Attentat raté de Notre-Dame : « Je n’allais pas appeler la police pour leur dire : « Ouais, il y a une femme qui fait une crise » »
PROCES Mohamed Lamine Aberouz a affirmé ce mercredi à la cour qu’il n’était pas au courant du projet d’attentat fomenté par sa future épouse et ses coaccusées
Les huit accusés sont jugés par la cour d’assises spéciale jusqu’au 12 octobre 2019 — Thomas Samson AFP
- Huit personnes, dont six femmes, sont jugées par la cour d’assises spéciale pour deux tentatives d’attentats à Notre-Dame et à Boussy-Saint-Antoine.
- Mohamed Lamine Aberouz est jugé pour non-dénonciation de crime terroriste. La justice le soupçonne d’avoir été informé par sa future épouse de son intention de commettre un attentat.
- Egalement mis en examen dans une autre affaire terroriste, le jeune homme de 26 ans a nié ce mercredi les faits qui lui sont reprochés.
Il entre discrètement par la porte réservée aux témoins. S’arrête un court instant devant son fils, dans le box des accusés, et lui sourit. Mohamed Lamine Aberouz fait signe à son père de s’avancer à la barre en lui indiquant le chemin d’un geste de la main. Veste marron, pantalon gris, cet homme de 77 ans, qui ne parle pas français, jure de dire toute la vérité, explique sa traductrice. « Dites-lui qu’en tant que membre de la famille de l’accusé, il n’a pas à le faire… encore moins au nom de Dieu dans cette enceinte », réagit le président de la cour d’assises spéciale de Paris, Laurent Raviot. « C’est la première fois que je me retrouve à la barre, c’est important pour moi de jurer », répond Ali Aberouz.
Les magistrats comptent sur lui et les autres membres de la famille de Mohamed Lamine Aberouz pour cerner un peu plus la personnalité du jeune homme jugé aux côtés de sept autres personnes dont certaines pour un attentat raté près de Notre-Dame. Mais ce retraité n’a pas grand-chose à dire. Son fils « n’a jamais eu de problème », ne pratiquait pas la religion de manière « rigoriste », était un garçon « respectueux ». Voilà. Voile bleu à carreaux sur la tête, Salhia, la mère Mohamed Lamine, n’est pas plus disserte. « Que voulez-vous que je vous dise, à part que c’est mon fils ? » Elle n’a « pas compris » pourquoi son fils était jugé depuis deux semaines, lui qui est une personne « raisonnable qui ne connaît pas le mensonge ».
« Le méchant qui a influencé Abballa »
Leïla, la sœur, n’a visiblement pas très envie de répondre aux questions posées par le président. Comment était son petit frère plus jeune ? Pratiquait-il la religion ? Étaient-ils proches ? « Il avait des hobbys comme tous les jeunes…. de la marche, du foot de temps en temps avec des amis », se contente de répondre cette femme de 34 ans toute voilée de noir. C’est finalement le principal intéressé qui va livrer aux juges des informations sur sa vie. Il raconte son enfance passée aux Mureaux, dans les Yvelines, son parcours scolaire chaotique, les « bêtises » au collège. « A 17 ans, j’ai commencé à être plus sérieux dans la religion, à m’investir, à apprendre », poursuit celui qui est jugé, dans ce dossier, pour non-dénonciation de crime terroriste.
