Aline de Diéguez : L’empire du mensonge et de la guerre
Un tableau historico-politique traité de main de maître à la manière rabelaisienne par Aline de Diéguez qui gagne à être connue.
par Aline de Diéguez.
Il était une fois un groupe de bipèdes qui, un beau matin, décidèrent de quitter leurs chaumines enfumées et de s’en aller squatter une terre qu’ils déclarèrent vierge de toute présence humaine. Telle dame belette s’emparant du logis de Jeannot Lapin, ils s’en proclamèrent les propriétaires, ainsi que de tout ce qui rampe, court et vole.
Ils avaient d’abord baptisé leur Nouveau Monde Eden, mais sous l’impulsion de leurs belliqueux empereurs successifs, cette région est désormais connue sous le nom de Picrocholand.
Il faut savoir que leur ancêtre éponyme, Picrochole 1er, s’était illustré dans la féroce Guerre des fouaces dont les échos résonnent encore en pays angevin. Les épisodes de cette guerre mémorable nous sont parvenus grâce au récit minutieux qu’en fit le talentueux chroniqueur de l’époque, François Rabelais, dans ses célèbres Aventures du géant Gargantua, de son père Grandgousier et de son fils Pantagruel.
On se souvient que sur le point d’être submergé par ses ennemis, Grandgousier fit appel à son géant de fils. Gargantua, arriva à bride abattue sur son énorme jument, laquelle, en urinant, provoqua une crue si phénoménale qu’elle noya toute l’armée de Picrochole et sauva le royaume de Grandgousier.
II
Une fois sur place, les Picrocholiens découvrirent que vivaient en ces lieux quelques bipèdes emplumés, mais les éclaireurs nettoyèrent rapidement le terrain. Dehors les emplumés, place à la civilisation ! Ils décidèrent à l’unanimité que ces sous-hommes ne méritaient pas de vivre.
Ainsi, grâce à l’ingénieuse collaboration d’un éminent représentant des civilisés, Sir Jeffrey Amherst, associé à un commerçant avisé du nom de Rabbi Sharfman, les tribus Shawnee, Mingo et Delaware furent prestement éliminées. Nos deux compères avaient en effet inventé le judicieux stratagème qui consistait à offrir à des populations naïves et confiantes des couvertures et du linge infectés par la variole des Juifs caucasiens. Un plein succès récompensa leurs efforts et le prix de leur investissement.
Dans le Colorado, un autre célèbre civilisé, le colonel John Chivington fit, avec ses cavaliers, un travail non moins remarquable – du « bon boulot » selon l’expression élégante d’un majordome de l’empire à propos des assassinats commis dans une contrée exotique par des égorgeurs cannibales. Le « boulot » du colonel Chivington connut son apogée à Sand Creek. La troupe se rua sur un paisible camp Cheyenne et trucida tout le monde de la manière la plus sanguinaire et la plus barbare possible afin d’inspirer une salutaire terreur à la racaille misérable des autres tribus qui auraient tenté de résister à l’innocent civilisateur. Les soldats scalpèrent les hommes, étripèrent femmes et enfants, mutilèrent les corps et fracassèrent les crânes des nourrissons.
D’innombrables exploits du même tonneau vinrent à bout de la populace emplumée qui avait l’audace de se prétendre propriétaire de son territoire. Ces sauvages ne savaient pas encore que les nouveau-venus étaient une espèce supérieure, une race de maîtres. « Nous sommes justes par essence et forts par nature. Nous incarnons la Démocratie et la Liberté en marche sur la planète », tel était leur discours conscient et inconscient. En un mot comme en cent, « nous sommes exceptionnels », se susurraient-ils suavement à eux-mêmes. « Nous ne négocions, ni ne transigeons jamais. Nous écrasons tout obstacle qui se dresse sur notre chemin, tel est désormais notre credo ».
En éradiquant les emplumés, les Picrocholiens avaient découvert et théorisé la stratégie victorieuse qu’ils utilisèrent avec une remarquable constance, celle de populations écrasées sous un tapis de bombes qu’ils nommèrent benoîtement pacification. Comme chacun sait, aucune paix n’est plus profonde et plus définitive que celle des tombes. Du bon boulot.
Durant un interminable siècle, ils surent utiliser ce procédé avec un succès grandissant. L’herbe ne repoussait jamais après le passage des nouveaux Attila.
