Affaire Legay: informer n’est (toujours) pas un délit
En France, en 2020, un policier a été suspendu de ses fonctions par le ministère de l’intérieur parce que suspecté d’être une source de Mediapart — évidemment nous n’en dirons rien — dans l’affaire Geneviève Legay. Il s’agit d’une atteinte pure et simple à la liberté d’informer.
Il s’agit d’une atteinte pure et simple à la liberté d’informer. En France, en 2020, un policier a été suspendu de ses fonctions par le ministère de l’intérieur parce que suspecté d’être une source de Mediapart — évidemment nous n’en dirons rien — dans l’affaire Geneviève Legay.
Dans ce dossier de violences policières, qui porte le nom d’une militante d’Attac de 73 ans gravement blessée en mars 2019 lors d’une manifestation à Nice, les informations publiées par Mediapart sous la plume de Pascale Pascariello avaient pourtant permis de prouver le mensonge du procureur de la République de la ville et du président de la République en personne, qui, l’un comme l’autre, s’étaient empressés de dédouaner la police contre la vérité des faits.
Les informations de Mediapart étaient à ce point justes que le procureur en question, Jean-Michel Prêtre, a dû se dédire avant d’être muté d’office par sa hiérarchie à la suite d’une enquête interne menée par les services judiciaires de la Chancellerie.
Dans un courrier de son directeur, envoyé le 1er août 2019 au magistrat niçois, on pouvait notamment lire : « Votre action en qualité de procureur de la République de Nice […] manifestée notamment par des communications publiques, est marquée depuis plusieurs mois par une perte de crédibilité, de nature à mettre à mal l’image de l’institution judiciaire et à rendre difficile l’exercice de vos missions, ainsi que le fonctionnement même de votre parquet dans ce contexte. »
Que s’est-il passé depuis ?
Sur le fond du dossier de violences policières, dont les investigations ont été dépaysées à Lyon après une tentative d’étouffement à Nice, rien.
En revanche, parallèlement, une enquête pour identifier les sources de Mediapart a été ouverte par le parquet de Nice et confiée à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices. Celle-ci, particulièrement diligente quand il s’agit d’identifier les sources (réelles ou supposées) d’un organe de presse, a entendu, ce 26 mai, comme suspecte de « recel de violation du secret professionnel » notre reporter Pascale Pascariello.
Entendu le lendemain par l’Assemblée nationale, l’ex-procureur de Nice Jean-Michel Prêtre s’est même dit « rassuré » que des investigations aient cours sur les sources de Mediapart, sans que cela ne semble susciter l’indignation de grand monde.
Et ce vendredi 29 mai, une dépêche de l’Agence France Presse (AFP) nous apprend que la supposée source de notre journal, un policier de la de la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) des Alpes-Maritimes, a été sanctionnée.
La justice (qui a ouvert une enquête), la police (qui mène les investigations), le ministère de l’intérieur (qui sanctionne) et tous ceux (qui, dans le monde politique et au-delà, se taisent) semblent l’avoir oublié, mais la liberté de la presse est un pilier de la démocratie dont le présupposé, pour ne pas être qu’une incantation, est la protection des sources des journalistes.
Notre métier, précisément, consiste souvent à obtenir des informations auprès de personnes qui ne sont pas censées nous en donner. Faute de quoi, les journalistes seraient condamnés à passer leur temps à recopier des communiqués de presse et à s’accommoder en toutes circonstances des versions officielles.
Ce n’est pas par hasard que la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH), justice supranationale à laquelle la France doit se conformer, a expliqué dans deux arrêts célèbres que la protection des sources journalistiques est « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse » (arrêt Goodwin, 1996), laquelle liberté consiste à publier des informations « qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population » (arrêt Handyside, 1976).
L’enquête de police et judiciaire dont Mediapart est la cible dans l’affaire Legay s’inscrit dans une série d’entraves au travail de la presse particulièrement inquiétante.
Rappel :
- Février 2019 : deux magistrats du parquet de Paris, accompagnés de policiers de la Brigade criminelle, ont tenté de perquisitionner notre rédaction dans l’affaire Benalla, à la suite de la révélation d’enregistrements compromettants pour l’ancien collaborateur du président de la République.
- Avril 2019 : des journalistes du collectif Disclose, dont les informations avaient été publiées par Mediapart et d’autres médias, ont été entendus comme suspects par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) pour avoir révélé une note classifiée prouvant les mensonges du gouvernement et de l’Élysée sur l’utilisation d’armes françaises dans la guerre au Yémen, qui a fait des milliers de morts civiles.
- Mai 2019 : une journaliste du Monde, Ariane Chemin, et le directeur de la publication du quotidien, Louis Dreyfus, sont à leur tour entendus comme suspects par la DGSI en marge de l’affaire Benalla.
- Octobre 2019 : quatre journalistes de Mediapart, dont son directeur de publication, Edwy Plenel, sont convoqués comme suspects par la police judiciaire pour avoir révélé l’identité et le parcours sinueux d’un proche de Benalla, toujours en fonction à l’Élysée et spécialiste de l’infiltration et de l’effraction.
« Il y a la protection des sources, on la protège et j’y veille », avait déclaré, en mai 2019, le président de la République Emmanuel Macron. Il a menti.
La SDJ de Mediapart condamne avec fermeté ces méthodes et considère cette enquête comme attentatoire à la liberté de la presse. Ce n’est pas acceptable.
Source : Médiapart
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