Affaire Cnews: Lettre ouverte de notre avocat à Madame PARLY
Une lettre ouverte d’un de nos avocats, maître DANGLEHANT, à Madame Parly, ministre de la Défense, dans laquelle il met en évidence les faiblesses ou certaines failles juridiques de la procédure engagée contre nous sur la tribune des anciens militaires.
Tous ces documents sont « ouverts » et peuvent donc être partagés ou rediffusés, en tout ou partie, sur des blogs ou sites. Je fais observer aux lecteurs que je ne fais que défendre notre cause face aux attaques dont ses défenseurs sont les objets, avec pour devise : « ne pas subir ». La polémique n’a pas été initiée par nous, elle n’aurait jamais du exister et je serai bien évidemment très heureux d’y mettre un terme lorsque les conditions seront réunies.
A la fin de la lettre ouverte voir la note de la rédaction de Profession-Gendarme :
Note de la rédaction de Profession-Gendarme :
Pour une meilleure compréhension de l’argumentaire de Maitre François DANGLEHANT, nous vous invitons à lire un article du journal L’Express en date du 08/08/1991 intitulé « Les regrets d’un serviteur de Vichy ».
Les regrets d’un serviteur de Vichy
Monsieur Ingrand a du chagrin. Il rumine le même remords depuis des dizaines d’années: «Je me suis trompé, ce n’est pas ce qu’il fallait faire.» Cet octogénaire fatigué résume l’histoire de sa vie à une «erreur de discernement»: avoir accepté de devenir, il y a cinquante ans, l’un des grands commis du régime de Vichy. N’avoir pas compris alors qu’il entrait dans l’Histoire du mauvais côté. Et avoir persisté dans 1′ «erreur», jusqu’à détenir l’un des records de longévité de l’époque en occupant, à Paris, de juillet 1940 à janvier 1944, le poste de représentant du ministre de l’Intérieur. Il choisira ensuite de se faire oublier, en exil en Argentine. Sans rompre complètement avec la France: il est aujourd’hui président de l’Alliance française à Buenos Aires.
Le cas Ingrand apparaît à la fois exceptionnel et exemplaire. L’exception tient à l’expression de ces regrets, rarissimes parmi les anciennes éminences grises de Vichy. Mais sa carrière, comme ses ennuis d’après-guerre, illustre bien le rôle qu’ont joué dans cette période toute une cohorte de brillants hauts fonctionnaires, finissant par se trouver au c?ur des événements les plus tragiques de la collaboration, au terme d’un engagement qui doit plus à un carriérisme aveugle et à une conception technocratique du service de l’Etat qu’à des raisons strictement idéologiques. Ils restent les acteurs de ce paradoxe vichyste qui a vu des grands commis assumer, en maniant les rouages de l’administration, des déshonneurs et des crimes parfois plus lourds que ceux des ultracollaborationnistes, vociférant, mais dénués de véritables pouvoirs. Jean-Pierre Ingrand ne renie pas ses actes pris un à un. Ce qu’il a fait, «c’est ce qu’il fallait faire» là où il était. Le regret est total: il ne fallait pas y être, justement. Ne pas commencer. Ne pas engager le petit doigt, qui l’a notamment entraîné à participer à l’une des plus tragiques ignominies de Vichy: la création, il y a tout juste cinquante ans, des tribunaux d’exception baptisés «Sections spéciales», lieux du reniement de toutes les traditions juridiques françaises.
Le petit doigt?
Il l’a mis dans les intrigues de juin et juillet 1940, lors de l’avènement de Pétain sur les décombres de la IIIe République. L’heure des reclassements, des choix. Et des promotions foudroyantes pour certains hauts fonctionnaires. Le jeune Jean-Pierre Ingrand, 35 ans, est l’un des plus brillants de sa génération. De ceux que l’on s’arrache dans les cabinets ministériels. Peu de temps après sa réussite à Sciences po, puis au concours du Conseil d’Etat («C’était alors le top de la haute fonction publique», insiste-t-il aujourd’hui), il fut à 28 ans, chargé de mission auprès d’AIbert Sarraut, alors président du Conseil. Puis directeur du cabinet de William Bertrand, ministre radical-socialiste de la Marine marchande et grand franc-maçon devant l’Eternel. Il vivra donc très logiquement la drôle de guerre mobilisé comme chef de cabinet, auprès de Charles Pomaret, ministre du Travail, puis de l’lntérieur, suivant ainsi le gouvernement en déroute dans son périple à travers la France, jusqu’à Bordeaux. Paul Reynaud, qui eut le projet de refuser l’armistice, le charge d’organiser la logistique du passage du gouvernement à Alger. Avant de se dérober, laissant la voie à Pétain.