III
Forts de leurs premiers exploits, les pieux colons originels clamèrent alors aux quatre vents que le territoire qu’ils occupaient avait toujours été désert – les emplumés n’étant pas des humains dignes de considération. Se référant à notre éminent fabuliste, ils s’en proclamèrent donc les premiers occupants.
Comme il arrive souvent, la prospérité de la colonie dépassa celle de la maison-mère. Le colt à la ceinture et le missile en bandoulière les pieux missionnaires originels révélèrent alors leur pure essence de Picrocholiens habiles à flairer plus sûrement la piste des richesses à voler chez autrui que le plus racé épagneul breton celle de Jeannot Lapin.
Ils en furent tellement fiers, et même tellement bouffis d’orgueil, que leur tête s’est mise à enfler. La petite bulle d’air et de folie qui permet à chacun d’entre nous de flotter légèrement au-dessus de nos chaussures et de ne pas coller à la glèbe, a si puissamment gonflé, gonflé dans leur boîte crânienne que, tel l’hélium d’une montgolfière, elle s’est propagée dans l’ensemble de leurs circonvolutions cérébrales et a fini par envahir la totalité de leurs lobes frontaux, latéraux, postérieurs et antérieurs.
Désormais, tous les Picrocholiens sont affligés d’une grosse tête dans laquelle se loge commodément leur bonne conscience, leurs illusions sur eux-mêmes, leur suffisance, leurs prétentions, leur arrogance, leur cupidité, leur violence, leur cruauté, leur inculture et leur indifférence à tout ce qui ne touche pas directement leurs intérêts et qui grouille au-delà de leurs frontières.
Ils sont persuadés qu’ils représentent, comme le proclamait un des leurs ancêtres, Thomas Jefferson, « the world’s best hope », « l’indispensable nation » du monde civilisé, autant dire un phare destiné à guider tous les autres peuples sur la route du Bien et des félicités terrestres avant que celles-ci se métamorphosent en félicités éternelles. La terre conquise sur les emplumés devenait le lieu où se réaliseraient les desseins de la divine Providence.
C’est donc en ce lieu béni, laboratoire d’un futur mirobolant, que le retour du Messie allait coïncider avec un avenir glorieux dont ils seraient les heureux bénéficiaires. En conséquence, ils se sont donnés pour devise : Per aspera ad astra.
IV
Pour faire court, les Picrocholiens appellent ROW – abréviation de Rest of the World – les territoires qu’ils se proposent dorénavant de sauver des maléfices de Satan. D’ailleurs ne se proclament-ils pas eux-mêmes, et en toute modestie, tantôt la « nouvelle Jérusalem », tantôt le « nouveau Canaan » ?
Les contrées qui clapotent à leurs frontières occupent-elles 98% de la superficie de la machine ronde ? Qu’à cela ne tienne, les vaillants missionnaires de la Démocratie bottée, messagers du Progrès et de la Justice, sont en permanence sur le pied de guerre. Tant de richesses qu’il est criminel de laisser entre de mauvaises mains attendent leur venue. La Démocratie se met en marche.
Elle marche à belle allure, la Démocratie. Une colonne d’animaux à chenilles s’engage dans le couloir de la mort. Elle court, elle court, la colonne. Elle court, elle court la Démocratie. Un immense nuage de folie la cache aux regards. Dans un grondement infernal elle avance implacablement. L’odeur est suffocante. La pestilence de la mort se répand sur la terre. Brandissant l’étendard du « Manifest Destiny », la Démocratie picrocholienne va délivrer le monde de l’oppression des « tyrans », clame-t-elle, mais elle porte dans ses bagages la mort, le vol et les destructions.
Comme l’écrivait notre sage Montaigne, « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ». Mais cette belle pensée est incompréhensible à une peuplade habitée par un complexe de supériorité chez laquelle un étalage de la force tient lieu de politique.
Les Picrocholiens clament qu’eux seuls sont les détenteurs privilégiés d’une mission chue directement de la galaxie qui fait d’eux des gestionnaires mondiaux de toutes les crises provoquées par des États « maléfiques ».
En application de ce généreux projet, les innocents missiles de la Démocratie picrocholine et autres « bombardements démocratiques » ont libéré en les écrasant sous des tapis de bombes trente neuf tribus, États et Étaticules rowiens depuis l’an de grâce 1945 et plus d’une centaine depuis leur débarquement au paradis.
