Audition du général Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale – Commission de la défense nationale et des forces armées
Audition du général Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale, sur le rôle de la gendarmerie nationale en matière de lutte contre le terrorisme et de sécurité du territoire national. — Communication, ouverte à la presse, de Mme la présidente et de M. Philippe Nauche, sur le rapport de la délégation parlementaire au renseignement
Commission de la défense nationale et des forces armées
Présidence de Mme Patricia Adam, présidente
— Audition du général Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale, sur le rôle de la gendarmerie nationale en matière de lutte contre le terrorisme et de sécurité du territoire national.
— Communication, ouverte à la presse, de Mme la présidente et de M. Philippe Nauche, sur le rapport de la délégation parlementaire au renseignement
— Information relative à la commission.
La séance est ouverte à neuf heures trente.
Source: Assemblée nationale
J’en viens à la question de Monsieur Fromion relative à l’opportunité de rebâtir des escadrons dérivés, c’est-à-dire des formations constituées d’un escadron de gendarmerie mobile et de réservistes engagés pendant une période longue en dehors de leur zone de vie. Cela ne marche pas car l’employeur ne peut pas libérer pendant trois semaines ou un mois un de ses employés pour qu’il rejoigne la réserve. Ce qui marche dans la réserve est le principe territorial : l’employeur libère son employé pendant une journée ou deux, cet employé exerce sa mission de réserviste là où il vit et il a donc intérêt à l’exercer dans de bonnes conditions. La mission qu’on lui confie est une mission valorisante : le réserviste participe ; il n’est pas subsidiaire et exerce véritablement une mission de gendarme. Cette réserve est par conséquent un atout que nous allons développer. L’armée de terre rencontre aujourd’hui certaines difficultés pour constituer sa réserve car pour un employeur, la motivation à laisser partir pendant un mois un employé qui va quitter son lieu de résidence pour servir dans le cadre du plan Vigipirate à Paris n’est pas évidente. C’est pourquoi il faut bâtir à partir de cette réserve une réserve plus large. D’ailleurs, après les attentats du 13 novembre, de très nombreuses personnes se sont présentées spontanément pour y servir. Des retraités, par exemple, exprimaient le souhait de protéger des sorties d’écoles. Ceci est une richesse.
La porosité entre la délinquance et le terrorisme est clairement établie. Nous travaillons donc de plus en plus dans le domaine du renseignement pré-criminel. Il faut que nous soyons en mesure d’établir ce lien très fort entre criminels et délinquants d’une part, et terroristes d’autre part. La loi sur le renseignement nous y aide. Nous sommes très sensibilisés à ces questions. La crise belge d’hier nous le rappelle une nouvelle fois car les deux individus identifiés sont connus pour des actes de grand banditisme.
La gendarmerie maritime a pris un essor considérable dans la protection des façades maritimes. Elle dépend de l’état-major de la marine et a par exemple des liens très forts avec le groupement dans le département du Var, liens qui s’établissent naturellement car bien que rattachée à l’état-major de la marine, la gendarmerie maritime reste avant tout constituée de gendarmes. En matière de renseignement, il y a un lien très fort ainsi qu’un abonnement aux mêmes bases de données départementales et nationales qui nous permet d’accomplir un travail efficace. Aujourd’hui, nous devons faire le même travail avec la gendarmerie de l’air, l’objectif étant d’amener celle-ci au niveau de la gendarmerie maritime et de la gendarmerie des transports aériens, qui est devenue un organe essentiel de la sécurité dans nos aéroports.
Pour répondre à Monsieur Villaumé s’agissant de l’adaptation à la menace, nous avons un plan de recrutement extrêmement ambitieux en 2016. Nous ne rencontrons aucun problème de recrutement. Nous avons organisé le premier concours national dans le courant du mois de mars avec un volume de candidats de l’ordre de 18 000 pour 2 000 postes pour les sous-officiers. Notre métier attire. Au regard des circonstances, nous avons décidé de former 2 317 sous-officiers en plus des 5 000 initialement prévus ; notre plan de charge est donc considérable. Compte tenu de la bonne annonce budgétaire, j’ai décidé de tout réaliser en 2016 plutôt que de répartir le plan sur deux annuités. Nous aurons atteint l’objectif fixé en fin d’année ; nous aurons formé toutes les nouvelles recrues sans dégrader la formation. Nous ouvrons par ailleurs une nouvelle école à Dijon. Ma seule inquiétude porte sur les gendarmes adjoints volontaires qui sont les jeunes qui s’engagent pour une période de un à cinq ans et sont le vivier principal pour alimenter le corps des sous-officiers. Nous allons ponctionner ce vivier cette année, il faut donc l’alimenter à nouveau. Nous avons lancé la campagne de recrutement à destination de ces jeunes et ce sujet de préoccupation devrait être réglé dans les semaines à venir.
En ce qui concerne la politique d’équipements, les achats ont été passés dans des délais qui sont très réduits mais les matériels arrivent, aussi bien les véhicules que l’armement. Nous sommes dans une dynamique d’équipement que nous n’avions pas connue depuis quelques années et qui nous permettra de faire face à la menace.
