Attentats du 13-Novembre : cinq mystères à éclaircir
Le procès des attentats du 13-Novembre 2015 s’ouvre, ce mercredi, à Paris. En quatre ans, policiers et magistrats ont bouclé une enquête inédite qui éclaire la préparation et la réalisation des pires attaques commises sur le sol français mais des zones d’ombre subsistent.
1 Quelle a été l’implication des planificateurs, logisticiens, convoyeurs et intermédiaires ?
La cour d’assises spéciale de Paris juge, à partir de ce mercredi, 20 accusés, dont Salah Abdeslam, le seul survivant des commandos téléguidés par le groupe État islamique (EI) qui ont fait 130 morts et 350 blessés à Saint-Denis et Paris. Autour de lui, les enquêteurs sont parvenus à identifier planificateurs, logisticiens, convoyeurs et intermédiaires. Le procès permettra-t-il de préciser leur implication ? « Dans le box, on va se trouver avec des accusés qui ont eu une part extrêmement importante dans les faits. Il ne faut pas se polariser sur le seul Salah Abdeslam », souligne l’ancien procureur de Paris, François Molins. « Il reste des zones d’ombre dans toutes les enquêtes terroristes (…) mais nous avons des éléments qui permettent de comprendre l’organisation, les préparatifs, le déroulement », abonde l’actuel procureur antiterroriste, Jean-François Ricard.
Le gigantesque dossier de 542 tomes déborde, en effet, d’un « nombre considérable de scellés » constitués sur les lieux des attentats, dans les trois voitures des assaillants et leurs « logements conspiratifs » en France et en Belgique, avec des recherches systématiques d’empreintes digitales et de traces génétiques, selon les documents consultés par l’AFP.2 Quel a été le rôle exact de Salah Abdeslam ?
L’enquête a retracé le parcours des assaillants « entre l’été 2014 et les attentats. La chronologie et le rôle de chacun sont bien établis », notent des connaisseurs de l’affaire. Mais, là aussi, certaines questions restent sans réponse. À commencer par le rôle exact de Salah Abdeslam, 26 ans à l’époque. Depuis cinq ans, il oppose aux juges français un silence obstiné. Ses seules explications, sommaires, ont été réservées à une magistrate belge, juste après son interpellation, en mars 2016.
Selon ses affirmations, le soir du 13 novembre 2015, il dépose les trois « kamikazes » au Stade de France où ils se feront exploser. Puis, il roule au hasard, gare sa voiture – « quelque part, j’ignore où », dit-il, alors qu’elle sera retrouvée dans le XVIIIe arrondissement de Paris – et prend le métro. Il en ressort, deux stations plus loin, et rejoint la banlieue sud, où deux comparses belges le récupèrent le lendemain matin. L’homme s’est débarrassé de son gilet explosif dans une rue de Montrouge (Hauts-de-Seine). « Lors des attentats, j’avais une ceinture d’explosifs. Toutefois, je n’ai pas voulu la faire exploser », avance-t-il devant la magistrate belge. C’est tout.
Dans sa revendication, l’EI a mentionné le XVIIIe arrondissement comme un des lieux ciblés par le commando. Et dans un ordinateur, les enquêteurs ont déniché un organigramme avec un dossier intitulé « groupe métro ». Pour les juges d’instruction, Salah Abdeslam a pris le métro pour y commettre un attentat mais sa ceinture explosive, défectueuse, n’a pas fonctionné.
Dans le même organigramme figurait un dossier « groupe Schipol », du nom de l’aéroport d’Amsterdam.
La présence dans la ville néerlandaise, le soir du 13 novembre 2015, de deux membres de la cellule belge, Sofien Ayari et Osama Krayen, a convaincu les enquêteurs qu’un attentat était planifié à Schipol. Pourquoi n’a-t-il pas été mis à exécution ?3 Le « grand mystère » Abaaoud
L’autre « grand mystère » du dossier, selon un de ses connaisseurs, tourne autour d’Abdelhamid Abaaoud, le « chef opérationnel » des commandos tué lors de l’assaut du Raid, à Saint-Denis, le 18 novembre. L’apparition de ce Belgo-Marocain de 28 ans sur les caméras de vidéosurveillance d’une station de métro de l’Est parisien, baskets orange aux pieds et accompagné d’un complice, après avoir mitraillé les terrasses, estomaque les enquêteurs.