L’ère Pétain ouvre une frénétique période de reclassement-épuration au sein de l’administration française. Jean-Pierre Ingrand se voit propulsé, le 27 juin 1940, à la tête de l’importante Direction de l’administration départementale et communale, au ministère de l’Intérieur. Puis, dès le 6 juillet, au poste stratégique de représentant du ministre de l’Intérieur au sein de la délégation de Vichy auprès des Allemands, dirigée à Paris, en zone occupée, par Léon Noël. Qui démissionne un mois plus tard. Jean-Pierre Ingrand reste avec son successeur, le général La Laurencie. Celui-ci démissionne à son tour en dé?mbre 1940, sur pression allemande pour avoir fait arrêter Marcel Déat. Jean-Pierre Ingrand (surnommé «I’Anguille» dans le corps préfectoral et «Passe-partout» au Conseil d’Etat) demeure auprès du nouveau délégué général, Fernand de Brinon. L’ «erreur de discernement» se répète lors de la nomination de Pierre Pucheu, qui sera un ministre de l’Intérieur actif et très répressif. «Il faut bien comprendre qu’ils ont accepté tout ça, ?s jeunes prodiges!» précise Pierre Aubert, sous-préfet à l’époque et aujourd’hui historien de la préfectorale. «Ingrand, comme quelques autres? a bénéficié d’une accélération de carrière comme on n’en a jamais vu. Rien ne les obligeait à accepter. Mais, pour eux cétait trop beau, c’était inespéré. Moi, j’ai démissionné en 1941! D’une sous-préfecture!»
Le tandem Brinon-Ingrand va ainsi fonctionner pendant plus de deux ans: une tête du collaborationnisme et un petit génie du service public. Joseph-Barthélemy, alors garde des Sceaux, a dressé dans ses Mémoires un portrait de ? conseiller d’Etat élevé, à 35 ans, au grade de préfet régional de première classe hors cadre: «Je me rappelle la prestation de serment des préfets: il avait l’air d’un collégien en uniforme, suivant ses patrons Pucheu et Brinon comme un porte-cierge.» Les problèmes de communication entre Vichy et Paris laissent au délégué Ingrand, intermédiaire entre le ministre de l’lntérieur et l’administration militaire allemande, une certaine autonomie. Ses compétences sont vastes, proches de celles d’un ministre de l’Intérieur en zone occupée. Son instruction de mission, signée par Pétain le 11 août 1941, lui attribue des pouvoirs de négociation de politique générale. «Il jouera un rôle de premier plan, capital, peut-on même affirmer, pendant ces quatre années, précise Pierre Aubert. Sa personnalité l’imposera de plus en plus et le rendra aussi indispensable qu’inamovible. C’est un véritable ministre «in partibus».»
Il occupe une grande partie de son temps à inspecter les 48 préfets de la zone nord («Fonctionnaire de valeur, mais prisonnier du régime ancien», avait-il noté sur le dossier du préfet Jean Moulin). A organiser la protection des populations contre les bombardements, grâce au Service interministériel contre les événements de guerre, qu’il a créé. Mais ses activités couvrent tous les domaines. C’est, par exemple, lui qui obtient, à la demande de Sacha Guitry, la levée de l’interdiction de l’Académie Goncourt. Et il lui arrive aussi d’intervenir dans les questions d’aryanisation économique ou de répression policière. Lors des premières vagues de sabotages, en 1941, il se propose, dans le cadre de la politique officielle de collaboration d’Etat, de «renforcer, en les conjuguant les moyens d’investigation dont disposent les polices française et allemande». Donnant aux services de police français les «instructions les plus formelles pour communiquer aux autorités allemandes toutes les informations et les éléments d’enquête qui seraient en leur possession, et cela afin d’accorder aux services allemands le concours le plus entier dans l’exécution d’une tâche d’intérêt commun».