Quelques exploits particulièrement éclatants émaillent les célèbres méthodes de pacification utilisées lors des guerres indiennes évoquées ci-dessus. Ainsi, en 1898, les Picrocholiens inventèrent « l’amendement Platt », l’ancêtre du moderne et bien connu « droit d’ingérence humanitaire » et qui, sous le commandement du général J. Franklin Bell les lança dans une croisade destinée à « libérer » Guam, Cuba, Porto-Rico de la « tyrannie coloniale » espagnole.
Mais figurez-vous qu’à l’instar des Indiens, ces sauvages refusaient mordicus leur libération. Les braves libérateurs ont donc dû recourir à la contrainte contre ces ingrats : « Toute la population en dehors des villes principales à Batangas a été dirigée vers des camps de concentration », a rapporté l’historien Stuart Creighton Miller. Quant aux récalcitrants opiniâtres, hommes, femmes et enfants, ils ont purement et simplement été exécutés. Tous. Les corps exposés, empalés afin de susciter l’horreur et la terreur chez les survivants.
Les empereurs picrocholiens successifs appellent bénévolente assimilation l’ensemble des méthodes de coercition qui permettent d’aboutir à une domestication des populations pacifiées et soumises à une non moins bénévolente appropriation de leurs terres et de leurs richesses.
Car c’est toujours au nom de la morale, que les Picrocholiens incarnent de la pointe des cheveux aux orteils, qu’un ancien responsable de la politique étrangère de cet empire a inventé la théorie de « l’intervention humanitaire » au nom d’une « responsabilité de protéger » les peuples victimes de gouvernants « voyous », « tyrans », « barbares », « dictatoriaux », et tutti quanti, théorie qui connaîtra un succès éclatant chez les domestiques de l’empire sous la dénomination de « droit d’ingérence humanitaire », comme il est dit ci-dessus.
En vertu de ce droit, Picrochole se donne le pouvoir d’intervenir où et quand il lui plaît ou de tracer des lignes rouges dont le franchissement déclenche les foudres du ciel sous la forme d’une pluie de missiles démocratiques.
Il se donne également le droit et le pouvoir de provoquer la déstabilisation de gouvernements qui lui déplaisent en suscitant, favorisant et finançant des révolutions politiques locales aux noms multicolores ou gracieusement champêtres – révolution de jasmin ou des œillets, révolution orange, blanche, rouge, verte, printemps arabe – et cela au moyen des innombrables cellules d’espionnage camouflées en ces très fameuses Organisations non gouvernementales, plus connues sous le sigle d’ONG, parfaitement gouvernementales et grassement alimentées en monnaie facilement imprimée dans les souterrains de Picrocholand.
V
Les méthodes expérimentées à cette occasion se retrouvent, perfectionnées, modernisées et affinées dans les annexes du paradis que sont aujourd’hui encore Guantanamo, et hier Abu Ghraib ou Bagram dont les méthodes auraient pétrifié d’horreur le grand Dante Alighieri lui-même dans sa description de l’Enfer chrétien.
Mais la générosité des Picrocholiens ne connaît pas de limites. C’est pourquoi, selon la philosophie bien connue du Sapeur Camember, l’empire a dépassé les bornes du cynisme, penseront les naïfs, en s’instituant, en douce, un pédagogue mondial ès torture. Aussi s’est-il employé avec zèle à enseigner à ses vassaux son immense savoir-faire en cette spécialité. Comme il est prudent et n’a que peu confiance dans le QI et le talent des Rowiens, il a édité des manuels à l’intention des apprentis-tortionnaires. Il a même fait produire tous les outils nécessaires à leur art et les leur a charitablement offerts afin d’équiper au mieux les centres de torture disséminés un peu partout au sein des États rowiens complaisants qui acceptaient de jouer le rôle de poubelle de l’empire.
Ainsi, parmi les amis les plus empressés à s’adonner à la nouvelle discipline, figurent les très pieux adorateurs d’une icône représentant une « vierge noire » sise dans une ville au nom imprononçable. Tout en pleurant l’antépénultième pape issu de leurs rangs, ils ont servi et continuent de servir l’empereur pichrocholien dans ses basses œuvres avec un zèle jamais démenti.
