiative d’y rentrer, arme au poing, et d’ouvrir le feu sur un terroriste qu’il a tué. Mais le policier qui parle à la radio ne peut que sécuriser les abords de la salle de concert, son équipement et son arme ne lui permettent pas de rentrer.
Seulement, ce soir-là, le carnage ne se déroule pas seulement à l’intérieur : dehors, des victimes, parfois blessées, tentent péniblement de s’échapper par une sortie de secours donnant dans le passage Saint-Pierre Amelot, derrière le Bataclan. Le policier est l’un de ceux qui assistent à ce spectacle insupportable, filmé par certains riverains et notamment par un journaliste du « Monde ». D’après les retranscriptions que « l’Obs » a pu consulter, il les signale à sa hiérarchie :
« Deux victimes se trouvent dans le passage Saint-Pierre Amelot […], il est impossible d’aller les chercher. »
A cette heure-là, l’un des deux terroristes toujours vivants tire avec sa kalachnikov vers les forces de l’ordre postées dehors. Les hommes de la BAC ne sont pas équipés pour riposter, et encore moins pour couvrir un de leurs collègues et lui permettre d’aller chercher des victimes.
A la radio, le policier demande donc à l’état-major de la Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP) si les « militaires porteurs de Famas » de la force Sentinelle présents à ses côtés sont « autorisés à engager » [à « tirer », NDLR]. Les militaires sont au nombre de 8. Eux aussi se sont arrêtés devant le Bataclan en entendant la fusillade, alors qu’ils allaient relayer une équipe chargée de surveiller des bâtiments situés non loin de là.
« Bah, passe-moi ton Famas »
La consigne donnée par radio au policier est claire : le chef « répond par la négative et précise que les militaires ne sont qu’en assistance, ils ne peuvent pas intervenir ». Fin de la conversation. A 22h28, l’état-major demande si les policiers font toujours l’objet de tirs. Un policier de la BAC répond par la négative mais signale :
« Un individu […] au niveau de la porte qui donne sur le passage et qui nous attire vers la porte où il y a les blessés et il attend juste qu’on passe pour pouvoir nous rafaler. […] Avec les moyens qu’on a d’armement et de protection, on ne peut pas aller chercher les victimes. »
Les militaires n’ont toujours pas le feu vert pour tirer. Les victimes ne seront secourues que plus tard, sans l’aide de l’armée.
Le soir du 13 novembre, les militaires de la force Sentinelle présents aux abords du Bataclan n’ont donc pas reçu l’autorisation d’intervenir, alors que le contexte aurait pu l’exiger, comme le montrent ces bribes de conversation. Un autre épisode avait déjà illustré le manque de coordination entre police et armée le soir des attentats de Paris.
D’après le témoignage livré par un représentant syndical policier, un agent de la BAC présent devant le Bataclan aurait demandé à un militaire de l’accompagner pour pénétrer dans la salle de concert. « Le détachement Sentinelle a dit : ‘Non j’ai pas d’ordre pour bouger' », avait raconté Jean-Luc Taltavull, secrétaire général adjoint du Syndicat des commissaires de la police nationale devant la commission d’enquête parlementaire créée après les attentats.
« Alors le policier lui a dit : ‘Bah, passe-moi ton Famas.’ Le militaire a refusé de se séparer de son arme. »
Une doctrine très stricte
Comment expliquer l’absence d’une intervention commune, alors que la situation aurait pu s’y prêter le 13 novembre ? La « doctrine » qui encadre l’action des militaires sur le sol français est très stricte. Elle prévoit notamment que les militaires ne peuvent agir dans l’Hexagone que sous l’autorité policière. Par ailleurs, aucune unité mixte, composée à la fois de policiers et de militaires, ne peut passer à l’action ensemble. Il était donc impensable, pour les huit militaires de la force Sentinelle présents ce soir-là dans le 11e arrondissement de Paris, de pénétrer dans le Bataclan avant les hommes de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) ou encore à leurs côtés.
