Alcool, sexe et dégradations : un haut fonctionnaire parisien dérape à la préfecture
SAINT-DENIS. L’histoire peut faire sourire, mais elle pose une nouvelle fois le regard sur l’attitude de certains hauts fonctionnaires vis-à-vis de l’Etat et de ses institutions. En juin dernier, un inspecteur général de l’administration en mission dans le cadre d’une visite parlementaire à La Réunion a ravagé, sous l’effet de l’alcool, une chambre de la préfecture lors d’ébats sexuels. Il a été suspendu de ses fonctions.
Au niveau national, nous avons l’affaire Benalla. À un niveau plus local, nous avons une drôle d’histoire qui s’est déroulée dans l’enceinte de la préfecture de La Réunion, mais qui en dit long sur certaines dérives de fonctionnaires au sein de l’Etat. Il aura fallu attendre près de trois mois pour avoir vent de cette histoire peu banale, l’omerta qui l’a entourée a été éventée par les sages du Conseil d’Etat. Ça ne s’invente pas ! (lire par ailleurs)
Tout commence lors de la visite à La Réunion, du 11 au 15 juin derniers, du député LREM et président de la délégation Outre-mer, Olivier Serva. Une mission particulière puisqu’elle porte sur les “conditions permettant d’améliorer le déroulement de carrière des fonctionnaires ultramarins servant en outre-mer.” Au programme, des rencontres avec les députés locaux, acteurs publics et organismes d’Etat en tout genre.
Le député est accompagné pendant tout son voyage par un fonctionnaire de l’Inspection générale de l’administration (IGA) ainsi que d’un contrôleur général économique et financier.
Le gratin de la fonction publique d’Etat. Problème, le premier des deux a visiblement oublié l’intitulé de cette mission parlementaire… Logé à la préfecture dans le cadre de cette visite, il s’est laissé aller à des écarts particulièrement graves qui lui valent aujourd’hui bien des problèmes.
Comportement d’une “star de rock” alcoolisée
Quand un député ou un ministre se déplace à La Réunion, une chambre lui est toujours réservée à la préfecture. C’est le cas aussi pour les accompagnants. Au sein de la bâtisse, il existe une chambre dite “ministre” et une autre chambre pour les “officiers de sécurité”, toutes les deux pourvues de mobiliers en bois de collection, donc particulièrement précieux, très loin du style Ikea. Et lorsque l’on prête la chambre à des fonctionnaires de premier rang, on espère la récupérer en bon état. C’est ce que pensaient les services de la préfecture.
Visiblement, l’inspecteur général de l’administration avait une autre idée derrière la tête et a un peu trop fêté son déplacement sous nos latitudes, abusant des boissons alcoolisées et n’hésitant pas à inviter des “visiteurs d’un soir” dans sa chambre située dans l’aile gauche du bâtiment. Dans les travées de la préfecture, on n’hésite pas à décrire l’individu comme un “sale con” sur le plan humain.
Un comportement digne d’une “star de rock” alcoolisée et sous effets plus habituée aux chambres d’hôtels à détruire, qu’au standing d’une préfecture.
Deux soirs de suite, l’inspecteur est rentré “titubant” devant les yeux de fonctionnaires de police qui gardent l’entrée du bâtiment. Le 13 juin, lors du pot de départ de plusieurs sous-préfets, il a même tenté de voler des bouteilles de champagne. Mais ce n’était rien au regard des épisodes qui ont suivi.
Dans la nuit du 13 au 14 juin, l’inspecteur général de l’IGA s’est lancé dans le déménagement de sa chambre, faisant glisser les meubles précieux jusque sur la terrasse. Après le défilé des conquêtes, les services de la préfecture se sont rendus compte que le parquet de la chambre avait été rayé et quelques objets avaient été cassés. Une soirée qui lui a tout de même valu un premier rappel à l’ordre officiel.
Chaise cassée et draps à jeter
Mais rien n’y fait. Les frasques nocturnes de l’intéressé ont continué de plus belle dès le lendemain. Il a même poussé le bouchon un peu plus loin en arrachant un rideau de douche et cassant une chaise de collection au milieu “d’ébats sexuels”.
Le lendemain au moment de nettoyer la chambre, les agents de la préfecture sont restés prostrés devant le spectacle peu ragoutant. Personne n’avait jamais vu cela au sein d’une préfecture, obligeant l’Etat à racheter pour plus de 400 euros de draps rendus… inutilisables. Après cette folle nuit, le haut-fonctionnaire n’a pas pu se réveiller avant 11 heures du matin, arrivant largement en retard aux réunions de travail. Ce qui n’a pas manqué d’agacer tous les participants.
C’en était trop pour la préfecture qui a téléphoné illico presto au chef de service du fonctionnaire pour faire un signalement. Il a également été demandé aux fonctionnaires de police et agents de la préfecture de réaliser un rapport circonstancié sur les faits et gestes de l’individu. Il faut dire que ce fonctionnaire a déjà sévi sur le même plan dans d’autres contrées d’outre-mer, selon nos informations.
Convoqué par sa hiérarchie, l’inspecteur de l’IGA a été suspendu, le 11 juillet dernier, de ses fonctions en vue de poursuites disciplinaires. Une suspension qu’il a tenté de faire annuler en déposant un référé devant le Conseil d’Etat. En vain.
Le fonctionnaire a soulevé dans son référé que le seul habilité à le suspendre ne pouvait être son chef de service, mais le président de la République Emmanuel Macron en personne. Pourquoi ? Nommé à ce poste par la présidence, il était le seul habilité aux yeux du fonctionnaire à demander à son encontre des poursuites disciplinaires ! Un motif écarté. De toute façon, on voyait mal Macron suspendre un fonctionnaire pour une histoire de sexe et d’alcool qui dégénère quand ce dernier n’a jamais souhaité intervenir dans le dossier de Benalla…
Julien Delarue avec Jérôme Talpin
Une partie de l’histoire étalée sur la place publique
A la lecture du délibéré rendu par le Conseil d’Etat début septembre, nous sommes restés pantois. Il faut dire que l’intéressé n’a pas fait dans la dentelle. Et les sages du Conseil d’Etat ont dû halluciner au moment de lire les faits et gestes de l’inspecteur général. Car pour prendre une décision, ils ont dû s’informer sur le fonctionnaire, son passé, son histoire et ses trophées… Le haut fonctionnaire a tenté de faire annuler sa suspension soulevant la légalité de l’arrêté pris par sa hiérarchie directe, et non le président de la République, seul habilité à le faire à ses yeux. Un vice de compétence et de forme suffisamment grave justifiant l’urgence et donc le référé déposé devant le Conseil d’Etat. Pêle-mêle, les sages écrivent que “la chambre mise à disposition avait subi des dégradations et été restituée dans un état inacceptable. (Il) avait introduit des visiteurs dans l’enceinte de la résidence de la résidence lors de son séjour. Il avait été à plusieurs reprises en état d’ébriété manifeste.” Plus loin : “La matérialité des faits, dont la seule description indique l’ampleur et la gravité, est attestée par des témoignages concordants et précis (…). Le comportement de l’intéressé, en mission et dans l’enceinte de la résidence préfectorale, et les faits qui lui sont imputés étaient de nature à être regardés comme un manquement à ses obligations professionnelles constitutif d’une faute grave.” Pour le Conseil d’Etat, la suspension décidée n’est donc pas disproportionnée. Rien qui ne justifie de suspendre sa suspension. La requête de l’inspecteur de l’IGA a donc été rejetée.
Source : Clicanoo.re
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