VI
Comme le surgissement des Picrocholiens dans les affaires de la planète date de la dernière pluie, leur assurance et leur arrogance sont inversement proportionnelles à l’épaisseur de leur histoire collective et à leur expérience de la politique et de la diplomatie, si bien que leur compréhension du monde se résume au binôme noir-blanc, Bien-Mal.
Il faut dire qu’une propagande et une désinformation soigneusement conçues et habilement distillées par les porte-paroles du gouvernement picrocholien imprègnent si totalement les cervelles pauvrement nourries des masses de la certitude que le monde et la politique sont d’une simplicité biblique et que la consommation et l’accumulation de biens sont les conditions nécessaires et suffisantes du bonheur, que la partie de la planète contaminée par l’idéologie picrocholienne est persuadée que la gestion politique du monde se réduit aux catégories « divin » et « satanique ».
Aussi ne connaissent-ils qu’une seule forme de stratégie militaire, celle dite « du tapis de bombes » et ont inventé l’expression « the art of creative destruction », variante picrocholienne du très ancien : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ».
Ainsi, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la générosité libératrice de l’armée picrocholienne avait si bien libéré les Philippines du joug japonais, que Manille fut la ville la plus détruite de tout le continent asiatique … et qu’un siècle plus tard, la capitale n’a toujours pas retrouvé la qualité de vie et les infrastructures qu’elle possédait avant sa libération.
Les Picrocholiens clament haut et fort que ceux qui ne sont pas avec eux sont contre eux. C’est pourquoi point n’est besoin de dictature policière visible pour canaliser les troupeaux de domestiques à l’intérieur et à l’extérieur de l’empire. Les Picrocholiens dominants sont de redoutables professionnels dans l’art de soumettre les masses à une manipulation permanente par l’image, la publicité pour toutes les formes possibles de consommation et cela avec la complicité spontanée ou grassement lubrifiée de tous les médias, des innombrables sectes religieuses et des multiples organismes d’espionnage, parmi lesquels les incontournables ONG figurent en bonne place.
VII
La guerra, la guerra, la guerra chante Clorinde avant d’engager un combat à la vie à la mort contre Tancrède, dans le célèbre madrigal de Monteverdi. Des Inuits aux Indiens de la Terre de Feu, tous les Rowiens savent que les Picrocholiens SONT une incarnation de la guerre. En guerre permanente depuis leur débarquement sur la terre volée aux emplumés, on compte à leur actif plus d’une centaine d’expéditions durant le dernier siècle. Un record qu’il sera impossible de battre.
Le monde entier a été témoin de l’aisance avec laquelle l’armée de sa Majesté Picrochole Bushus Debilus a quasiment réduit en un amas de gravas une des plus anciennes civilisations du monde. Un feu d’artifice de missiles, de bombes au phosphore, à l’uranium, de bombes incendiaires, de bombes à fragmentation a illuminé la région durant de longues semaines et a pétrifié ses alliés d’admiration. « Shock and Awe ». À la suite de cet exploit, Picrochole XLIII Debilus, en extase, n’a pas hésité à claironner, afin que nul n’en ignore : « Nous sommes exceptionnellement bons ».
Les Picrocholiens sont de subtils créateurs de vocabulaire. C’est ainsi qu’ils qualifient tous les gouvernements, parfaitement légitimes, mais insuffisamment dociles, de régimes. Tout ce qui grouille grenouille et scribouille, selon les paroles ailées d’un Grand Rowien des temps anciens, s’est empressé de cracher son fiel sur les récalcitrants à la soumission et d’entonner en chœur, en petits soldats disciplinés et corrompus, leur mépris pour le « régime de Bachar », pour le « régime de Chavez », pour « le régime de Castro », pour le « régime des mollahs », pour le « régime de Loukachenko » ou pour le « régime de Poutine », étrangement, personne n’osant évoquer le « régime de Netanyahou », le « régime sioniste » le « régime de Zelensky », le « régime de Macron » ou le « régime de Biden ».
VIII
En Picrocholandie la richesse est vénérée. Elle représente le signe de l’élection divine. N’est-il pas écrit sur tous les billets généreusement imprimés dans les sous-sols de ses banksters : In God we trust ? La pauvreté prouve que le « God » dans lequel « trust » les Picrocholiens méprise les peuplades qui traînent dans le peloton de queue de la course au profit. La carte de crédit est le véritable « God » du Picrocholien. Plus il en possède d’exemplaires, mieux il est considéré par la société, car c’est là le signe qu’il est un excellent consommateur, donc un excellent citoyen. Leur « God » tout-puissant n’est pas, ils en sont sûrs, un Grand Trompeur, comme un de ces Frenchies honnis, gardien des portes de l’enfer, avait voulu l’insinuer.