« Dans le cas du Bataclan, leur rôle était d’établir un périmètre de sécurité aux abords de la salle de concert pour permettre aux unités d’intervention de se mettre en place », explique une source policière parisienne, qui insiste sur la formation spécifique reçue par les deux forces d’intervention de la police (Raid et BRI) et de la gendarmerie (GIGN). Sur ordre de la hiérarchie policière, la priorité des militaires ce soir-là était donc de tenir ce périmètre avec les policiers de la BAC.
Concernant leur marge de manœuvre dans le passage Amelot pour aider les policiers à secourir les victimes, la « doctrine » est beaucoup moins claire. Ils auraient pu ce soir-là avoir l’autorisation de tirer contre les terroristes retranchés… « Il est toujours facile de juger a posteriori », indique une source policière parisienne :
« Quelques minutes avant ces échanges radio, les terroristes avaient fait feu sur les policiers. La situation n’était pas clairement connue. Les primo-intervenants doivent tenir le périmètre, figer la situation, s’ils sont tués ou blessés, ils ne peuvent plus aider personne. »
Un nouveau texte en préparation
Contactée par « l’Obs », l’armée a indiqué à ne pas avoir eu connaissance de ces deux « épisodes. » Ils ne sont relatés dans aucun compte-rendu des militaires présents ce soir-là. « Les militaires ont rempli parfaitement les missions qui leur avaient été attribuées par l’autorité policière », indique une source proche du gouverneur militaire de Paris.
« Il y a eu une vraie mission accomplie par les militaires en appui des forces de sécurité intérieure. Sur d’autres sites, des militaires ont porté secours à des blessés. »
La doctrine doit malgré tout être améliorée. La preuve, la rédaction d’un nouveau texte concernant les « dispositions devant s’appliquer en cas d’événements graves » est en cours, pour mieux encadrer notamment la coopération entre policiers et militaires en cas de nouvelle tuerie de masse.
Plusieurs moutures ont été écrites, mais aucune n’est pour le moment définitive. Que prévoit ce texte ? « Secret-défense », rétorque-t-on au ministère de la Défense. « Le but est de mieux se coordonner, de travailler étroitement avec les militaires, c’est indispensable, se contente d’indiquer la hiérarchie policière. Nous avons fait des retours d’expérience sur le 13 novembre et nous continuerons à évoluer. » Un responsable policier souligne pourtant l’existence de nombreux blocages.
« Les autorités craignent évidemment des dommages collatéraux. En clair, ils ont peur que les militaires fassent n’importe quoi si leur marge de manœuvre est augmentée. »
Ce risque n’est pas souligné uniquement par les politiques. L’avocat Thibault de Montbrial, président du centre de réflexion sur la sécurité intérieure, entendu par les députés sur l’emploi des forces armées sur le territoire national, le reconnaît. Lui qui ne cesse de dénoncer la faiblesse de l’Etat face cette « guerre » menée par les terroristes a pourtant indiqué :
« On ne peut pas ne pas craindre une surréaction en cas d’incident. »
Depuis les attentats, le ministère de l’Intérieur a d’ailleurs préféré améliorer les équipements des BAC et des Pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG), qui sont souvent les premiers à arriver sur les lieux. Dix-sept millions d’euros ont été dépensés pour leur fournir des pistolets-mitrailleurs, des nouveaux gilets pare-balles, des équipements de protection plus performants…
Des mesures insuffisantes pour le Syndicat des commissaires de la police nationale. « Nous préconisons plutôt une doctrine qui assume que dans certains cas très particuliers, isolés, les militaires et les forces de police puissent travailler ensemble, pour intervenir ou pour fixer un terroriste par exemple », indique Jean-Luc Taltavull.
Qu’en pense le ministère de la Défense ? Le ministre Jean-Yves Le Drian doit être convoqué au mois de mai devant la commission d’enquête parlementaire consacrée aux moyens donnés par l’Etat à la lutte contre le terrorisme. Il devrait être interrogé à ce sujet.
Violette Lazard
Source : L’Obs
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