Sur le sujet sensible du schéma national d’intervention, il y a clairement débat. Je considère que sur le haut du spectre il existe des capacités rares qui font la différence en termes de contre-terrorisme. Je considère que ces capacités doivent être partagées, cela ne signifiant pas que l’on donne la même capacité à tout le monde. Il faut accepter l’idée qu’une force engagée qui n’aurait pas une capacité donnée demande le concours d’une autre force. En d’autres termes, la gendarmerie est en mesure d’aider en apportant une capacité de pénétration par explosifs en tout bâtiment. Nous travaillons sur ce sujet dans le cadre du schéma national d’intervention que nous allons présenter au ministre de l’Intérieur avec le directeur général de la police nationale (DGPN) et le préfet de police dans le courant du mois d’avril. Nous sommes en train de lister les capacités de toutes les unités spéciales, RAID et GIGN et nous avons obtenu que ces capacités annoncées soient vérifiées par un système d’évaluation. C’est une avancée considérable.
Monsieur Fromion, s’agissant de la garde nationale, nous pouvons effectivement nous appuyer sur la réserve de la gendarmerie. Notre marge de manœuvre repose aujourd’hui principalement sur les escadrons de gendarmerie mobile et les réservistes. Chaque jour, près de 1 500 réservistes sont mobilisés sur les 25 000 dont nous disposons, ce qui est considérable. Les taux de charge des escadrons sont très importants, et j’ai ainsi dû désengager cinq escadrons à la suite des attaques survenues à Bruxelles afin de contrôler les péages autoroutiers de l’A1 et les postes frontières avec la Belgique. Il nous incombe de faire des choix, car nous devons toujours être présents sur les territoires pour assurer la sécurité, par exemple en prévenant les cambriolages. Je ne vous le cache pas, nous travaillons à flux tendu et c’est pourquoi nous avons décidé de limiter l’apport de la gendarmerie à la préfecture de police de Paris. La consommation d’effectifs pour du maintien de l’ordre est en effet trop gourmande dans la capitale, même s’il est évident que les mesures de précaution y sont plus importantes au regard de la sensibilité parisienne. Dans ce cadre, l’unité de coordination des forces mobile (UCFM), structure spécifique rattachée aux deux directeurs généraux (DGPN et DGGN), détermine si les demandes de renfort formulées sont réellement pertinentes ; si ce n’est pas le cas, nous engageons nos hommes sur d’autres missions.
M. Charles de La Verpillière. Mon général, je partage votre avis quant à la pertinence de recourir à la réserve plutôt que de créer une garde nationale. Les réservistes peuvent en effet être engagés en renfort, en soutien et aussi, j’imagine, en substitution pour effectuer des tâches de routine. Toutefois se pose la question de leur équipement. Il m’a ainsi été indiqué que, dans le département l’Ain du moins, le groupement de gendarmerie dont le commandant n’est nullement en cause ne disposait le 4 mars dernier que de 160 gilets pare-balles pour 210 réservistes. Les déficits seraient particulièrement criants pour les femmes, dont la morphologie nécessite un matériel différent que pour les hommes. Pourriez-vous m’éclairer sur ce point ?
M. Michel Voisin. Mon général, je suis chargé, pour l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), de la rédaction d’un rapport sur la question migratoire en Méditerranée. Ces travaux montrent combien les risques d’attaques terroristes par les côtes sont importants, comme le souligne d’ailleurs régulièrement le ministre de la Défense. De manière pratique, quels sont, selon vous, les moyens dont nous disposons pour mieux détecter les potentiels terroristes au sein des vagues de migrants remontant l’Italie ou l’Espagne, ou entrant par l’est en traversant l’Europe centrale, l’Autriche et l’Allemagne.
M. Alain Moyne-Bressand. Vous avez rappelé l’attentat de Saint Quentin Fallavier, qui se trouve dans ma circonscription. Vous le savez, les gendarmes ont été profondément traumatisés par ce qu’ils ont découvert en arrivant sur les lieux. Quels types de formation mettez-vous en place, ou faudrait-il instaurer, pour accompagner ces hommes et ces femmes dont le métier les conduit parfois à connaître de situations hors du commun ? Par ailleurs, comment appréhendez-vous la question de la radicalisation des gendarmes, tant en poste que parmi les candidats ? Enfin, alors qu’un rapport d’évaluation des conséquences du rapprochement entre la police et la gendarmerie doit en principe être établi tous les deux ans, qu’en est-il du prochain ? Les préconisations de ce genre de rapport peuvent en effet nous aider à modifier le droit existant en vue de vous rendre service.
M. Olivier Audibert Troin. Mon général, votre position est connue depuis longtemps : il n’y a pas de rupture capacitaire car si tel était le cas nous serions en état de siège. Vous considérez également qu’il appartient aux seules forces de sécurité intérieure d’effectuer les contrôles d’identité, les fouilles, le maintien de l’ordre et le renseignement. Dans le même temps, vous indiquez souhaiter une meilleure coordination entre l’armée et les forces de sécurité intérieure, en invoquant le dispositif Harpie dont nous avons d’ailleurs rappelé l’efficacité lors du débat organisé dans l’hémicycle la semaine dernière. Vous avez également évoqué la mise en place d’une « war room » sur le territoire national.
