Affaire Zineb Redouane : la famille accuse la police des polices d’entraver l’enquête
Une nouvelle plainte a été déposée pour «faux en écriture publique aggravé». La seule caméra qui aurait pu filmer la scène aurait été en panne ce jour-là…
Zineb Redouane est décédée deux jours après un tir de lacrymogène lors d’une manifestation de Gilet jaunes le 2 décembre à Marseille (Bouches-du-Rhône). DR
A-t-on voulu cacher la vérité dans l’enquête sur la mort de Zineb Redouane, cette octogénaire morte deux jours après un tir de lacrymogène lors d’une manifestation de Gilet jaunes le 2 décembre à Marseille (Bouches-du-Rhône) ? La question se pose sérieusement alors que sept mois après le drame, le policier qui a tiré n’a toujours pas été identifié. Zineb Redouane fermait les volets de son appartement au quatrième étage, lorsqu’elle a reçu le projectile en plein visage.
Dans ce dossier sensible, les écueils judiciaires s’accumulent : non-placement en garde à vue des CRS lors de leurs auditions, absence de saisie des 5 lanceurs de grenade (cougars) utilisés ce jour-là, non-signalement de la présence du procureur adjoint aux côtés des forces de l’ordre lors de la manifestation alors que celui-là même avait en charge le début de l’enquête.
Cette fois, il s’agit du défaut de fonctionnement de la seule caméra positionnée à proximité du lieu d’où la grenade lacrymogène a été tirée. Selon la partie civile, la caméra se trouve exactement dans la trajectoire du tir et devrait filmer en direction de la rue des Feuillants où résidait Zineb Redouane.
Un nouvel obstacle judiciaire, selon Me Yassine Bouzrou, l’avocat de la famille de la victime, qui, comme nous le révélons, a déposé plainte, le 5 juin, pour « faux en écriture publique aggravé ». « Il est particulièrement surprenant que ce soit justement cette caméra qui ait été déclarée inopérante », relève le conseil dans sa plainte que nous avons pu consulter. Selon lui, « la thèse malheureuse du défaut de fonctionnement de la caméra la plus proche des lieux des faits n’est pas crédible, et ce notamment au regard des manœuvres employées […]. »
Dans la jungle des caméras
La partie civile a décortiqué les différents PV de réquisitions effectués par l’IGPN de Marseille auprès du Centre de supervision urbaine (CSU) pour avoir accès aux images enregistrées à proximité du 12 rue des Feuillants.
Dans la première réquisition, le 4 décembre, les images de trois caméras étaient sollicitées. Puis, un peu plus tard, celle d’une quatrième, « la caméra 12AM9 (magasin C&A) ». Le 6 décembre, un officier de la police des polices rédigeait un PV d’exploitation des enregistrements vidéo. On y apprend que les trois premières caméras « permettent de montrer l’ambiance générale sur les lieux ce soir-là ». Pour la quatrième, « l’image est fixe et zoomée en direction du trottoir du magasin C&A, face à la rue des Feuillants, laquelle n’est jamais visible sur les images ». Mais, l’officier relève alors que le CSU leur a indiqué « la présence d’une autre caméra positionnée, au niveau de l’entrée du magasin C&A. » Or, précise-t-il, « bien qu’installée sur la voie publique, (la caméra) n’est pas en ce jour en fonctionnement ».
La partie civile considère qu’elle a été induite en erreur. Car, selon Me Bouzrou, à la lecture des PV, la caméra 12AM9 Canebière (magasin C&A) est présentée comme celle étant la plus proche du lieu du tir alors qu’elle se trouve à 90 m de celui-ci et qu’elle « ne permet pas d’identifier le visage du tireur en raison de la mauvaise qualité des images et du zoom ». Ce qui constitue, selon l’avocat, « une altération de la vérité puisqu’il s’agit d’une présentation tronquée de la réalité ».
200 grenades tirées ce jour-là
Qui est l’auteur du tir ? Cette question centrale demeure à ce jour sans réponse. Fin janvier, les enquêteurs de l’IGPN ont entendu les cinq CRS dotés de lanceurs de grenade qui se trouvaient sur les lieux, ainsi que le capitaine qui les dirigeait. Confrontés aux images de vidéosurveillance, aucun n’a désigné le tireur, ou n’a reconnu avoir tiré. Au total, ce jour-là, 200 grenades avaient été tirées, peut-on lire dans les auditions, révélées par Mediapart.
Sur les images, un CRS fait un tir « en cloche » en direction de l’immeuble de l’octogénaire, puis quelques secondes après prend du recul et regarde à plusieurs reprises face à lui. Trois policiers ont contesté être l’auteur du tir, car l’un portait une barbe, l’autre des lunettes et une cagoule, alors que le CRS en question n’en a pas sur les images. Les deux autres ne se prononcent ni dans un sens, ni dans l’autre.
Le numéro de série de la grenade qui a touché Zined Redouane, retrouvée dans l’appartement, ne permet pas non plus d’identifier le tireur, car il s’agit d’une munition de « remplacement », après l’épuisement d’un premier stock, selon les CRS.
Un magistrat présent… mais qui oublie de se signaler
La présence d’un vice-procureur aux côtés des policiers sur le terrain ce jour-là a été rapportée par les CRS. Mais, comme l’a révélé le site de Mediapart, le magistrat n’aurait pas fait état de sa présence avant. Ce qui a conduit Robert Gelli, le procureur général de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, a demandé, en juin, le dépaysement de l’enquête sous la pression de l’avocat Me Bouzrou. La Cour de cassation doit se prononcer prochainement. Le journal La Marseillaise a publié vendredi la photo du magistrat vêtu d’un casque, grosses lunettes de protection et d’un brassard du parquet.
Aucun des cinq lanceurs de grenades utilisés ne semble avoir été saisi à ce jour. Malgré la demande de l’IGPN qui, dès le 7 décembre, demandait au patron des CRS de la zone Lyon de « neutraliser le fusil cougar », afin de pouvoir le placer sous scellé pour expertise. Mais le tireur n’étant pas identifiable parmi les cinq fonctionnaires habilités à utiliser cette arme, celle-ci ne l’était évidemment pas plus.
Étrangement, les cinq fusils n’ont pas été saisis « au regard d’impératifs de service », la compagnie ne disposant que de cinq fusils « cougar » qui devaient être à nouveau engagés dès le samedi suivant sur une nouvelle manifestation. Le 2 juillet, l’avocat de la famille avait déjà porté plainte auprès du procureur de la république de Marseille pour « altération et soustraction de preuves ».
Contacté, le parquet de Marseille n’a pas répondu à nos sollicitations.
Source : Le Parisien
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