A BAS BRUIT

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Une première chose sidérante est qu’un homme radicalisé et connu comme tel dans son service ait pu être habilité « secret défense » par l’Etat français afin de travailler pendant plus d’une décennie dans le cœur nucléaire du renseignement pour la lutte contre le terrorisme notamment islamiste. Que dirait-on d’un paysan qui nourrirait tous les jours un renard au cœur même de son poulailler? Qu’il est cinglé? Oui, et on aurait raison…

Une autre chose est qu’on apprend de la bouche même du ministre de l’Intérieur auditionné par les sénateurs qu’il existe actuellement une vingtaine de policiers radicalisés mais qui sont suivis nous dit Castaner -par des fonctionnaires parmi lesquels se trouvent peut-être aussi des radicalisés pas encore détectés? Que dirait-on cette fois-ci d’un paysan qui nourrirait tous les jours un élevage de renards au milieu de ses poules?  Qu’il est vingt fois plus cinglé que le précédent. Et l’on aurait encore raison…

La question des journalistes et des éditorialistes est: « que faut-il en faire? », et chacun de piquer du nez dans son assiette médiatique. Les plus audacieux évoquent un reclassement -ce qui, en filant la métaphore, signifie: on déplace les renards, mais on les garde pas bien loin des poules, à portée de gorge…

La gauche crie à l’islamophobie: un radicalisé est peut-être un terroriste en puissance mais dire qu’il l’est en puissance est un procès d’intention, il faut qu’il le soit en acte. Et encore car, quand le terroriste en puissance est devenu terroriste en acte et qu’il a laissé quatre cadavres dans leur sang sur le sol, on finit tout de même par expliquer que la tuerie n’a rien à voir avec l’islam, qu’on pratique l’amalgame, etc. De bonne âmes frottées de sophistique vont même jusqu’à affirmer que le policier ayant arrêté le terroriste dans sa course aurait pu tirer dans les jambes pour épargner cette vie précieuse ou que, affligé de surdité, le tueur qui brandissait un couteau n’a pu entendre les diverses sommations qui lui ont été faites et qu’il y a là quelque chose comme une illégalité, un vice de forme ou de procédure qui pourrait bien se retourner contre… le policier qui arrête le massacre! D’ici à ce qu’un avocat propose bientôt dans un procès d’indemniser la famille du renard qui a répandu la terreur, il n’y a qu’un pas…

La droite regarde ce que pense la gauche, et comme elle a peur que les médias disent qu’elle fait le jeu de l’extrême droite, elle bafouille la même chose, avec quelques variantes infinitésimales pour bien marquer la différence: elle est d’accord pour éloigner le renard du poulailler, mais de dix centimètres seulement, un plus loin que la gauche…

En fait, ces gens-là pensent tout bas ce que Hadama Traoré de Gonesse, qui voulait organiser une manifestation de soutien au tueur, clame tout haut: le terroriste n’est pas un terroriste, c’est « une crème » -c’est son mot…- poussée à bout par son chef de service, une meuf blanche qui l’avait dans le nez et qui persécutait un homme de couleur, qui plus est musulman et handicapé. Harpon était donc dans un état de légitime défense quand il a tué… Conclusion: le renard était une poule et les poules, des renards… On a désormais l’habitude de ces inversions de valeurs en tout.

Je suis tout de même étonné qu’on se demande quoi faire des radicalisés -et des dizaines d’anciens combattants de l’Etat islamique qui risquent de rentrer de Syrie après l’attaque des Kurdes par les Turcs…- alors que l’Etat français sous régime maastrichtien sait très bien quoi faire avec ceux qu’elle considère, eux, comme de véritables ennemis !

Je songe à Philippe Verdier qui présentait la météo sur le service public, France 2 en l’occurrence,  avant de se faire licencier le 12 octobre 2015 pour motif de « climato-scepticisme »… Quelle est la faute de cet homme qui a obtenu un master en développement durable à Dauphine avec un mémoire qui examinait la question du changement climatique et sa perception dans les médias, qui a dirigé le service météo de France 2 à partir de septembre 2012, qui a couvert les conférences sur le climat de Bali en 2007, de Copenhague puis de Cancun en 2009? Avoir publié un livre intitulé Climat investigation dans lequel il a mis en évidence la collusion de scientifique et de politiques, d’hommes d’affaires et d’ONG environnementales pour propager un credo qui attribue une seule cause au réchauffement climatique (que Philippe Verdier ne nie pas…): le seul comportement des hommes, en niant toute autre influence notamment cosmologique. Le 12 octobre 2015, il est licencié par France 2 au motif évidemment prétexte qu’il aurait manqué au devoir de réserve en disant, lors de la promotion de son livre, qu’il travaillait sur France 2. Viré…

