Aujourd’hui deux articles à votre attention, par le général Dominique Delawarde
Bonjour à tous,
Aujourd’hui deux articles à votre attention,
– Un article de Caroline Galactéros, présidente de Géopragma, qu’on ne présente plus, paru le 7 octobre dans « le Courrier des Stratèges » sous le titre: « Ukraine : qui sont les véritables « Munichois » ?
Un court commentaire (1 page), de votre serviteur DD sur la réflexion d’un blogueur russe sous le titre:
Et si l’objectifrusse n’était pas de vaincre l’Ukraine mais de vaincre l’Occident.
Bonnes lectures et à chacun de se forger son opinion, bien sûr.
Général Dominique Delawarde
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Ukraine : qui sont les véritables « Munichois » ? par Caroline Galacteros
« A quelque chose malheur est bon ». Le conflit ukrainien a permis de lâcher les chiens. Depuis huit mois, la meute des néo-conservateurs bellicistes européens qui peuplent médias et think tanks français fond sur tout individu osant appeler à la raison pour stopper l’escalade militaire qui met l’Europe (et non l’Amérique) en danger vital. Le téméraire est immédiatement traité de « munichois », injure suprême, synonyme de pacifisme pleutre. Le Pape François, qui vient d’appeler la Russie mais aussi l’Ukraine à cesser le feu est-il munichois ? La guerre jusqu’au dernier Ukrainien est-elle inévitable pour ne pas perdre son âme ? Le prix en est-il le plongeon de nos peuples et États dans une crise économique, financière et sociale gravissime qui affaiblira la France et l’Europe entière, les plaçant sous la dépendance définitive du maitre américain ? Soyons sérieux !
« Le gouvernement avait le choix entre la guerre et le déshonneur ; il a choisi le déshonneur et il aura la guerre » avait lancé en 1938 Winston Churchill à Neuville Chamberlain de retour de Munich où ce dernier et Daladier avaient abandonné les Sudètes à Hitler, croyant ainsi échapper à la guerre. Il n’y a aucun rapport avec l’Ukraine. Vladimir Poutine n’est pas Hitler. Il n’est pas fou non plus. Il considère juste qu’il a trop longtemps laissé grignoter son glacis sécuritaire et que la présence de l’OTAN à sa frontière est une menace existentielle pour la Russie et son peuple.
Nous formons depuis 2015, via l’OTAN, les forces ukrainiennes pour bouter la Russie hors d’Europe et la couper de l’Allemagne. Depuis le 24 février, nous inondons Kiev d’armements et sommes devenus cobelligérants de fait. Nous sommes déjà en guerre contre la Russie et pour le compte de l’Amérique ; simplement nous ne le disons pas pour ne pas devoir demander leur avis à nos peuples, et nous faisons cette guerre par Ukrainiens interposés et à leurs dépens ultimes, comme semble commencer à le comprendre le président Zelenski qui craint que Washington ne le lâche et implore désormais l’OTAN de risquer rien moins qu’une guerre nucléaire pour sauver sa peau et pas celle de son peuple. Heureusement, J. Stoltenberg n’est pas fou non plus… Personne en Europe ou aux Etats-Unis n’entend mourir pour le Donbass. En revanche, sacrifier les Ukrainiens en les armant sans cesse pour espérer épuiser la Russie et la mettre à terre économiquement et stratégiquement…
Contrairement à ce que dit E. Macron, « le prix de la liberté » – le massacre de l’économie européenne – ne sauvera pas la « démocratie » ukrainienne. Ce sera la guerre directe si rien n’est fait pour casser l’engrenage et restabiliser la sécurité européenne, ce qui est illusoire sans la Russie. Ceux qui poussent à la roue prolongent les souffrances du peuple ukrainien et ne défendent aucunement les « valeurs » européennes. L’Europe a été pensée contre la guerre. Ils la défigurent. Cette rhétorique masque leur allégeance à un hégémonisme occidental discrédité qui croit encore pouvoir se rétablir sur le dos de la Russie. Les vrais Munichois sont ceux qui condamnent aujourd’hui l’Europe au déclassement stratégique, à l’aventurisme militaire et à la soumission, non à la Russie mais aux Etats-Unis. Les stratèges de plateaux, stipendiés ou juste vaniteux, portent une responsabilité lourde en véhiculant d’énormes mensonges sur la réalité des combats, des forces et des pertes. La désinformation fait rage dans chaque camp. La guerre va se poursuivre et l’Ukraine est mal partie. Toute la propagande et les mensonges du monde n’y changeront rien.
