Ce que disent le rapport de l’IGPN et les témoignages sur l’affaire Théo

Image des caméras de surveillance de l'interpellation de Théo

Image des caméras de surveillance de l’interpellation de Théo – DR
Par Frédéric Ploquin

Publié le 27/02/2017 à 18:12
Début février, les conclusions de la police des polices (IGPN) dans l’interpellation de Théo fuitaient dans la presse. Marianne s’est procuré l’intégralité du document, témoignages des policiers et de Théo compris. Le jeune homme y affirme notamment avoir entendu un policier se moquer : « Il saigne du fion ».

« Le 2 février 2017, vers 16h40, l’équipage de la BST (brigade spécialisée de terrain) composé des gardiens de la paix C., D., Cl. et H., intervenait près du centre culturel « Le Cap », sis rue Edgard Degas à Aulnay-sous-Bois (93), pour procéder au contrôle d’individus susceptibles de s’adonner à la revente de produits stupéfiants.

Lors du contrôle de plusieurs personnes, un individu, le nommé Théodore Luhaka, se manifestait par sa véhémence et montrait une certaine arrogance à l’égard des policiers. Il refusait de se soumettre au contrôle et saisissait le gardien de la paix C. par son vêtement.

Son collègue Cl. intervenait alors, mais était également saisi par les manches de sa tenue. Alors que C. venait assister son collègue, l’individu lui portait un coup de poing au visage. Le gardien de la paix D. tentait de maintenir l’individu sur place. Il s’ensuivait alors une échauffourée entre ce fonctionnaire et le nommé Luhaka, au cours de laquelle tous deux tombaient à terre, la tête de l’interpellé heurtant le sol. D. faisait alors intempestivement usage de la bombe lacrymogène qu’il tenait en main.

L’individu parvenait à se relever, et les gardiens de la paix C. et H. tentaient de menotter M. Luhaka. C. faisant l’objet de coups de pied de la part de l’interpellé, il usait de sa matraque télescopique en le frappant aux jambes ».

Ainsi débute le rapport du commandant en fonction au sein du 1er cabinet d’enquête de l’inspection générale de la police nationale (IGPN), rédigé le 4 février 2017, deux jours après les violences subies par Théodore Luhaka, 22 ans. Ce jour-là, alors qu’ils étaient descendus de leur véhicule de service pour procéder à un contrôle dans un lieu connu pour être un point de vente de stupéfiants, ils auraient été aussitôt « invectivés par plusieurs personnes », « tandis que d’autres donnaient l’alerte en poussant des cris ». Ramené au commissariat pour être placé en garde à vue, Théodore Luhaka, présentant « un important saignement au niveau du postérieur », était conduit à l’hôpital, où il déclarait que les policiers lui avaient introduit « un tonfa » dans l’anus, avant de fournir un premier récit des faits : démuni de pièce d’identité, il avait opéré un demi-tour en voyant des policiers procéder à un contrôle, avant de décider de se porter au secours d’un ami « en difficulté ».

« Un prolapsus rectal modéré avec une probable perforation du rectum »

« Il était alors pris à partie par les policiers, qui le frappaient, écrit l’enquêteur de l’IGPN, rapportant les propos de la victime. À un moment, un des policiers lui baissait son pantalon et lui introduisait sa matraque entre ses fesses, pendant que les autres policiers le maintenaient. Il ressentait une vive douleur au niveau de l’anus, avec une sensation de saignement. Un autre fonctionnaire lui projetait un jet de gaz lacrymogène dans la bouche. Puis il était conduit à l’écart, à un endroit dépourvu de caméra de surveillance, où il subissait de nouvelles violences avant d’être amené au véhicule de police. Lors du trajet, M. Luhaka était encore frappé par les policiers, et l’un d’entre eux le prenait en photo. Arrivé au commissariat, en raison des douleurs, il ne pouvait s’asseoir, et était allongé au sol ».