Son nom reste surtout associé au sinistre épisode de la Section spéciale de Paris, après la première exécution d’un militaire allemand sur le territoire français (1). Le 21 août 1941, Alfons Moser est tué par Pierre Georges (le futur colonel Fabien) au métro Barbès. L’affront est énorme pour les occupants, et Hitler demande à être immédiatement informé des représailles envisagées. Le lendemain matin, le major Beumelburg, représentant de la Wehrmacht à Paris, convoque Jean-Pierre Ingrand et exige que Vichy exécute 6 Français, selon la tactique adoptée, consistant alors, pour des raisons d’efficacité, à faire endosser au maximum par l’Etat français les tâches de répression: les exécutions françaises ont, selon Beumelburg, «plus d’effet» que les exécutions allemandes. Cela sous la menace de procéder à l’exécution de 50 otages. En début d’aprèsmidi, Fernand de Brinon et Jean-Pierre Ingrand, qui ont téléphoné au général Laure (secrétaire général de Pétain), à Vichy, remettent aux Allemands une note dans laquelle le gouvernement s’engage à installer au plus vite le tribunal spécial qui fait justement l’objet d’un projet depuis quelques semaines. Sur instructions de l’amiral Darlan, chef du gouvernement, il s’agissait de concevoir une juridiction d’exception prononçant des peines capitales contre les communistes, auteurs de «menées antinationales», dont Vichy redoute le passage à la lutte armée depuis l’invasion de l’URSS par le Reich. Le projet, présenté par Pierre Pucheu, envisage une procédure expéditive, des décisions non motivées et sans appel, et la peine capitale pour des actes jusqu’alors qualifiés de délits.
La note Ingrand prévoit que ce tribunal, aussitôt créé, jugera 6 chefs communistes parmi les plus importants alors détenus. Brinon et Ingrand ajoutent verbalement que la loi sera appliquée rétroactivement à 6 personnes et que, comme convenu, il s’agira de condamnations à mort immédiatement exécutées – la note ne le précisant pas pour ne pas donner l’impression que l’indépendance de la justice est violée. Ils indiquent même en sus que «la sentence prononcée par le tribunal spécial serait exécutée de manière exemplaire par décapitation à la guillotine sur une place de Paris». Toujours le 22 août, à 19 h 45, Beumelburg annonce à Brinon que l’administration militaire accepte les mesures prévues par la note d’Ingrand. Mais il la corrige en demandant que le tribunal siège à huis clos, que l’exécution ait lieu au plus tard le 28 août et s’oppose à la proposition zélée des Français en recommandant que la «décapitation n’ait pas lieu sur une place publique». Hitler est tout de suite informé de ces engagements. Dans un rapport rédigé le jour même, Beumelburg note que «l’effet rétroactif d’une loi pénale signifie l’abandon du sacro-saint principe libéral «Nulla poena sine lege» [Pas de peine sans loi]», que la promesse de donner des instructions de sentence à un tribunal «rompt avec le principe de la séparation des pouvoirs» et qu’ainsi le gouvernement français «s’engage dans de nouvelles voies pour l’établissement d’un ordre étatique nouveau».
Reste à trouver des juges acceptant la besogne
Le 23 août, dans l’après-midi Jean-Pierre Ingrand convoque Louis Rousseau, représentant du garde des Sceaux, I’avocat général Victor Dupuich, Maurice Gabolde, procureur de l’Etat à Paris, et Werquin, représentant du premier président de la cour d’appel, Francis Villette, et leur donne connaissance du texte de loi. Pour qu’ils avalisent la man?uvre. Abasourdis, les magistrats refusent d’abord cette infamie. Ingrand, au téléphone, appelle à la rescousse Dayras, représentant à Paris du garde des Sccaux, qui se borne à souligner qu’en zone occupée les décisions relèvent de Pucheu. Finalement, Maurice Gabolde (qui sera garde des Sceaux en 1943) accepte, seul, de rédiger la disposition sur la rétroactivité. Pour contourner l’hostilité manifeste des magistrats présidents de cour, Pucheu décide de modifier la future «loi»: les juges de la Section spéciale ne seront plus nommés par des magistrats, mais par le garde des Sceaux lui-même. Celui-ci, Joseph Barthélemy, qui a enseigné à des générations de Sciences po les grands principes du droit français, fait donc route vers Paris. Le 25 août, à 16 heures, il reçoit une dizaine de magistrats convoqués quelques heures auparavant. Tous les présidents de chambre refusent. Le ministre de la Justice trouvera finalement un vice-président, Michel Benon qui accepte. Le soir même, la Section spéciale de Paris est constituée. Essentiellement de magistrats aux carrières poussives. «J’ai l’impression de courir sur une plage avec une bougie allumée par grand vent…», dira Joseph Barthélemy à Jean-Pierre Ingrand.
