Je suis gendarme et j’ai décidé de parler…
CNSJS – Collectif National pour la Souveraineté et la Justice Sociale
Quand les blés sont sous la grêle, Fou qui fait le délicat – Aragon
Dans les jours qui viennent de s’écouler, des gradés de la police ou de la gendarmerie ont pris publiquement la parole. Alors que le colonel de gendarmerie Michael Di Meo a par exemple reconnu en termes pesés l’existence « de violences policières » contre les GJ, le directeur de la police nationale Eric Morvan n’a pas tardé de justifier l’action des CRS contre les manifestants. La troupe elle, par discipline forcée a gardé jusque là le silence. Pour une des toutes premières fois, nous publions ici l’ITV que nous a adressée un simple gendarme qui porte l’uniforme depuis plus de 17 ans. Comme il nous l’a demandé, nous avons évidemment décidé de respecter totalement son anonymat, pour lui éviter les foudres d’une hiérarchie qui n’accepte pas que la parole puisse prendre la liberté de s’exprimer.
Ce témoignage que j’ai recueilli me ramène en partie au travail que j’avais effectué pour mon documentaire « dans le secret du Burn out » avant le mouvement des Gilets jaunes, maladie qui touche plus qu’on ne le pense des membres des forces de l’ordre. Le rôle que le pouvoir fait jouer aux forces de polices, toutes catégories confondues, n’est pas pour soigner un corps profondément malade. Ce témoignage nous plonge au coeur du mouvement social des Gilets jaunes qui secoue le pays. Il est question de souveraineté, de relation entre « forces de l’ordre » et peuple, de Nation et de son avenir…
Jacques Cotta
1/ Vous êtes gendarme. Quel est votre grade? Pouvez vous retracer rapidement votre carrière?
Mon grade est gendarme de carrière. Je suis dans l’institution depuis 17 ans. D’abord en tant que gendarme adjoint puis en tant que sous-officier au grade de gendarme. Je suis passé par des unités très différentes. Des unités spécialisées, des unités de maintien de l’ordre, des unités d’interventions, des unités d’investigations. Je préfère ne pas nommer les unités car ayant un parcours atypique, il est facile à retracer. Ce que je peux dire c’est que cet éventail large m’a permis d’avoir une vision d’ensemble de l’arme dans laquelle je sers.
2/ Pourquoi êtes vous entré dans la gendarmerie?
Je ne vais pas être très original mais je suis devenu gendarme pour protéger mes concitoyens. J’avais l’envie de servir l’intérêt général, d’ajouter ma pierre à l’édifice, d’aider mon prochain.
3/ Vous désirez témoigner dans la situation actuelle. Pour quelle raison? Est-ce facile? Pourquoi voulez vous demeurer anonyme?
Aujourd’hui, je veux apporter mon témoignage pour peut-être provoquer une prise de conscience de l’opinion publique. Ce qui se passe à mon sens est un dévoiement de la profession. Profession qui est financée par l’argent du contribuable et qui ne sert pas toujours les intérêts des français ou qui la sert mal. Profession qui souffre d’une hiérarchie qui n’écoute plus, sclérosée, assise dans ses certitudes. Cette hiérarchie tue ses propres hommes et femmes par son inertie, sa malveillance, sa violence morale. Bien sûr, il ne s’agit pas de stigmatiser, certains sont de bons chefs. Mais ceux qui font le mal le font en toute impunité, c’est intolérable.
Après avoir subie une situation de dénigrements, de calomnies et de harcèlement, j’ai beaucoup réfléchi au sens de mon engagement. J’ai dressé un bilan de toutes ces années et de ce que j’y avais vu. J’ai commencé à m’intéresser de près au nombre vertigineux de gendarmes qui mettaient fins à leur jour et j’ai étendu à la police. J’ai pris contact avec des associations (l’AFAR présidé par monsieur MORRA Paul, lieutenant de gendarmerie victime également, madame BARCOUDA Margareth dirige l’association Stop-Burn out qui se bat contre la maltraitance au travail…), des victimes comme moi (Madame Besbiss SEAADE qui a sorti un livre par exemple), monsieur CARTERON Frédéric (ancien magistrat qui aujourd’hui défend la cause des gendarmes après le suicide de son ami le major TESAN en septembre 2018. Monsieur TESAN a laissé une lettre ouverte dénonçant sa hiérarchie), monsieur GUILLAUMONT Ronald président de Profession-gendarme (retraité de la gendarmerie qui tient un décompte pour le moins funeste sur le nombre de suicidé).
