Attaque à la Préfecture de Police, pas un attentat? «Une version qui arrange tout le monde»
L’enquête sur l’attaque de la Préfecture de Police de Paris aurait déterminé qu’il ne s’agit pas d’un attentat. Décryptage avec Noam Anouar, ex-agent des renseignements de la police affecté à la surveillance des islamistes.
Mickaël Harpon «n’avait jamais présenté de difficultés comportementales» ni «le moindre signe d’alerte». Tels étaient les mots de Christophe Castaner après que cet employé à la Préfecture de Police de Paris ait tué quatre de ses collègues. Des mots qui avaient fait réagir au vu de nombreux éléments sur le tueur, rapidement diffusés dans les médias, qui pointaient vers l’acte terroriste.
L’enquête donnera-t-elle en partie raison au ministre de l’Intérieur? On apprend mercredi 30 octobre que bien qu’elle ne soit pas encore close, elle serait sur la piste d’un «délire mystique et suicidaire» et non du terrorisme. Selon les informations de France Inter, différents indices recueillis indiqueraient davantage un contexte de «frustration professionnelle, aggravée par son handicap de surdité».
Sa radicalisation religieuse et ses relations avec une mosquée salafiste de Gonesse n’ont donc pas été retenues comme éléments suffisants pour estimer qu’il s’agirait d’un attentat terroriste. Une nouvelle qui fait d’ailleurs écho à l’attaque de la mosquée de Bayonne, où l’expertise psychiatrique a déterminé une «altération partielle» du discernement du suspect, expliquant la non-saisie du parquet national antiterroriste.
Sputnik a interrogé Noam Anouar, ancien de la DRPP (Direction du renseignement de la préfecture de police), affecté en Seine-Saint-Denis pendant près de huit ans et auteur de La France doit savoir (Éd. Plon). Restant prudent sur ces premières informations, celui-ci, également délégué syndical VIGI Police, déplore une certaine politisation de l’enquête.
Sputnik France: Comment expliquer cette piste des enquêteurs, selon laquelle l’attaque perpétrée par Mickael Harpon ne serait pas un attentat?
Noam Anouar: «L’explication officielle, c’est les conclusions de l’enquête, le rapport d’enquête n’est pas public, donc je ne peux pas me prononcer sur une actualité dont je n’ai pas les tenants et les aboutissants. De plus, le parquet antiterroriste ne s’est pas dessaisi officiellement de l’enquête. Par contre, ce qui m’étonne de prime abord, c’est cette nouveauté finalement que nous permet la science aujourd’hui, c’est l’expertise psychiatrique sur un mort a posteriori.
On ne peut pas ne pas penser que c’est une version finale qui arrange tout le monde, mais ça n’occulte en rien la réalité des fautes qui ont été commises. C’est-à-dire en l’occurrence, la non-réaction des autorités de la préfecture de police au signalement qui a été fait en 2015. Ce signalement a bel et bien eu lieu, même s’il n’a pas été matérialisé par un rapport, contrairement à ce que disent nos deux ministres. Également cette histoire de fadettes, c’est-à-dire le numéro de Mickael Harpon qui apparaissait sur deux cibles de la DGSI. Ces deux éléments auraient dû conduire à la déshabilitation de Mickael Harpon et on aurait peut-être pu éviter justement ce crime. Après, savoir si ce crime relève du terrorisme ou pas, chacun se fera sa propre idée sur la question. A priori, selon la définition juridique de l’acte terroriste, les enquêteurs ont pu mettre en place ou mettre en scène une version qui serait incompatible avec la définition juridique de l’acte terroriste. Mais effectivement personne n’est dupe de ce qui est train de se passer.»
Sputnik France: Cette enquête prend-elle une tournure politisée selon vous?
Noam Anouar: «En tout cas, on n’a pas déterminé de responsabilités, c’est-à-dire qu’il y a eu quatre morts, tous les responsables de la DRPP sont encore en place. On a eu une enquête qui a été menée de façon exclusive dans les murs de la Préfecture de Police. Puisque même si elle a été diligentée par le Parquet national antiterroriste qui s’est saisi de l’affaire, les services investigateurs, dès le début de l’enquête, ont été des services de la Préfecture de Police. C’est-à-dire, le 36 quai des Orfèvres, la DRPP, etc.
Ne serait-ce que pour les victimes –on a eu des morts parmi les policiers– on aurait pu par exemple saisir les services de gendarmerie pour ce qui était des expertises médico-légales, ne serait-ce que par défense de nos collègues du laboratoire à qui on aurait pu épargner d’enquêter sur leurs propres collègues et de mener des autopsies sur leurs propres collaborateurs, puisqu’ils étaient tous dans les murs de la Préfecture de Police. Conséquence directe de cette révélation, les familles des victimes ne seront pas indemnisées de la même façon que les victimes du terrorisme. On ne peut pas ne pas penser qu’il s’agit d’une mise en scène finalement pour disculper les vrais responsables, c’est-à-dire ceux qui se sont rendus coupables de négligences, justement pour les exonérer de leurs responsabilités.»
Sputnik France: Qu’est-ce qui différencie un attentat d’un crime?
Noam Anouar: «A la base, c’est la dimension idéologique qui caractérise l’attentat. La matérialisation de l’idéologie d’un attentat, c’est la revendication. En l’occurrence, pour ce que j’ai pu en lire dans la presse, l’enquête détermine qu’on n’a pas eu de revendication officielle de l’État islamique* et qu’a priori il ne s’agirait pas d’un attentat. J’espère pour les autorités de la Préfecture de Police qu’on n’aura pas dans les jours qui viennent, une attaque contre un policier à son domicile, en sachant que les coordonnées de ce policier figureraient sur la clé USB [saisie au domicile de Mickaël Harpon, ndlr]. C’est un risque de refermer l’enquête aujourd’hui, de conclure. Effectivement, il y a peut-être une pression politique qui va dans ce sens, mais j’espère, pour les faits, que ça va s’arrêter là.»
*Organisation terroriste interdite en Russie
Source : Sputnik
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