Les Picrocholiens ont certes le génie et la bosse du commerce. Mais ils peuvent d’autant plus aisément accumuler des richesses qu’ils ont trouvé une fabuleuse martingale qui leur permet de satisfaire leurs désirs. Il s’agit d’une trouvaille miraculeuse et beaucoup plus efficace que celle des alchimistes qui rêvaient de changer le plomb en or. Les Picrocholiens ont fait beaucoup plus fort : c’est du vulgaire papier imprimé qu’ils métamorphosent en lingots d’or.
Certains esprits malveillants vont jusqu’à appeler cette juteuse opération l’escroquerie du millénaire. Des envieux affirment même qu’on n’a rien vu de plus pervers et de plus néfaste pour la population rowienne depuis l’apparition de l’homo erectus et que l’empire aux pieds d’argile repose sur une magouille de faux monnayeurs.
Toujours est-il que, c’est bien cette ruse financière qui, en plus de leurs vols tous azimuts, leur a permis depuis un siècle de vivre grassement en bénéficiant d’un jackpot permanent. Les Picrocholiens ont ainsi pu, d’abord subrepticement, puis ouvertement, édifier un gigantesque empire économique et militaire. Ils se sont alors imaginé qu’ils étaient tout-puissants et se sont crus omniscients. Ils se sont alors persuadés qu’il était logique qu’ils jouissent en tous domaines d’une impunité et d’une immunité qui leur assurent un statut suréminent par rapport à la masse des vulgaires Rowiens.
Oublieux des conditions monétaires exceptionnellement favorables que les Picrocholiens avaient extorquées au Rest of the World au fil des années, les Rowiens leur ont longtemps voué une admiration béate et même un amour ardent. Ils voyaient en eux l’hyperpuissance bienveillante chargée de régler avec sagesse et lucidité tous les conflits internationaux. C’était leur guide et leur modèle…
Cette attitude extatique quasi universelle a eu pour conséquence calamiteuse de geler les neurones des Rowiens et de paralyser leur esprit critique. Cependant, des tentatives de rébellion et de sortie de l’hibernation mentale commencent de se manifester de plus en plus ouvertement. Il se peut qu’un réchauffement climatique bienvenu produise un effet bénéfique indirect et que les cervelles des Rowiens se mettent à dégeler. Les neurones redevenus alertes se libèreront alors de la gangue glaciale de vénération et de dégoûtante soumission qui les emprisonne.
IX
En Picrocholandie, le mot « ami » a le même sens que chez les honorables membres de la Dranguetta calabraise ou de la Maffia sicilienne : « Si tu dévies d’un centimètre de la voie que nous t’ordonnons de suivre, une balle dans le dos et tu es mort ». Les amendes par milliards qui, telles des tonnes de briques, sont tombées sur la tête d’un des larbins les plus zélés de l’empire en sont un avant-goût.
Pire que dans la Maffia ou la Dranguetta, en Picrocholandie le mensonge est érigé en en moyen habituel et normal des échanges dans les relations internationales, pendant que la traîtrise, l’hypocrisie, les inversions accusatoires et le non-respect des traités sont chaleureusement encouragés. Car seules existent les règles que Picrocholand édicte, et ces règles fluctuent au gré des intérêts de leurs inventeurs. Quant aux principes internationaux officiellement claironnés, pfffttt !
Le troupeau de vingt-sept moutons, estampillés « amis » de l’empire Picrocholien, est donc conduit d’une main ferme à l’abattoir de l’Otanistan. Selon le principe bien connu du boomerang, les « sanctions » concoctées dans les bureaux de l’empire reviennent illico sur le crâne de la masse bêlante, anéantissant le peu de cervelle qui lui restait.
Le continent des anciennes civilisations n’est pas seulement domestiqué, l’empire Picrocholien a réussi l’exploit de le dompter à mort et d’en faire des mulets attachés à faire tourner la pierre à huile d’olives du maitre. Qui aurait cru que des États qui furent en leur temps des nations souveraines et brillantes deviendraient un jour des loques rampantes, apeurées, stupidifiées, dépourvues de toute volonté propre, de tout bon sens, même le plus élémentaire, trahissant les peuples qu’ils sont censés diriger et se trahissant les unes les autres afin de figurer en tête lorsque le maître siffle la mise en rang ? La dame de Berlin, liée par des fils secrets à l’empire, joue ce rôle à la perfection.