Je songe à Mathieu Faucher, instituteur dans l’Indre, à Malicorney précisément, un village de deux cents habitants, qui, en 2017, a été suspendu de ses fonctions par l’Etat français pendant quatre mois, sanctionné, puis muté pour avoir fait travailler ses élèves sur des textes de la Bible. Gageons que, s’il avait utilisé un extrait du Coran il n’aurait pas eu ces problèmes et qu’on l’aurait même proposé comme un modèle pédagogique progressiste! La direction académique de l’Indre a motivé sa décision: l’enseignant a « enfreint son devoir de neutralité »… Une lettre anonyme de trois pages dénonçant un « cas de prosélithysme (sic) religieux à l’école de Malicornay (sic: un « a » à la place d’un « e ») a suffi pour que l’Etat français donne raison au corbeau illettré et envoie son inspecteur qui a puni… Pendant une semaine, l’instituteur a dû se rendre à l’inspection académique pour y pointer tous les jours et rester sans rien faire assis dans les locaux. Au maire, on a dit que son instituteur avait été suspendu pour faute grave. Il est vrai que cet enseignant se rend aux cérémonies du 8 mai et du 11 novembre au monument aux morts, qu’il anime un chorale et, circonstance aggravante, qu’il fait répéter ses élèves dans l’église du village -il est marié civilement et aucun de ses trois enfants n’est baptisé. Il a demandé un recours à l’époque à Najat Vallaud Belkacem qui, on ne s’en étonnera pas, l’a refusé. Le 20 juillet 2019, le tribunal de Limoges a fini par lever la sanction…

Je songe à l’humoriste Tex dont le métier, donc (Faut-il le préciser? Il semble que oui) consiste à faire des blagues, en raconte une qui, comme la plupart des plaisanteries, joue avec les passions tristes pour tenter d’en faire des occasions de rire. Derrière chaque plaisanterie se dissimule une tension que le rire est sensé détendre llire ou relire Le Rire de Bergson… Cette blague racontée le 30 novembre 2017 concerne les femmes battues: « Vous savez ce qu’on dit à une femme qui a déjà les deux yeux au beurre noir? On ne lui dit plus rien, on vient déjà de lui expliquer deux fois. » Tout le monde n’a pas la hauteur spirituelle de Raymond Devos. On peut estimer que cette saillie n’est pas drôle, c’est mon cas. Mais qu’attend-t-on d’un humoriste si ce n’est qu’il fasse de l’humour, bon ou mauvais, chacun choisissant le sien? Cette sortie de Tex enflamme les réseaux sociaux, l’équipe de l’émission publie un texte qui met les choses au point: c’est bien sûr de l’humour et personne ne cautionne les violences infligées aux femmes! Cela ne suffit pas. Le lendemain, Tex lui même présente ses excuses sur son compte Facebook. Ça ne suffit toujours pas. La secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, monte au créneau , elle affirme que ce trait d’esprit banalise les violences conjugales. Elle saisit le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Huit jours plus tard, France 2 licencie Tex…

Je songe à moi-même, si je puis me permettre, qui, pour avoir commenté dans un texte voltairien, sinon diogénien, la photographie d’un doigt d’honneur validé par le président de la République française alors qu’il effectuait un voyage aux Antilles, me suis soudainement retrouvé congédié du service public en 2018, France-Culture en l’occurrence, où j’ai travaillé pendant seize années comme producteur d’émissions dans la grille d’été, non sans succès puisqu’Olivier Poivre d’Arvor, alors patron de la chaîne, m’avait appris que mes cours d’Université populaire atteignaient le million de podcasts. La mise à pied s’est effectuée sèchement par un mail de la directrice de France-Culture envoyé à mon éditeur sonore -pas même à moi.

Autrement dit: si l’on est un islamiste radicalisé qui travaille dans le renseignement, l’Etat français ne peut rien faire, sinon attendre le prochain massacre pour accrocher des légions d’honneur posthumes sur des coussins posés sur des cercueils en présence de familles détruites.

En revanche, si l’on étudie un texte de la Bible dans une école primaire (ou un verset comme « malheur à la ville dont le prince est un enfant » par exemple qu’on trouvera dans L’Ecclésiaste X.16), si l’on incite à réfléchir sur les causes du réchauffement climatique en dehors de la seule raison anthropique en convoquant la science et non pas les vieilles ficelles des sectes apocalyptiques et millénaristes qui foisonnent en ces temps de civilisation qui s’effondre, si l’on balance une vanne de comptoir qui génère un rire gras, si l’on affirme qu’un président de la République ne devrait pas faire du doigt d’honneur un argument politique (la communication de l’Elysée fit savoir qu’il était destiné aux électeurs du Rassemblement national…), alors on sait très bien comment mettre à la porte du service public le contrevenant qu’on estime alors plus coupable qu’un homme qui se réjouit des morts de l’attentat de Charlie-Hebdo.

Si on met ce genre d’individu à l’abri des foudres qui, dans notre régime orwellien actif sous le drapeau maastrichtien, s’abattent sur un instituteur laïc, un climatologue rationaliste, un humoriste populaire, un philosophe critique, c’est qu’effectivement la guerre civile est commencée à bas bruit.

Michel Onfray

Source : MichelOnfray.com

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