Le discours du président russe du 30 septembre a marqué un tournant dont nous n’avons pas à nous réjouir. Il a exprimé son rejet durable de l’Europe et de « l’Occident collectif » pour des raisons sécuritaires et existentielles, mais aussi culturelles et spirituelles. Poussé par la surenchère otanienne qui le met en danger au plan intérieur face à des courants qui n’ont pas gouté sa « retenue » durant les premiers mois du conflit et demandent un engagement de forces décisif, il vient de s’y résoudre, et ce n’est pas une bonne nouvelle. Après une probable pause opérationnelle russe, on peut craindre une phase plus violente avec destruction des infrastructures civiles et bombardements lourds. Mais les Munichois s’en moquent.
Avec le sabotage de North Stream 1 et 2, l’Amérique (qui d’autre ?) vient carrément de couper le gaz à l’Europe et de décider de la marginalisation de l’Allemagne au profit de la Pologne ! C’est un acte de guerre de la part de notre protecteur chéri. Donc, nous faisons mine de l’ignorer, comme la chute de l’euro et la mise en panne imminente de l’industrie allemande qui préfigure notre propre affaissement économique. Le chancelier Scholz n’était pas assez docile, il rechignait à livrer des chars de combat modernes à Kiev ? L’Empire ne tolère aucune indépendance de ses vassaux, même verbale. Les gazoducs sont coupés, le « Baltic pipe » qui relie la Norvège à la Pologne, ennemie héréditaire de l’Allemagne, est entré en service. Varsovie jubile et Berlin va payer par une lourde crise sa faute géostratégique majeure consistant à obéir à Washington en renonçant à l’énergie bon marché russe. Les Etats-Unis eux, voient s’éloigner leur terreur géopolitique cardinale – l’alliance germano-russe- et imposent leur mainmise énergétique durable sur l’Europe. Quand on pense que d’aucuns chantent « la souveraineté européenne » …
Les Munichois sont en fait ceux qui ne disent rien, qui n’ont jamais rien dit d’ailleurs, qui n’osent ni défendre nos intérêts nationaux ni même ceux de l’Europe que l’on vient très brutalement de remettre à leur place. Marginale. Nos « élites » ne pensent plus le réel, encore moins la dimension nationale comme pertinente. Le long processus de dévalorisation et d’affaissement des États, engagé dès les années 90, nous coupe de tout instinct de survie. C’est ça l’esprit de Munich. C’est donc le prix de la guerre que nous commençons déjà à payer. Les Ukrainiens dans le sang, les Européens dans le froid et la décroissance. Pour l’instant. Il devient inadmissible que nos dirigeants, somnambules indifférents, nous entrainent dans un tel marasme sans devoir en rendre compte à leurs mandants. Il est grand temps que les Français soient consultés sur cette guerre qui ne dit pas son nom et met leur survie en jeu.
Cet affrontement est une impasse militaire. Il faut arrêter le massacre et rétablir le dialogue. La sécurité et la prospérité de l’Europe n’en valent-elles pas la peine ? La France peut encore et doit porter une telle initiative. Elle sortirait peut-être ainsi du mépris croissant dans lequel la Russie mais aussi la Chine, comme une partie de l’Afrique et de l’Amérique latine, la tiennent désormais. Échapper au déshonneur et stopper la guerre n’est pas être munichois, c’est juste recouvrer la raison et défendre l’intérêt de notre peuple et de la France.
Source : Le Courrier des Stratèges
Et si l’objectifrusse n’était pas de vaincre l’Ukraine mais de vaincre l’Occident.
Et si l’objectif russe n’était pas de vaincre l’Ukraine(il ne s’agirait que d’une tâche secondaire),
mais de vaincre l’Occident.
DD le 8 octobre 2022
Comme tout observateur intéressé par l’opération spéciale en Ukraine, je me suis interrogé à de multiples reprises sur le comportement général de l’Armée Russe, sur sa retenue, sur ses actions ou parfois son inaction, sur la placidité et le calme affichés par la gouvernance russe face à l’hystérie des gouvernances et des médias des pays membres de l’OTAN.
