Agnès Thibault-Lecuivre, une magistrate nommée à la tête de l’IGPN, «la police des polices»
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’apprête à nommer comme cheffe de l’Inspection générale de la police nationale Agnès Thibault-Lecuivre, une magistrate d’expérience passée par diverses administrations. Une première qui risque de faire du bruit dans la maison police, traditionnellement corporatiste et hostile au regard de la justice.
Source : Police & Réalités
Agnès Thibault-Lecuivre, une magistrate nommée à la tête de l’IGPN, «la police des polices»
INFO LE PARISIEN. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’apprête à nommer comme cheffe de l’Inspection générale de la police nationale Agnès Thibault-Lecuivre, une magistrate d’expérience passée par diverses administrations. Une première qui risque de faire du bruit dans la maison police, traditionnellement corporatiste et hostile au regard de la justice.
Par Jean-Michel Décugis, Jérémie Pham-Lê et Vincent Gautronneau
Le 18 juillet 2022 à 15h00
C’est une petite révolution dans le monde de la police. Selon nos informations, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, va nommer à la tête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) une magistrate : Agnès Thibault-Lecuivre, 41 ans, son actuelle directrice adjointe de cabinet. L’annonce doit être faite après le Conseil des ministres de ce mercredi.
C’est la première fois qu’une personnalité issue du corps judiciaire dirigera « la police des polices », une administration dont les missions sont de contrôler l’action de la police, enquêter judiciairement sur les infractions commises par les fonctionnaires ou administrativement sur les fautes déontologiques ainsi que réaliser des audits sur le fonctionnement de l’institution policière.
Agnès Thibault-Lecuivre succédera à la commissaire Brigitte Jullien, dont le mandat, en demi-teinte faute d’avoir réussi à imprimer sa marque, a été marqué par les violences lors des manifestations des Gilets jaunes et des critiques sur le manque de poursuites visant les policiers auteurs de violences. Avant cela, quatre autres commissaires de police ont dirigé l’IGPN.
La nomination de cette magistrate d’expérience est un symbole fort. L’IGPN est une administration qui suscite des craintes en interne, les policiers jugeant redoutables ses enquêteurs. Mais en externe, notamment du côté des défenseurs des droits de l’homme, elle est parfois soupçonnée de complaisance à l’égard de ses collègues fonctionnaires, voire d’être instrumentalisée politiquement dès lors qu’une affaire devient sensible.
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Si Gérald Darmanin estime que la police des polices est prête à accueillir à sa direction une personnalité extérieure, c’est qu’il se sent renforcé à Beauvau depuis que le président de la République l’a maintenu au gouvernement, en élargissant son portefeuille aux Outre-Mer, malgré le fiasco du Stade de France. C’est aussi une manière pour le ministre de dire qu’il a écouté les conclusions du Beauvau de la sécurité sur la restauration de la confiance entre police et citoyens. Ce colloque sécuritaire avait été lancé en marge de l’affaire Zecler, ce producteur de musique noir roué de coups à Paris par des policiers. Emmanuel Macron avait alors admis pour la première fois l’existence de « violences policières », préférant l’expression « des violences par des policiers ».
Des fonctionnaires souvent hostiles au regard extérieur
Il ne fait guère de doutes que l’arrivée d’une magistrate à l’IGPN fera grincer des dents du côté de certains syndicats de police. Le patron d’Alliance, l’une des principales organisations de gardiens et gradés, n’avait-il pas déclaré que « le problème de la police, c’est la justice » ? Dans la maison police, traditionnellement corporatiste et soudée, où les missions sont difficiles, éprouvantes et peu comprises, les fonctionnaires sont souvent hostiles au regard extérieur, en particulier des magistrats. Au point de monter au front contre cette nomination ?
En réalité, la désignation d’Agnès Thibault-Lecuivre ne constitue pas un si grand risque politique que cela. D’une part, car Gérald Darmanin obtient que l’IGPN reste une administration policière rattachée à la Direction générale de la police nationale (DGPN), et donc au ministère de l’Intérieur. Emmanuel Macron avait pourtant exprimé son souhait en septembre 2021 de voir l’action des forces de l’ordre davantage contrôlée par un « organisme indépendant », non rattaché à Beauvau, comme cela se fait dans d’autres pays. Une option qui n’avait guère de chances de voir le jour en France où les fonctionnaires, peu importe le ministère, sont contrôlés par leurs pairs. A fortiori dans la police, où une technicité particulière est requise pour déterminer l’usage légitime de la force. Par ailleurs, dans le cadre strict des enquêtes judiciaires, celles-ci sont forcément menées par des officiers de police judiciaire (OPJ) habilités, donc des policiers ou gendarmes…
Elle faisait partie de la garde rapprochée de François Molins
D’autre part, car Agnès Thibault-Lecuivre est une magistrate de consensus qui n’a absolument pas la réputation d’être « anti-flic ». Proche du pouvoir actuel, elle vient de passer près de deux ans au ministère de l’Intérieur, d’abord en tant que conseillère justice de Gérald Darmanin puis en tant que directrice adjointe de cabinet, signe de sa compatibilité avec la maison police. Elle a, en outre, activement participé aux débats sur le Beauvau de la sécurité.
Auparavant, cette ancienne parquetière fut l’une de ces quelques jeunes magistrats faisant partie de la garde rapprochée de François Molins lorsqu’il était procureur de la République à Bobigny puis à Paris. Très appréciée des journalistes pour sa disponibilité, sa rigueur, son professionnalisme et son affabilité, cette mère de famille de quatre enfants a œuvré dans l’ombre du haut magistrat lorsqu’il fut le visage de la lutte antiterroriste durant les années noires Daech en s’occupant de sa communication. C’est elle qui préparait les discours qui permirent à François Molins de mettre des mots et des faits derrière l’horreur. Agnès Thibault-Lecuivre a également fait un court passage, bien moins remarqué, au porte-parolat du ministère de la Justice.
« C’est de l’affichage »
« Cette nomination risque de proposer un problème de prérogative et de commandement. La directrice va-t-elle être légitimée dans son action ? Le risque est qu’elle soit déconsidérée », s’émeut déjà un cadre de la police. Dans les couloirs de la police des polices, on estime surtout que la magistrate aura un rôle de représentation, plus qu’un rôle opérationnel. « Cela ne changera rien à l’organisation de l’IGPN, glisse-t-on en interne. C’est de l’affichage. La nouvelle directrice ne pourra pas mettre son nez dans les enquêtes judiciaires car elle n’est pas OPJ (officier de police judiciaire). »
Source : Le Parisien
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