Je me demande, au fond, s’il n’y a pas une contradiction alors même que les personnels militaires que nous avons rencontrés avec mon collègue Christophe Léonard nous ont confirmé ne pas avoir reçu d’instruction pour mener des actions de renseignement, se limitant à la rédaction de notes d’ambiance. Je vous poserai trois questions brèves : quel est le nombre de réservistes de la gendarmerie aujourd’hui déployés dans le cadre de l’opération Sentinelle ? Combien de gendarmes figurent parmi les 1 600 hommes dont le déploiement a été annoncé hier par le ministre de l’Intérieur ? À la suite des annonces du président de la République sur l’augmentation des effectifs de l’ordre de 5 000 hommes, où en sommes-nous ?
M. le général Denis Favier. Je tiens tout d’abord à rassurer Monsieur de La Verpillière s’agissant de l’équipement des réservistes : le sujet est réglé ou en passe de l’être. Je ne peux pas en effet demander aux réservistes d’avoir le même engagement sur le terrain que les forces opérationnelles et ne pas assurer leur protection. Concernant les gilets pare-balles, nous avons profité d’un reliquat budgétaire de l’année 2015 d’un montant de 10 millions d’euros pour acquérir les matériels nécessaires, y compris pour le personnel féminin. J’ajoute que nous avons également travaillé sur la protection sociale des réservistes, en améliorant notamment la couverture des risques. Les réservistes ne bénéficiaient en effet pas de la même protection s’ils étaient blessés en service, ce qui peut tout à fait survenir. Nous avons donc œuvré avec la Maison de la gendarmerie, fondation à caractère social, pour combler le vide juridique.
Ensuite, concernant les contrôles des populations migratoires, nous savons, en effet, que deux des terroristes impliqués dans les attentats du 13 novembre dernier sont entrés sur le territoire européen parmi les vagues de migrants qui se sont rendus dans la région de Calais. Il convient, à mon sens, de travailler selon une logique de cercles concentriques, ce qui implique de conforter la surveillance nationale, en mettant davantage l’accent sur les zones frontalières compte tenu du contexte actuel. L’engagement des armées, dans le cadre du schéma dont je vous parlais plus tôt, permettra de répondre en partie à l’enjeu mais il faudra aller encore plus loin. Il est en effet indispensable d’être présents aux frontières extérieures de l’Union européenne. Nous travaillons en ce sens à la montée en puissance des forces des douanes, de la gendarmerie, de la police. Par ailleurs, il est nécessaire d’aller plus loin et de travailler avec les autorités des pays du bassin méditerranéen ; nous avons par exemple une relation très forte avec la Tunisie. Quand on sait que dans le sud tunisien, un simple fossé sépare ce pays de la Libye, que Daech est présent sur le sol libyen et que ses membres peuvent traverser la frontière et menacer la Tunisie et les pays au-delà, il est évident que nous sommes face à un vrai sujet. De même, nous devons être proches des États africains de la bande sahélo-saharienne comme du Sénégal et de la Côte d’Ivoire. Nous devons renouer avec eux et rehausser notre collaboration. Je me suis rendu récemment au Niger avec le ministre de la Défense. Le pays est une plaque tournante pour tous les trafics. Il faut l’accompagner pour y faire face.
Puisque nous parlons de la question migratoire, j’aimerais dire un mot sur Calais. Quand je parle de Calais, je fais référence à la zone Eurotunnel – la tranchée de Beussingues -, la zone fret de la SNCF et la gare de Fréthun. Il s’agit d’une zone sous la responsabilité de la police nationale et la gendarmerie n’y a affecté deux escadrons que pour renforcer l’action de la police. Je me suis rendu sur place, et j’ai passé deux nuits avec les gendarmes. Fort du constat réalisé in situ et dans un souci d’optimisation du dispositif j’ai demandé au ministère de l’Intérieur d’attribuer à la gendarmerie une zone opérationnelle, ce qui illustre la question du continuum sécurité-défense. J’ai donc affecté un colonel et cinq escadrons pour contrôler l’accès au tunnel, et ainsi éviter les interruptions de trafic et les coûts économiques qui en découlent. Depuis le 23 octobre, date à laquelle nous avons débuté cette mission, il n’y a pas eu une seule pénétration dans le tunnel.
Concernant Saint-Quentin-Fallavier, nos gendarmes se sont trouvés en état de choc considérable qui s’explique aussi car ils étaient les primo-intervenants. Si nous avons mené des actions afin de renforcer leur accompagnement, il nous faut encore aller plus loin en termes de soutien psychologique car nous savons que les chocs traumatiques engendrent des troubles durant l’ensemble de la carrière des victimes.
Lire la suite : ADEFDROMIL Aides aux victimes
Laisser un commentaire