J’ai donc cherché de nouvelles clefs pour tenter de comprendre les événements et leur donner du sens. Le texte d’un blogueur russe, m’a interpellé hier parce qu’il correspondait assez bien au cheminement de mes réflexions. Je vous le livre tel quel, ci après, avant d’y ajouter un bref commentaire. Source: https://t.me/actualiteFR/18411
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«Autre tentative de compréhension de l’opération russe en Ukraine, qui replace au centre de la stratégie le but principal : non de changer l’Ukraine seule, mais de faire plier l’OTAN en vue de l’obliger à respecter ses engagements de 1991 (ou 1997) et de la ramener sur les lignes de front de l’époque. J’avais expliqué tout cela entre décembre et février 2021-2022 : https://telegra.ph/Ukraine-%C3%A0-J3-27-f%C3%A9vrier-2022-04-12
« Dès le début de l’opération en Ukraine, j’ai commencé à me poser de nombreuses questions sur ses buts, ses objectifs et son résultat final. Les actions de notre armée et de nos autorités ont clairement indiqué que la Russie ne s’efforçait pas d’achever rapidement l’opération.
Voyez comme c’est étrange :
– Retrait volontaire des troupes près de Kiev ;
– Refus de la prise d’initiative ;
– Arrêt des opérations offensives et passage en défensif ;
– Négociations délibérément dénuées de sens ;
– Étranges échanges de prisonniers ;
– Frappes quasi-exclusivement contre des cibles militaires ;
– Refus catégorique d’endommager les infrastructures stratégiques « civiles » ;
– Référendums organisés à la hâte ;
– Refus d’attaquer les QG et centres de décision ennemis.
Et il existe de nombreuses autres bizarreries qui ne sont pas typiques des actions d’une équipe qui a l’intention de remporter une victoire rapide et décisive [notamment : pas d’attaque contre la DCA, contre les voies d’approvisionnement etc].
Évidemment, l’option la plus simple est de considérer que nos autorités sont des imbéciles. Bien sûr, qu’elles sont capables de mener une guerre normale. Pourquoi ne le font-elles pas ? De longues réflexions m’ont amené à la conclusion suivante :
Si l’on considère que l’opération n’est qu’une des étapes de la lutte contre l’Occident, il s’avère que la Russie n’a vraiment pas besoin d’une victoire rapide et décisive en Ukraine. L’armée est inutile trop en avant. Une défaite rapide et complète de l’Ukraine ne changera rien pour nous en termes géopolitiques. Nous aurons de nouveaux territoires et de nouvelles populations, mais l’alignement géopolitique mondial restera le même. Et nous serons toujours obligés de jouer selon les règles de quelqu’un d’autre, où des sanctions unilatérales nous seront imposées en toute impunité..
L’objectif semble être complètement différent : forcer l’Occident à jeter autant de ressources financières et militaires que possible dans le brasier. Dans la partie d’échecs, une pièce est sacrifiée afin d’attirer un adversaire dans un piège dont il ne pourra plus sortir. Et si nous gardons cet objectif à l’esprit, il devient clair pourquoi les États-Unis ont fait sauter nos gazoducs : sans eux, l’importance des gazoducs ukrainiens augmente considérablement. Il s’agit d’une tentative d’engager davantage les européens dans le conflit.
La seule question est de savoir quand la Russie considérera que l’Occident a été suffisamment ruiné sur son projet ukrainien pour que Moscou mette rapidement fin au conflit et reprenne les discussions avec un adversaire économiquement affaibli. Le but n’est pas de vaincre l’Ukraine (il ne s’agit que d’une tâche secondaire), mais de vaincre l’Occident qui a trop grignoté notre souveraineté (si des sanctions sont décrétées contre nous en toute impunité, alors c’est que nous n’avons pas assez de souveraineté).
L’Ukraine n’est dans ce cas qu’une victime de son propre régime politique, qui s’est permis d’entraîner le pays dans une confrontation entre de grands acteurs géopolitiques. Elle n’est même pas une pièce du jeu d’échec, mais seulement le plateau sur lequel le jeu se joue. »
Tant que la Russie arrive à encaisser les mobilisations, qui n’avaient pas fait partie du marketing de ce conflit en février, qu’elle arrive à reprendre l’initiative de temps en temps, suffisamment pour conserver le gros du conflit à l’intérieur des frontières de l’ex-Ukraine, et qu’elle maintient un ratio de pertes nettement en sa faveur, tout se passera bien.