Reste à trouver des victimes
Le choix étant limité, on doit puiser dans les dossiers en appel. Le 26, des avocats, parmi les plus jeunes du barreau, sont commis d’office. Le tribunal se réunit le 27 au matin et prononce 3 condamnations à mort. L’échantillon est symbolique. Un communiste (André Bréchet, 40 ans, responsable parisien du PCF, condamné neuf jours plus tôt à quinze mois de prison), un ancien droit commun (Emile Bastard, 45 ans, condamné à deux ans de prison pour propagande communiste) et un juif (Abraham Trzebrucki, 57 ans, marchand ambulant, condamné six semaines plus tôt pour usage de faux papiers). Ils seront tous les trois guillotinés le lendemain.
Mais la machination s’enrayera d’elle-même: éc?urés par le rôle qu’ils acceptent de jouer et les réactions que cela suscite, les juges de la Section spéciale ne prononcent plus que des condamnations à perpétuité. D’où la colère d’Otto von Stülpnagel, commandant militaire en France, qui rappelle la promesse formulée par le préfet Ingrand: 6 condamnations à mort immédiatement exécutées. Il faudra que Pucheu contourne l’obstacle en mettant sur pied, le 7 septembre, un «tribunal d’Etat» – composé de magistrats, de hauts fonctionnaires et de militaires, nommés par le gouvernement – qui, le 20 et le 21 septembre, condamnera à mort 3 militants communistes, guillotinés dès le lendemain.
Jean-Pierre Ingrand se souvient de cette affaire. Et de sa monstruosité: «Sur le moment, j’en ai parlé à mon père, qui était alors président de cour d’assises. Il s’est dressé sur son fauteuil en me disant que c’était inadmissible, scandaleux.» Mais il minimise sa responsabilité: «J’étais simplement une boîte aux lettres, un relais, à un moment où j’étais l’un des plus hauts représentants de Vichy à Paris.»
La fin de l’année 1943 constituera pour Jean-Pierre Ingrand, comme pour beaucoup de vichystes, le temps du retournement, ou du double jeu. Il va voir Alexandre Parodi, délegué du général de Gaulle en zone occupée. Parce que c’est un collègue du Conseil d’Etat et que leurs épouses sont très liées. «Je lui ai offert mes services. Cela ne lui a rien fait du tout, cela ne l’a pas intéressé.» Le grand résistant l’éconduit courtoisement: il fallait y penser avant… Il parvient quand même, à partir de septembre 1943, à entrer en contact avec l’Organisation de résistance de l’armée (ORA) du général Revers, qu’il renseigne sur les rapports entre Vichy et les Allemands. Puis, en octobre 1943, il alimente en vraies-fausses cartes d’identité de la préfecture de police le réseau de Jean-Louis Vigier.
