Affaire Mila : non, Nicole Belloubet, « l’insulte à la religion » n’est pas « une atteinte à la liberté de conscience »
« Dans une démocratie, la menace de mort est inacceptable. C’est absolument impossible, c’est quelque chose qui vient rompre avec le respect que l’on doit à l’autre », a insisté la garde des Sceaux. – Capture
Est-ce un point de vue moral, ou une méconnaissance coupable du droit français ? Interviewée sur Europe 1 ce mercredi 29 janvier sur l’affaire Mila, cette adolescente menacée de mort sur les réseaux sociaux pour avoir vertement critiqué l’islam, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a certes reconnu que de telles menaces étaient « inacceptables » et « absolument impossibles« , tout en ajoutant cependant que « l’insulte à la religion [était] évidemment une atteinte à la liberté de conscience« . Or, et c’est un principe juridique fondamental : en France, « l’insulte à la religion » – autrement dit, le blasphème – n’est pas un délit.
« Dans une démocratie, la menace de mort est inacceptable. C’est absolument impossible, c’est quelque chose qui vient rompre avec le respect que l’on doit à l’autre. L’insulte à la religion, c’est évidemment une atteinte à la liberté de conscience, c’est grave, mais ça n’a pas à voir avec la menace« , a précisément déclaré la ministre de la Justice.
Deux enquêtes ouvertes
Rappel de l’affaire Mila : l’adolescente, scolarisée en seconde dans un lycée de la région lyonnaise, échange avec ses abonnés le 19 janvier dernier. L’un d’eux se met à l’insulter, mêlant accusations de racisme et homophobie – l’adolescente est lesbienne et affiche le drapeau LGBT sur son profil : « sale française« , « sale pute« , « sale gouine« … Les menaces prenant un caractère religieux, Mila poste alors sur sa « story » Instagram un message dans lequel elle rejette toutes les religions, et se fait apostropher par des internautes qui l’accusent d’insulter « notre dieu Allah, le seul et l’unique » en lui souhaitant de « brûler en enfer« . Ne s’en laissant pas compter, Mila publie une nouvelle vidéo, dans laquelle elle affirme notamment : « Je déteste la religion, (…) le Coran il n’y a que de la haine là-dedans, l’islam c’est de la merde, c’est ce que je pense. (…) Votre religion, c’est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir. »
Ces propos ont valu à l’adolescente une vague de menaces de mort et la divulgation d’une part de ses informations personnelles. Elle a dû renoncer à se rendre au lycée, sa sécurité ne pouvant être assurée. En réaction, le parquet de Vienne, dans l’Isère, a ouvert deux enquêtes : la première « du chef de menaces de mort, menace de commettre un crime, harcèlement et usage de l’identité ou de données d’identification d’autrui en vue de porter atteinte à la tranquillité et à l’honneur fait l’objet d’investigation de spécialistes en cybercriminalité« , pour retrouver et poursuivre les auteurs de ces menaces « gravement attentatoires à l’intégrité » de l’adolescente, selon le procureur de la République, Jérôme Bourrier. La seconde enquête a été ouverte pour « provocation à la haine raciale« , afin, selon le parquet, de « vérifier si les propos tenus sur la vidéo diffusée [par la jeune fille] sont de nature à recouvrir une qualification pénale ou s’inscrivent dans la liberté d’expression reconnue à chacun et constituant un principe à valeur constitutionnelle« .
De quelle qualification pénale parle le ministère public ? Le procureur fait ici référence à l’article 24 de la loi du 21 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui s’applique par extension à toute forme d’expression. Cette dernière a été modifiée par la loi Pleven de 1972, qui a introduit dans le droit français le délit de provocation à la haine. L’article 24 de la loi prévoit ainsi que « ceux qui auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement« .
« Le blasphème qui outrage la divinité ou la religion, n’est pas réprimé »
Cette loi pose bien une limite à la liberté d’expression, telle que la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen – à valeur constitutionnelle en droit français – la définit. Les articles 10 et 11 de la DDHC affirment, d’une part, que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi« , et, d’autre part que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi« . Mais cette limite ne concerne qu’une discrimination « à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes« .
Avec la loi Pleven de 1972 s’est donc posée la question de savoir si insulter une religion, ses symboles ou ses figures revenait à insulter ses adeptes, ce qui tomberait sous le coup de la loi. Les tribunaux ont clairement répondu par la négative, notamment lors du procès intenté à Charlie Hebdo en 2007, après la publication des caricatures de Mahomet. Dans son jugement du 22 mars 2007, confirmé en appel en 2008, le TGI de Paris avait ainsi affirmé : « En France, société laïque et pluraliste, le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions quelles qu’elles soient et avec celle de représenter des sujets ou objets de vénération religieuse ; le blasphème qui outrage la divinité ou la religion, n’y est pas réprimé à la différence de l’injure, dès lors qu’elle constitue une attaque personnelle et directe dirigée contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse. »
En résumé : comme le confirme la jurisprudence, il est possible, en France, de s’en prendre à un culte, mais interdit d’insulter ses adeptes. N’en déplaise à la garde des Sceaux, « l’insulte à la religion » n’est donc pas, en droit, ni « grave« , ni une « atteinte à la liberté de conscience« .
Source : Marianne
Laisser un commentaire