Le premier certificat médical, rédigé par le service des urgences, constate « la présence d’hématomes et plaies superficielles au niveau du visage, mais également un prolapsus rectal modéré avec une probable perforation du rectum, nécessitant un passage au bloc opératoire en urgence ».

Des traces rougeâtres seront relevées près du muret où s’est déroulée l’interpellation, au milieu de bris de verre résultant de jets de bouteilles, de même que sur la banquette arrière du véhicule ayant servi à ramener Luhaka au commissariat.

Les enregistrements vidéo

Les enregistrements vidéo des caméras couvrant le secteur incriminé ont été remis aux enquêteurs de l’IGPN par la police municipale d’Aulnay-sous-Bois. « Leur exploitation permettait de visualiser l’interpellation du nommé Luhaka par les policiers de la BST, dès leur arrivée sur le site à 16h46, jusqu’à leur départ 16h54, soit 8 minutes selon l’horodatage des caméras, écrit le commandant. L’arrivée sur le site de Théodore Luhaka, seul et en piéton, était relevée à 16h45. L’intéressé prenait attache avec des individus présents sur place. Alors qu’un policier arrivait en piéton depuis la façade du centre culturel, un véhicule sérigraphié se stationnait sur le parking, situé en contrebas du muret et des escaliers le desservant. Les individus étaient regroupés hors champ caméra, le long du mur du bâtiment.

Alors qu’une personne repoussait un policier, lequel sortait sa matraque sans en faire usage, plusieurs individus en profitaient pour échapper au contrôle. Dans le même temps, des policiers tentaient de maîtriser le nommé Luhaka, lequel se débattait avec vigueur. Dans le mouvement, tous se rapprochaient du muret. L’intéressé avait perdu sa veste, et son pantalon était déjà tombé sur le bas des fesses, laissant apparaître son caleçon. Après une vive empoignade entre les protagonistes, M. Luhaka et le gardien de la paix D. chutaient à terre, le premier se retrouvant sur le second. Un jet de gaz lacrymogène était observé, venant du bas vers le haut. Le gardien de la paix C. assénait des coups de matraque à hauteur du bas du dos de l’intéressé. Les policiers parvenaient à le relever et à le plaquer contre le muret. Tandis que C. portait un nouveau coup de matraque sur le haut du dos de l’interpellé, le policier identifié comme étant le gardien de la paix H., tentait vainement de lui attraper les bras pour le menotter.

« Un trait blanc, pouvant correspondre au corps d’une matraque, apparaissait furtivement au niveau de la fesse gauche de l’interpellé »

Le gardien de la paix C. était vu faisant un mouvement horizontal avec son bras droit porteur de la matraque, en direction et à hauteur du bas du dos du nommé Luhaka. Consécutivement à ce geste, celui-ci se retournait brutalement, recevait une gifle à la tête du fait de H., puis se laissait tomber au sol. Un visionnage plus précis de cette scène permettait de constater qu’au moment de la rotation de M. Luhaka, un mouvement du tissu de son caleçon était perceptible et laissait apparaître une marque sombre pouvant correspondre au trou constaté sur ce vêtement lors des constatations. Dans le même temps, un trait blanc, pouvant correspondre au corps d’une matraque, apparaissait furtivement au niveau de la fesse gauche de l’interpellé, trait blanc réapparaissant ensuite dans la main du gardien de la paix C.

Une fois l’individu au sol, le gardien de la paix C. lui assénait une estocade à l’aide de sa matraque, sans qu’il ne soit possible de déterminer la portée de ce coup. Les policiers parvenaient à menotter l’interpellé avec difficulté, et le laissaient assis le long du muret. Puis ils le transportaient sur le côté du bâtiment hors champ des caméras. Trois minutes plus tard, le nommé Luhaka était visible, menotté dans le dos, alors qu’escorté par deux policiers, il était conduit au véhicule sérigraphié, stationné en contrebas des escaliers.

Puis le véhicule administratif quittait les lieux dès que le reste de l’équipage était embarqué ».

