Affaire Nordahl Lelandais : la charge d’un avocat contre les lenteurs de la justice
Nordahl Lelandais a reconnu avoir pris le caporal Arthur Noyer en stop, la nuit de sa disparition. DR
Bernard Boulloud, avocat de la famille du caporal Noyer, dont la disparition pourrait être imputée à Nordahl Lelandais, estime qu’une enquête plus sérieuse aurait peut-être pu éviter d’autres drames, notamment celui du meurtre de la petite Maëlys.
C’est un avocat ulcéré par une justice qui traite selon lui les dossiers de « personnes disparues par-dessus la jambe ». Et un terrible doute l’assaille : « On aurait pu éviter peut-être l’affaire Maëlys si l’enquête sur le caporal Noyer avait été menée d’emblée jusqu’au bout… » La formule est lourde de sens. Bernard Boulloud est l’avocat de la famille du caporal Arthur Noyer, disparu un soir d’avril 2017 à Chambéry. En décembre, Nordahl Lelandais, déjà mis en examen pour le meurtre de la petite Maëlys, a aussi été poursuivi officiellement pour la disparition du militaire. Il a reconnu par la suite avoir pris Arthur Noyer en stop ce soir-là. Sans en dire plus. Pour l’avocat, une enquête sérieuse sur la disparition du militaire aurait peut-être permis d’aller plus vite.
Aujourd’hui, cet avocat expérimenté défend quatre familles dont des proches ont disparu sans raison apparente et n’ont plus jamais donné de nouvelles, du jour au lendemain. Avec là encore des problèmes de suivi des enquêtes, et des familles qui se sentent oubliées ou méprisées. L’avocat s’apprête à saisir l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et celle de la gendarmerie (IGGN), et va déposer une requête pour demander l’intervention de l’Inspection des services judiciaires. « L’occasion de voir si tout a été fait à temps et envisagé » dans ces dossiers, se désole l’avocat. Il confie sa colère.
Pourquoi cette charge contre la justice ?
Bernard Boulloud. La justice nous sert toujours la même rengaine. Je suis écœuré. Je vous donne un seul exemple parlant. J’ai déposé plainte pour enlèvement et séquestration contre X pour la disparition d’Éric Foray en septembre 2016. Un homme disparaît. Il part faire des courses. Il a un rendez-vous. Et plus personne ne le voit. On ne retrouve ni son véhicule Suzuki, ni son corps. Mais il n’y a jamais eu d’enquête d’environnement, de perquisition pour saisir ses téléphones ou ordinateurs. En France, on peut disparaître comme ça ! Les enquêtes sont des impostures car si le magistrat ne demande rien, les enquêteurs ne peuvent rien faire. Aujourd’hui, les magistrats cherchent à écarter de l’échiquier judiciaire les avocats car notre droit est aussi de poser des questions et d’envisager des pistes.
Où en est-on de ce dossier ?
Je viens d’apprendre par la doyenne des juges du tribunal de Valence qu’elle doit soumettre ma constitution de partie civile au procureur qui, selon la règle, doit rendre un réquisitoire s’il veut élargir les qualifications. Et le procureur qui est saisi de cette affaire depuis un an demande si ma plainte est justifiée et sérieuse… C’est lui qui a l’enquête depuis plus d’un an. Il cherche à se couvrir car le dossier d’enquête est vide !
Vous êtes encore plus virulent sur le dossier du caporal Noyer ?
La famille est en droit de se poser bien des questions. Je me demande si toutes les informations disponibles au moment de sa disparition ont bien été exploitées et croisées. Les captures de vidéo existaient déjà en avril 2017, on y voyait déjà une voiture suspecte dans les rues de Chambéry et le téléphone du caporal faisait déjà chemin commun avec un autre, inconnu à l’époque (NDLR : il s’est avéré qu’il s’agissait de celui de Nordahl Lelandais). Qu’est ce qui a été fait réellement dans cette enquête ? L’accès au dossier, même pour la famille, est rendu impossible par des magistrats qui n’y versent rien, car rien n’est fait. N’aurait-on pas pu éviter la mort de Maëlys ? Et quand on découvre que le morceau de crâne trouvé en septembre 2017 correspond à celui d’Arthur Noyer le 18 décembre 2017, trois mois après, par une curieuse coïncidence le même jour de la garde à vue de Lelandais, j’ai un terrible doute sur le sérieux des investigations.
D’autres exemples ?
Dans le cas de la disparition de Malik Boutvillain, le 6 mai 2012 à Echirolles (Isère), rien de rien n’a été fait. Son ordinateur n’a été saisi que quelques jours avant la plainte en 2017 que j’ai déposée. Le procureur de Grenoble a reconnu sa faute. Et dans l’affaire de Nelly Balmain, cette jeune femme a disparu en 2011, aucun enquêteur n’est venu saisir le téléphone et l’ordinateur de cette jeune femme partie à scooter. Les parents, lassés, ont donné les appareils à une association caritative. L’affaire a été classée avant d’être rouverte dans le cadre des enquêtes liées ou pas à Nordahl Lelandais. Mais des indices ont été perdus…
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