Amiante : « Nous étions les pieds nickelés de la gendarmerie »

Deux gendarmes qui ont participé à des enquêtes judiciaires sur l’amiante demandent réparation. L’un est malade. L’autre, qui vit dans la crainte, raconte.

Des uniformes au vestiaire aux journées nationales de la Gendarmerie à Montluçon, en 2008 (THIERRY ZOCCOLAN/AFP)

La moindre toux vire au cauchemar. « A chaque fois que je me réveille en toussant », expose Bernard (son prénom a été changé), gendarme retraité.

« Je me demande si c’est un rhume, une allergie ou bien l’amiante qui attaque mes poumons. »

Elle a pris d’assaut ceux de son ancien collègue, qui a développé des plaques pleurales, la maladie de l’amiante. Tous deux ont exercé au sein de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp).

En 2006, tous deux ont été envoyés sans aucun masque fouiller dans les archives du plus gros producteur mondial d’amiante, Eternit, dans le cadre de perquisitions de la juge Bertella-Geffroy.

Le comble pour des agents chargés de contrôler les entreprises qui ne respectent pas les normes de protection de l’environnement et la santé publique.

100 000 décès d’ici 2025 causés par l’amiante

L’un est toujours gendarme et n’a pas souhaité enclencher de procédures judiciaires contre son employeur. Il a en revanche engagé une démarche de reconnaissance de maladie professionnelle et de compensation auprès du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva). Son devoir de réserve le contraint à se taire.

Bernard, lui, est parti en retraite, écœuré, et a porté l’affaire en justice. Le quadragénaire tient toutefois à utiliser un prénom d’emprunt :

« Si je cherche du travail, je ne veux pas que mon employeur potentiel me googlise, s’aperçoive que j’ai été exposé à l’amiante, et se dise que par conséquent, je suis susceptible de développer une pathologie. »

La substance cancérogène interdite en 1997 pourrait provoquer 100 000 décès d’ici 2025. Lui ne souffre pas de douleur thoracique particulière. Du moins pas encore. Le 16 octobre, Bernard dépose une requête auprès du tribunal administratif de Melun (Seine-et-Marne) contre son employeur, les ministères de l’Intérieur et de la Défense pour « préjudice d’anxiété » et « découlant des troubles dans les conditions d’existence ».

Selon son avocat, Me Michel Ledoux, défenseur des victimes de l’amiante depuis l’éclatement du scandale :

«  Avec cette fibre toxique, il n’y a pas de règle. Une exposition très courte, même de quelques heures, comme c’est le cas dans cette affaire, peut suffire pour développer les pires pathologies, des années voire des décennies plus tard. Ce gendarme vit dans le stress d’être un jour frappé par la maladie. »

Dans un espace confiné, au sous-sol

Quand Bernard a appris le diagnostic de son camarade de l’Oclaesp, il a tout de suite fait le lien avec cette journée de printemps 2006. Ils sont envoyés, avec quatre autres gendarmes, à Vernouillet (Yvelines) au siège d’Eternit, dans le cadre de l’enquête mettant en cause l’industriel.

« Les archives se situaient dans un espace confiné, au sous-sol. La pièce était peu éclairée, de la poussière bizarre se dégageait mais nous nous sommes mis au travail. Nous avons déplacé des armoires pour avoir accès aux dossiers. »

En sortant, l’équipe s’interroge sur ce nuage blanchâtre. Le fait qu’Eternit, dans la ligne de mire de la juge acharnée Bertella-Geffroy, ait de nouveau été suffisamment imprudent, dans ses propres murs, pour laisser croupir ses archives sous des cendres toxiques paraît un peu gros.

Et pourtant, les analyses d’empoussièrement sont formelles. Les documents sont bien amiantés. Les gendarmes ont donc été exposés chez le numéro un mondial de la production d’amiante. « Les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés », commente Me Ledoux.

« Nous étions les pieds nickelés de la gendarmerie »

Bernard :

« A l’Oclaesp, nous étions les pieds nickelés de la gendarmerie. L’office a été créée en 2004. Nous avons dû attendre dix-huit mois avant d’obtenir des armes et deux ans, un tampon officiel de la gendarmerie nécessaire à nos enquêtes. Alors des équipements de protection individuelle… Je n’en ai jamais vu, si ce n’est à la télé. Un masque filtrant nous aurait pourtant évité d’inhaler cette fibre. Encore aujourd’hui, je n’y crois pas. »

Son groupe « enquête technique amiante » n’a suivi aucune formation sur la poussière toxique. Certains ont déjà enquêté sur le sang contaminé ou les hormones de croissance. Bernard, lui, est devenu expert en lutte contre le dopage. Mais l’amiante, il n’y connaissait rien.

Ce qui l’exaspère le plus, ce n’est pas le manque de prévention en amont, d’obligation de sécurité de son employeur pendant la perquisition, mais l’indifférence, a posteriori, de sa hiérarchie. Aucune visite médicale ni scanner. Il s’y est plié après s’être réveillé en sursaut, une nuit, en avril 2013, transporté par l’angoisse d’être contaminé par l’amiante.

« J’étouffais. Et pourtant je ne fume pas. C’était une bronchite carabinée couplée d’une crise d’asthme. J’ai immédiatement passé un scanner, qui n’a révélé aucune tâche suspecte. Mais je l’ai fait aux frais de la sécu, en tirant sur la carte vitale. C’était pourtant le rôle de la médecine du travail. »

L’état major rechigne à lui fournir un certificat d’exposition à l’amiante. Il a fallu attendre, encore, plusieurs mois, avant de l’obtenir. C’en est trop. La décision est prise, Bernard demande des comptes devant le tribunal pour se faire reconnaître et indemniser son préjudice d’anxiété.

Car les maladies liées à l’amiante agissent comme une grenade, à retardement. Elles se déclenchent des mois, voire des décennies plus tard. Parfois jamais.

« Ce ne serait pas raisonnable de courir au laboratoire du coin demander un scanner à chaque fois que je tousse. Mais quand je vois que mon jeune collègue a développé cette maladie, je ne peux pas m’empêcher d’avoir peur. »

« J’attendais de mes chefs une écoute »

Un stress que le colonel Jacques Plays, directeur adjoint de la police judiciaire, minimise :

«  Les gendarmes ont travaillé dans les archives une demi-journée seulement. Ils ont interpelé leur hiérarchie sur la poussière, qui a suspendu la perquisition et fait appel à une société de désamiantage pour décontaminer les documents.  »

Une réaction à l’opposé de celle qu’espérait Bernard.

« J’attendais de mes chefs une écoute, qu’on me dise : c’est comme un accident de circulation, c’est arrivé. On va mettre en route une procédure administrative, faire le nécessaire pour que vous soyez suivi, de manière à ce que si jamais vous développiez une asbestose, elle soit détectée le plus tôt possible. Et que comme tous les accidents de service, de circulation ou autres, notre exposition à cette fibre toxique soit inscrite au registre des constatations militaires, au cas où. Ma hiérarchie a refusé que ce soit écrit noir sur blanc. »

Pendant la guerre du Kosovo, en 1999, Bernard a été exposé au plomb à Mitrovica. « Je n’ai pas attaqué la gendarmerie pour ça ! Les choses ont été faites, j’ai été rassuré », estime-t-il. Malgré des résultats inquiétants révélés à l’époque par les analyses des services de santé de l’armée, les médecins l’ont tranquillisé : aucun risque de développer le saturnisme à l’horizon. Ils ont fait leur travail, Bernard a continué le sien.

Source : Rue 89

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