Fin 2010, âgé de 17 ans, Mohamed Lamine Aberouz part étudier l’arabe en Mauritanie où vivent une tante et un oncle. « Ma mère voulait absolument que je fasse des études, que cela soit dans la religion ou les sciences profanes », explique cet homme de 26 ans, cheveux courts, longue barbe, pull noir. Il rentre en France en juin 2011 après que son frère aîné a été arrêté au Pakistan. A-t-il pu être influencé par son exemple ? « Je vois très bien ce qu’on insinue par rapport à lui, dit-il. Il a exercé son rôle de frère à la perfection, pour la religion aussi. » Mais il n’a pas été son « professeur » et ne lui a rien « enseigné ». Contrairement à son frère Charaf-Din Aberouz, qui était parti faire le djihad, il n’a « jamais » eu envie de partir en Syrie. « Ceux qui vont là-bas, pour moi, c’est pour mourir. Ceux qui veulent s’y établir, ce sont des abrutis. »
A-t-il alors voulu commettre un attentat en France ? Mohamed Lamine Aberouz est en effet déjà mis en examen dans une autre affaire de terrorisme, rappelle le président. La justice le soupçonne d’avoir participé au double assassinat de policiers à Magnanville, dans les Yvelines, en 2016. « C’est parce qu’on a retrouvé mon ADN sur les lieux du crime », reconnaît l’accusé. Avant de jurer qu’il n’a « rien à voir avec ça ». Certes, Larossi Abballa, qui a été abattu par les forces de l’ordre, était « un ami d’enfance », un voisin avec qui il a « commencé à pratiquer la religion ». Mais il assure qu’il n’est pas « le méchant qui a influencé Abballa ». « L’idéologie djihadiste, il n’a pas découvert ça avec moi. » Il « condamne ce qu’il a fait » et insiste : « Je bénéficie de la présomption d’innocence… Si ça existe toujours pour nous. »
« J’ai mal jugé la situation »
C’est en tout cas grâce à Larossi Abballa que l’accusé a rencontré Sarah Hervouet, assise à quelques mètres de lui dans le box en verre. C’était en mai 2016. Abballa devait l’épouser mais il a finalement jeté son dévolu sur une autre femme. « Elle est rentrée en contact avec moi et il est sorti de nos vies après. » Ils ont commencé par s’échanger quelques messages mais le jeune homme était gêné de parler avec une femme « avant le mariage ». Elle vit dans le Sud, lui en région parisienne. Ils décident de se marier, sans même s’être déjà rencontré. Un jour, elle monte à Paris en train et lui envoie des messages troublants disant qu’elle a « choisi l’au-delà et non la vie d’ici-bas », qu’elle veut « agir pour la communauté ». Le lendemain, elle tentera effectivement de poignarder un policier de la DGSI.
Mohamed Lamine Aberouz jure que, pour lui, il s’agissait de propos « incohérents ». Il pensait que sa promise était « malheureuse », en pleine « crise d’angoisse » et cherchait du « réconfort » auprès de lui. « J’ai mal jugé la situation », fait valoir ce garçon qui s’exprime avec un certain aplomb. « Je n’ai pas accordé à Sarah l’attention qu’elle méritait, ajoute-t-il. Mais je ne suis pas le genre de personne à s’alarmer pour un oui ou pour un non. Je n’allais pas appeler la police pour leur dire : « Ouais, il y a une femme qui fait une crise ». » S’il avait compris qu’elle envisageait de commettre un attentat, il l’aurait « interceptée pour la protéger elle et pour me protéger aussi. J’aurais fait le nécessaire pour empêcher Sarah ». « Il n’a jamais été au courant », affirme cette dernière aux magistrats.
A l’écouter, Mohamed Lamine Aberouz est un musulman très pratiquant mais qui n’est pas pour autant radicalisé. Comment expliquer alors que les enquêteurs ont retrouvé dans l’ordinateur familial des vidéos de propagande de l’état islamique, téléchargées en 2014, ainsi que des audios de Rachid Kassim ? « A un moment donné, je me suis intéressé à certaines choses, explique-t-il. Moi je suis quelqu’un qui lit beaucoup les journaux. Je lis beaucoup le 20 Minutes. » Mais les médias, croit-il savoir, « ne disaient pas la vérité » sur ce qui se passait en Syrie. Alors il a cherché à en savoir plus par lui-même sur Internet. De toute façon, il ne veut plus vivre en France, « dans une société où il faut faire des concessions » pour pratiquer l’islam. Il veut refaire sa vie au Maroc ou en Mauritanie, ses « deux foyers ». « Je ne vais pas manquer à la France et je ne pense pas qu’elle me manquera. Je préfère me barrer. La DGSI sera tranquille. »
Source : 20 Minutes
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