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Commentaires DD: En 1990, l’Ex-URSS s’est effondrée pour des raisons économiques. L’effondrement a été rapide et ses conséquences ont modifié pour longtemps les équilibres géopolitiques de la planète. La Russie aura mis plus de trente ans à se refaire une santé et à remonter la pente grâce à la détermination d’un homme providentiel, faisant passer les intérêts de son pays avant les siens, et réussissant à remettre sur pied l’économie de la Russie, à lui rendre sa fierté et sa cohésion, et à redonner à ses forces armées les capacités qu’elles avaient perdu.
Du côté occidental, trente années de désinvestissement dans le domaine de la défense pour les pays de l’UE, et de campagnes militaires coûteuses et contre-productives pour les USA ont considérablement détérioré les capacités de l’OTAN, tant sur le plan des effectifs d’active ou de réserve, que sur le plan de l’entraînement à la guerre de haute intensité ou sur celui des matériels majeurs, de leur maintien en condition, de leur disponibilité technique opérationnelle.
Sur le plan économique, les situations de surendettement chronique et sans limite de part et d’autre de l’Atlantique Nord, auxquelles s’ajoutent les coûts de presque trois années de gestion désastreuse de la crise sanitaire ont considérablement affaibli les fondamentaux des grandes économies occidentales à tel point que les signes de l’imminence d’une grande crise économique, financière et sociale se multiplient. Par ailleurs, de part et d’autre de l’Atlantique Nord, les populations des États membres de l’Alliance semblent de plus en plus divisées et réluctantes à sacrifier leur pouvoir d’achat, leur confort et leur niveau de vie pour se lancer dans des aventures guerrières à l’initiative d’une petite élite néoconservatrice et mondialiste US.
Dans le bras de fer OTAN-Russie qui se déroule sur le théâtre ukrainien, il y aura un vainqueur et un vaincu en fin de partie. Et c’est bien le degré de résilience économique et sociale de chacune des parties en conflit qui désignera le vainqueur.
Pour moi, le temps joue aujourd’hui en faveur de la Russie qui n’a donc aucun intérêt à précipiter les choses et qui ne prend d’ailleurs aucune mesure dans ce sens,d’autant que les gestions européenne et US suicidaires de ce conflit, par des sanctions boomerang, risque fort de provoquer, à court terme, un effondrement économique occidental durable tout à fait comparable dans son ampleur et dans ses conséquences à celui que l’ex-URSS a connu en 1990.
Si l’opération spéciale russe avait été menée de manière décisive et rapide avec signature d’un traité de paix en bonne et due forme, avec l’Ukraine, il n’y aurait eu que quelques modifications de frontières et la marche du monde aurait repris comme avant sans aucun changement de règles. Le monde hégémonique USA-UE-OTAN aurait repris très vite l’ascendant et ses mauvaises habitudes de vouloir régenter la planète entière par les menaces et les sanctions.
Si au contraire, après un hiver douloureux, une inflation à deux chiffres entraînant une baisse importante du pouvoir d’achat et du niveau de vie en occident, des faillites d’entreprises et des troubles sociaux qui ne peuvent que s’y multiplier, un effondrement partiel ou total de leur économie, les gouvernances des pays membres de l’OTAN réalisent qu’elles n’ont d’autres choix que d’accepter de nouvelles règles, celles du monde multipolaire tel qu’il se dessine aujourd’hui, alors seulement la Russie aura gagné la partie.
On ne le répétera jamais assez, l’enjeu du bras de fer OTAN-Russie dépasse largement les frontières de l’Ukraine. Pour la Russie et les États qui la soutiennent, il s’agit de neutraliser une fois pour toute l’hégémon « US-OTAN-dollar » et de revoir le fonctionnement des organismes qui lui sont plus ou moins associés et/ou soumis (FMI, OMC, et même ONU).
Pour y parvenir, il faut réussir à provoquer un effondrement partiel ou total des économies occidentales aux conséquences durables, susceptible de contraindre les gouvernances des pays membres de l’OTAN à composer.
Faire durer l’opération en Ukraine pourrait bien être la condition nécessaire et suffisante pour provoquer l’effondrement économique occidental. On comprendrait mieux, alors, l’attentisme d’une Russie qui semble bien prendre son temps …..
Mais il ne s’agit encore, bien sûr, que d’une hypothèse parmi d’autres.
Général Dominique Delawarde
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