J’ai lu et me suis renseigné. J’ai découvert que je n’étais pas seul. Quid de Myriam SAKHRI morte en 2011 où l’enquête et le comportement de la justice se sont révélées être pour le moins suspect. Quid de ce gendarme à Matignon qui se suicide en octobre ou novembre 2018. Suicide intervenant bizarrement après une lettre collective de la part de ces mêmes gendarmes de Matignon dénonçant de graves problèmes au travail en août 2018 et consultable sur internet. Quid de ce rapport émis par messieurs BOUTANT (PS) et GROSDIDIER (LR) en juillet 2018 dénonçant un profond malaise chez les forces de l’ordre. Et cela n’est que la partie visible si je puis dire. J’ai été ulcéré par tout ce que j’ai découvert. Et ce silence médiatique, de certains syndicats policiers, des deux associations professionnels nationales des militaires en gendarmerie, des politiques… Silence qui ne peut être autre chose que complice de ces dérives. Il faut que les forces de l’ordre acquièrent une sérénité dans leur quotidien, une cohérence dans leurs missions, une efficacité pour la population, une écoute réel (et pas un simulacre) de la base, de ceux qui sont sur le terrain.
C’est pour tout cela que je témoigne. C’est évidemment très dur car je sais que je m’expose, même sous le couvert de l’anonymat. Il m’arrive d’avoir peur. Je suis perdu et ne sais pas si je resterai dans la gendarmerie. Si je révèle mon identité, je ferai l’objet de sanctions, de nouvelles brimades. Voyez ce qu’ils ont fait à monsieur LANGLOIS Alexandre président du syndicat Vigi-police. Il dénonce des faits on ne peut plus grave. Ils ont cherché à lui nuire par tous les moyens. Leur arsenal est vaste et je ne veux pas que ma famille souffre de tout cela encore plus.
4/ On parle d’un malaise dans les forces de l’ordre. De quoi s’agit-il et est-ce que ça pourrait entrer dans ce qui motive les GJ? Il y a eu des vagues de suicides dans la police et la gendarmerie. Comment réagit-on, dans la troupe comme dans le commandement? On parle souvent de « déséquilibrés » et de « problèmes personnels ». Est-ce à votre avis en relation avec ce qui se passe dans le pays?
Il s’agit de pratiques qui nuisent aux métiers, à la sécurité du pays, des personnes et des biens. Ces pratiques sont dénoncées par des lanceurs d’alertes. Elles sont de plusieurs ordres, illogiques, immorales, illégales entre autre.
Cela peut bien sûr avoir un lien avec le mouvement des gilets jaunes. Ils réclament plus de justice dans plusieurs domaines, plus de démocratie avec leur « mot à dire » plus souvent, plus d’égalité dans la répartition de richesse ou dans le traitement des personnes dans la vie judiciaire, sociale, économique. Aujourd’hui, je suis bien obligé de constater qu’un dossier concernant un officier, un préfet, un élu mis en cause ne sera pas traité avec les même égards qu’un ouvrier, un employé. Les enquêtes seront bâclées voire pas faite du tout. Les officiers et commissaires sont aux ordres des politiques et cela pose donc un problème d’indépendance quand le moment vient d’enquêter sur un député par exemple. Ou aussi quand la police ou la gendarmerie enquête sur elle-même (IGGN ou IGPN). Elle ne saurait être juge et partie à la fois, il y a un conflit d’intérêt. Les gardes à vue illégales sur les GJ, les interdictions préventives de manifester, les GJ refoulées aux gares, tout cela est le fait de politiques qui répercutent directement sur les hiérarchies des forces de l’ordre. Tout cela est sans contrôle. Le système français est archaïque et dans l’armée, nous avons des décennies de retard. Toutes les incohérences du terrain sont connues. Si nous écoutions la base je le répète, nous aurions l’impression d’être valorisé (nous les militaires) et la sécurité s’en trouverait être de meilleur qualité.
Les suicides sont un sujet tabou dans les rangs. Les gens en parlent très peu mais il faut dire aussi qu’ils ignorent aussi le nombre pour beaucoup. Quant au commandement, ceux que j’ai pu croiser à de rares exceptions sont obsédés par leur avancement, leur carrière. Chacun doit marcher au pas au risque de subir les foudres de commandants tyranniques.
Des raisons personnelles, ça doit arriver parfois ou même un mélange des deux, « boulot » et « maison ». En psychologie, j’ai appris qu’un gendarme qui se tue avec son arme de service dans les locaux de travail, cela s’appelle une signature.
Dans mon témoignage, vous avez pu voir que j’ai soulevé un certain nombre de problème dans l’unité où je me trouve. Les réponses face à tout cela et au fait que je ne me sois pas laissé faire ont été par exemple de me refuser l’inscription à la formation OPJ, de faire échouer une permutation pour me rapprocher de ma femme, d’écrire un rapport mensonger sur moi (me fermant ainsi beaucoup de porte pour la suite de ma carrière), de faire écrire un collègue car il avait eu une conversation privée avec moi lors de mon arrêt maladie et de bien vouloir rapporter le contenu de notre échange, etc etc.