X
Chassez le naturel, il revient au galop. Picrocholand n’a évidemment pas renoncé aujourd’hui à sa stratégie séculaire, à savoir la guerra, la guerra, la guerra. Les finances sont basses, le territoire d’un nouveau Satan – un très gros Satan – renferme des richesses qui font baver d’envie toute la Picrocholandie. Seulement voilà, l’ennemi est non seulement très gros, mais armé jusqu’aux dents, et ce Satan-là est donc puissant.
Picrochole a donc imaginé un plan vicieux et digne de la maffia : il a commencé par affaiblir ses « amis », qu’il considère comme des rivaux et qu’il méprise royalement, en les obligeant à « punir » le grand Satan désigné d’un index furieux. Sus à Poutine, le responsable de tous les malheurs du monde – y compris de la canicule !
- Vous ne lui achèterez plus rien, et vous assècherez ses finances.
- Cher Picrochole, cher puissant suzerain, nous baisons tes sandales et la trace de tes pas dans la poussière, tes paroles sont du miel et de l’ambroisie, mais nous avons un besoin impérieux de ce dont tu exiges que nous nous privions.
- – « fuck Europe » …
Car, pour la première fois, Picrochole a peur. Ah ! la Grenade, la plus belle des guerres de l’empire. Une victoire éclatante. La seule d’ailleurs depuis 1945. L’empire s’en gargarise encore. Depuis lors, il n’a eu que des déceptions, au mieux des victoires à la Pyrrhus contre toute une kyrielle de Satans et de Satanicules venimeux : Satans nord-Coréen, Vietnamien, Serbe, Irakien, Libyen, Syrien, Yéménite, Biélorusse, résultat plus que mitigé contre le Tunisien et l’Égyptien, franc échec contre le plus ancien, le cabochard Cubain, le fuyant Vénézuélien, l’Iranien, le Nicaraguayen, le Georgien, le Kazak, Et maintenant le plus gros de tous, le Diable en personne, Vlad l’Empaleur, la terreur mondiale, directement sorti du Tartare.
Pas d’imprudence, maintenons le « déni vraisemblable » et la « guerre hybride » jusqu’au dernier Ukrainien. Pas question d’un nouveau « Awe and Shock » et d’un feu d’artifice de missiles au-dessus de Moscou. Nous sommes trop bons pour ça, clament-ils, cachant leur trouille et leur infériorité militaire sous une déclaration généreuse destinée à masquer l’infériorité de l’empire qui n’a plus les armes de ses ambitions.
Picrochole rêve de mener une nouvelle guerre de cent ans. Mais Picrochole tremble et sa lâcheté lui a permis de trouver la solution : attaquer par esclaves interposés. Pendant que l’ours sorti de son hibernation s’engraisse tranquillou, adieu veaux, vaches, cochons, couvées et pot de lait renversé ruminent les dirigeants dépités de Picrocholand, ainsi que leur brochette de courtisans apeurés. Adieu lingots d’or et pluie de diamants sibériens. Bonjour tristesse.
Après le Picrochole français, l’orgueilleux Napoléon Bonaparte, après Hitler, le führer teuton, sa moustache et ses panzers, le prétentieux empereur Bidenibus, qui se croyait le maître des galaxies, expérimente sa Berezina.
Épilogue
Ainsi va le monde Picrocholien dans lequel la Maritorne du village de Sagayo a réussi, durant deux siècles, à se faire passer pour la Dulcinée idéale du Toboso démocratique.
Mais l’enchanteur a perdu son pouvoir. Le charme se dissipe lentement. Trop lentement, hélas, les oreilles se débouchent et les yeux se dessillent.
Une Maritorne en haillons apparaîtra enfin aux yeux des Rowiens en lieu et place de la Dulcinée qu’ils vénéraient. Beaucoup découvrent déjà, amers, dépités et honteux que leur adoration s’était portée sur une fille de ferme inculte, égoïste, cynique, cruelle et uniquement soucieuse de ses poules et de ses cochons.
… En attendant la révolte qui vient …
Source : ns2017
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