La « neutralisation » de cet homme – surnommé « Abou Omar » en Syrie, où il avait rejoint les rangs de l’EI, début 2013 – était pourtant « une priorité urgente » de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) depuis septembre 2015.
Alors que les services de renseignement le croyaient en Syrie, il a regagné l’Europe en se mêlant au flux des réfugiés et est arrivé en Belgique, le 6 août. Qu’a-t-il fait jusqu’au 12 novembre, lorsqu’il prend place dans une des trois voitures des commandos qui quittent Charleroi (Belgique) pour un appartement à Bobigny, en Seine-Saint-Denis ?
Ses empreintes génétiques n’ont été retrouvées que sur un aspirateur et une fenêtre de l’appartement de Charleroi, ce qui suggère qu’il n’y est pas resté longtemps et n’a fréquenté aucune autre planque connue de l’équipe en Belgique.
Le témoin qui l’a identifié dans sa cache d’Aubervilliers affirme qu’Abdelhamid Abaaoud s’est vanté d’avoir emprunté le chemin des migrants vers l’Europe avec « 90 jihadistes » prêts à frapper la France.4 D’autres cellules existaient-elles ?
S’il est avéré que l’organisation État islamique a envoyé des combattants en Europe, ceux qui étaient liés à la cellule belge ont été identifiés. Mais il reste un doute sur l’existence d’autres cellules.
L’enquête a conduit à l’arrestation, dans un centre de réfugiés en Autriche, le 10 décembre 2015, d’un Algérien, Adel Haddadi, et d’un Pakistanais, Mohamed Usman. Tous deux ont reconnu avoir été missionnés avec deux kamikazes du Stade de France par « Abou Ahmad al-Iraki » pour une action en France. Bloqués en Grèce vingt-cinq jours à cause de leurs faux papiers syriens, ils n’ont pu rejoindre la Slovénie qu’au lendemain des attentats parisiens, et l’Autriche, le jour suivant. Pour les enquêteurs, ils n’ont jamais renoncé à l’idée de commettre un attentat et sont restés en lien avec Oussama Atar pendant leur séjour à Salzbourg. Dans l’attente de renforts ? Là, non plus, l’enquête n’a pas permis de répondre à cette question. Selon des connaisseurs du dossier, il est peu probable que les accusés éclaircissent ces zones d’ombre, lors du procès.
Invité, mardi soir, du JT de France 2, l’ancien Président François Hollande, qui doit témoigner au procès, le 10 novembre prochain, espère que ce dernier « va servir à nous dire s’il n’y avait pas d’autres attaques qui étaient prévues. »5 Une coopération étroite avec la Belgique mais pas avec la Turquie et de la Syrie
Gardes à vue, auditions et perquisitions se sont multipliées. Les armes, munitions et gilets explosifs des membres du commando ont été minutieusement examinés, leur matériel informatique et leurs appels téléphoniques passés au crible. La vidéosurveillance et les enregistrements audio retrouvés au Bataclan ont permis d’ajuster la chronologie des événements, de l’explosion du premier kamikaze, à 21 h 16, devant le Stade de France à l’assaut de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI), à 0 h 18, au Bataclan.
Les enquêteurs – jusqu’à 1 000 au début de l’enquête – et les cinq magistrats antiterroristes saisis ont rapidement établi que les attentats avaient été coordonnés depuis la Belgique. Ils ont identifié leur commanditaire en Syrie : Oussama Atar, un Belge né en 1984 surnommé « Abou Ahmad al-Iraki ». Membre important de l’EI, il est vraisemblablement mort dans une frappe de la coalition en zone irako-syrienne, en novembre 2017.
Une coopération de grande ampleur a été mise en place entre la France et la Belgique, avec l’appui de l’unité européenne de coopération judiciaire, Eurojust, et de l’agence européenne de police Europol, qui a créé pour ce dossier une task-force nommée « Fraternity ». Cette collaboration a été étendue à quasiment tous les pays européens. Mais les juges antiterroristes ont dû se contenter d’« éléments sommaires » fournis par l’Irak et le Pakistan et ont déploré l’absence de coopération de la Turquie et de la Syrie. Autant de zones d’ombre à éclaircir en ces neuf mois d’audience.
Source : Le Télégramme
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