Les forces de l’ordre sont surmenées, manquent de moyens, de matériels. Ce sont les mêmes unités qui « ramassent ». Les casseurs sont connus depuis bien longtemps (bien avant les GJ). La justice fait de la réponse pénale à géométrie variable. On évite de s’attaquer aux vraies problèmes pour acheter la paix sociale. Leurs vies de familles sont sur la brèche, ils subissent une pression énorme. Les missions ne sont pas les missions premières d’un gendarme. Les raisons sont nombreuses.
5/ Parlons de la situation actuelle marquée par le mouvement des GJ. Est-ce qu’on en parle dans la gendarmerie? Comment vit-on le terrain? Tous sont-ils identiques (gendarmes, CRS, BAC, etc…)
Je suis en arrêt depuis le mois de septembre 2018 et je ne suis plus sur le terrain depuis que les GJ ont commencé leur mouvement. Je pense qu’on en parle oui, à la machine à café, en patrouille, au bureau, c’est sûr.
J’ai quand même beaucoup de collègues au téléphone. Les réactions sont très variées sur le sujet. Il y a beaucoup de rejet (« on les attend les GJ », « ils nous emmerdent ») car les esprits sont formatés. La prise de conscience sera très dure chez nous pour comprendre que les GJ sont le peuple et qu’ils se battent aussi pour nous. Il y en a qui s’en rende compte mais l’embrigadement, la peur prédomine. Je connais moins bien la police mais en gendarmerie ceux qui pratiquent le maintien de l’ordre sont les gendarmes mobiles. Ils sont composés à 80 % de jeunes gens entre 20 et 30 ans sortis d’école et avec l’esprit très malléable, c’est bien sûr fait exprès. En brigade territoriale, la conscience est plus élevée, mais restent la pression et la peur.
Je le répète, le système de peur est énorme car la hiérarchie a un poids gigantesque et elle est sans contrôle. Aujourd’hui, je suis en difficulté, et ils m’assèchent financièrement (perte de prime), m’obligent à aller voir le médecin « militaire », l’assistante sociale « militaire », je perds mon logement de fonction. Cela fonctionne en vase clos, c’est très bien réglé.
6/ Des bruits font état de demande faite à la gendarmerie de tirer sur la foule si nécessaire. Est-ce que ça vous semble plausible? En avez vous entendu parler? Si oui, pouvez vous donner des précisions?
S’il s’agit de tirer à balle réelles, je ne sais pas. Plausible ? Si nos dirigeants sentent que la situation leur échappe, je pense que c’est un scénario envisageable. Ils montent doucement mais surement dans la graduation de la réponse. Ils essayent de garder l’opinion publique avec eux en matraquant d’images de destructions ou dégradations de biens.
Je n’en ai pas entendu parler. Je pense forcément qu’individuellement, hormis un cas de légitime défense, chacun aurait une décision à prendre. Je pense que les forces de l’ordre rallieraient le peuple, mais ça n’engage que moi.
7/ Toute révolution a vu pour que ça marche la police, l’armée, la gendarmerie « tourner crosse en l’air comme on dit », se ranger contre les ordres parfois du côté du peuple. Croyez vous qu’il serait possible que les forces de l’ordre désobéissent aujourd’hui en france?
Dans nos rangs nous sommes divisés. Très divisés. Depuis notre entrée en école on fonctionne avec une bipolarité. On nous assène de fraternité, de cohésion, de camaraderie. Et en même temps, on nous incite à être meilleur que le collègue, avec la prime au mérite, la notation, les classements d’écoles, de formation. J’ai pu échanger avec monsieur CHOUARD Etienne lors d’une conférence. Il pense que si le nombre (le peuple) est dehors, les forces de l’ordre tomberont les casques. Je pense qu’il a raison mais la vraie question c’est comment obtenir ce nombre et de combien de personnes a t-on besoin ? Ou alors comme je le disais, l’ordre de tirer sur la foule pourrait être l’élément déclencheur. Mais aujourd’hui nous sommes encore loin de ce qui s’est passé en Algérie. Au fond de moi, j’espère que l’on s’unira aux GJ.
8/ Gendarme et GJ, c’est possible?
Publiquement, la réponse est non. Je suis GJ. Un gendarme n’a pas la possibilité d’exprimer ses opinions religieuses, partisanes, politiques ou d’associations publiquement. Dans mon cas si je le faisais, cela leur donnerait un motif de plus pour me mettre aux bancs des accusés (devoir de réserve que monsieur LANGLOIS remet en cause d’ailleurs, car il dit qu’il n’a pas de fondement légal contrairement au secret professionnel. Lui est policier et nous militaires, je ne sais pas si cela fait une différence) et engager d’autres mesures contre moi (disciplinaires par exemple). Dans le secret, il y en a quand même. Je participe à des assemblées constituantes depuis quelques semaines avec des GJ. Je leur ai dit qu’un changement du système, oui, mais un changement du système militaire/policier est très important pour l’après, si il y en a un.
Jacques Cotta Publié le
Source : CNSJS
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