C’est aussi l’époque où il réagit aux rafles de juifs qui, en 1943, atteignent de plus en plus des Français alors qu’il avait rendu compte avec zèle des rafles qui ne concernaient que les juifs étrangers au printemps 1941. Ces prises de distances aboutissent finalement à sa démission, quand le chef de la Milice, Joseph Darnand, remplace René Bousquet à la tête de la police en janvier 1944. «Je suis allé voir Pétain pour lui expliquer qu’il m’était impossible de continuer mes fonctions depuis la nomination de Darnand. Il m’a dit: «Ah! si tout le monde démissionne, alors! Si tout le monde suit votre exemple, tous les bons éléments vont partir._C’est ce que vous devriez faire maintenant», lui ai-je répondu. Il m’a demandé de rester, j’ai refusé.» Quelques mois seulement après sa réintégration au Conseil d’Etat, en mars 1944, arrive la libération de Paris. Prévoyant son sort, Jean-Pierre Ingrand se cache, avec de faux papiers. Le 8 septembre, il est inculpé d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat et révoqué sans pension du Conseil d’Etat par décret signé par de Gaulle. Sa femme, dont le père fut résistant, le quitte_ «Elle disait qu’elle ne pouvait plus vivre avec un «collabo»! J’aurais tout entendu, on m’a même accusé d’antisémitisme!» _et demande le divorce. Dînant chez des amis, il est dénoncé par la concierge, arrêté, et emprisonné, à Fresnes, le 22 mai 1945. Grâce aux témoignages de JeanLouis Vigier, du général Revers, de Parodi et de Frédéric Joliot-Curie (qu’il avait aidé en 1940 à mettre le radium français à l’abri des Allemands), ce nouveau proscrit est remis en liberté provisoire le 8 août suivant. L’affaire sera finalement classée le 27 mai 1947. L’instruction lui a reproché son avancement exceptionnel, son titre de second de Brinon et son rôle dans l’arrestation d’un réseau de résistants en juillet 1942. Mais on ne lui accorde qu’une fonction d’intermédiaire dans l’affaire de la Section spéciale, et les témoignages de Vigier, de Revers et de Joliot-Curie furent déterminants.
Plusieurs conseillers d’Etat, qui digèrent mal cette issue conciliante, s’efforcent de la remettre en question. Le 30 juillet 1947 une nouvelle procédure et un mandat d’arrêt sont lancés grâce à de nouveaux documents, provenant des archives allemandes de l’hôtel Majestic, et donnant des précisions sur sa collaboration avec les Allemands après l’évasion de prisonniers communistes du camp de Châteaubriant. Dirigeant alors à Paris une société d’importation de coton, Jean-Pierre Ingrand décide de fuir en Suisse. Puis en Argentine. Dans ce pays sûr qui n’a pas de convention d’extradition avec la France, la Banque de Paris et des Pays-Bas (très active, pendant l’Occupation, dans le financement des entreprises françaises travaillant pour l’Allemagne) lui a trouvé un emploi: la direction de l’une de ses filiales la Compagnie financière des chemins de fer de Santa Fe. Une nouvelle vie. Son procès vient tardivement. Le 6 novembre 1948, il est acquitté. Cas rarissime d’acquittement par contumace. C’est l’époque des conciliations: I’année suivante, René Bousquet, chef de la Police de Vichy, sera relevé de ses condamnations, pour faits de résistance…
A Buenos Aires, Jean-Pierre Ingrand met ses talents d’administrateur au service de l’Alliance française. En vingt ans, il en fait le plus beau fleuron au monde, avec plus de 30 000 élèves, et une multitude de succursales réparties dans tout le pays. Seul rappel du passé: lors de la visite du général de Gaulle au cours de son grand périple en Amérique latine, en octobre 1964, Margerie, ambassadeur de France en Argentine, le convoque et lui demande, étant donné son passé, et «pour éviter tout incident», d’aller prendre quelques jours de vacances, par exemple au Brésil… Refus de l’ancien conseiller d’Etat révoqué en 1944: il est chez lui à Buenos Aires, il est chez lui à l’Alliance française. De plus, il a connu de Gaulle à Bordeaux en juin 1940, lorsqu’il était sous-secrétaire d’Etat à la Guerre dans le gouvernement Reynaud, et il est curieux des retrouvailles. Tout se passe bien: il présente l’Alliance au Général, qui se contente de lui envoyer une apostrophe très gaullienne: «Alors, Ingrand, ça marche l’Alliance française, à Buenos Aires?»…
De Gaulle
Ce remords obsède depuis si longtemps Jean-Pierre Ingrand. «Il ne fallait pas rester, il fallait aller à Londres, tout de suite, tout de suite. J’ai considéré que je pouvais être plus utile à Paris. J’ai eu tort. Je me suis trompé. Le plus diffficile, en période de crise, ce n’est pas de faire son devoir, c’est de le discerner avec clairvoyance. C’est très diffficile.
– Vous dites ça en pensant à votre belle carrière brisée?
– Je dis ça en pensant à ma carrière, bien sûr, mais aussi pour des raisons… éthiques.»
Source : L’Express
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