Des enregistrements vidéo effectués par des riverains ont été également remis aux enquêteurs de l’IGPN, sans intérêt majeur pour l’enquête.

 

Les déclarations de la victime et les constatations médicales

Lors d’une seconde audition, Théodore Luhaka précise l’intensité de la douleur ressentie au moment de la pénétration anale, l’évaluant à 10 sur une échelle de 10. Il déclare s’être alors trouvé « dans un état second », au point de ne plus ressentir les autres coups. « Il hurlait de douleur et disait aux policiers « c’est bon, c’est bon », écrit le commandant de l’IGPN. En dépit de cela, les policiers continuaient à le frapper, et à l’asperger de gaz lacrymogène. Théodore Luhaka mentionne qu’au moment d’embarquer dans le véhicule administratif, un fonctionnaire de police, qu’il ne peut identifier, aurait dit sur un ton moqueur : « Il saigne du fion ».

« Un fonctionnaire de police aurait dit d’un ton moqueur : ‘Il saigne du fion' »

Il confirme avoir reçu des coups dans le véhicule, sur le trajet jusqu’au commissariat, essentiellement au niveau de la tête.

Un second certificat médical, établi à l’issue de l’opération chirurgicale, mentionne « une large plaie de l’hémi-circonférence droite de la marge anale avec section traumatique complète du muscle sphinctérien, et une plaie sur 10 cm de profondeur du canal anal et du bas rectum, en continuité et sur le trajet de la lésion sphinctérienne ».

Les déclarations du chef de bord

Chef de bord du véhicule de la BST ce jour-là, le gardien de la paix D. rapporte qu’il avait décidé, avec ses trois collègues, de procéder à des contrôles d’identité au niveau de ce centre culturel réputé comme étant un lieu de revente de stupéfiants.

Ils « prennent en tenaille le parvis du bâtiment, afin de bloquer les individus suspects s’y trouvant ». Le début du contrôle se passe normalement, jusqu’au moment où son collègue C. est pris à partie par un individu de type africain de grande taille (Théodore) Luhaka. Il lui porte assistance, et parvient « à saisir l’individu au niveau des jambes ». Tous deux chutent à terre, Luhaka se trouvant sur lui.

« À ce moment-là, il tenait en main une bombe lacrymogène, dont un jet de gaz partait accidentellement, l’aspergeant lui et Luhaka, mentionne l’enquêteur. Ensuite, il se mettait en boule en maintenant les pieds de Luhaka, et il était incapable de désigner les deux autres fonctionnaires procédant à l’interpellation de l’individu ». Lorsqu’il parvient à se dégager, D. se relève et découvre que « l’individu » est menotté. Voyant « un groupe hostile se former », il demande une grenade lacrymogène à son collègue, qu’il lance pour « dégager la zone ».

Sur le retour vers le service, D. était assis à l’avant du véhicule, côté passager. Il réfute toute violence illégitime lors du trajet. Il reconnaît avoir pris une photo de l’interpellé à son arrivée au commissariat.

Selon lui, à aucun moment la victime ne s’est plainte ou n’a fait part de douleurs au niveau de l’anus

Lors de sa seconde audition, le policier modifie ses premières déclarations en précisant que suite à l’usage de gaz lacrymogène, dont il avait été en partie aspergé, il ne voyait plus rien et ne pouvait donc décrire l’interpellation. Il reconnait avoir aspergé de gaz lacrymogène Luhaka, alors que celui-ci était allongé au sol et menotté. Il justifie le fait de l’avoir repoussé violemment contre le mur par son énervement, et reconnait son erreur. Il justifie le fait de l’avoir ramené contre le mur du centre culturel par le besoin de récupérer les vêtements de Luhaka. Là, alors que l’interpellé était allongé à terre et menotté, il l’a aspergé à nouveau de gaz lacrymogène sans raison valable.

Selon lui, à aucun moment la victime ne s’est plainte ou n’a fait part de douleurs au niveau de l’anus, tant au moment de l’interpellation que lors de sa conduite au commissariat. S’il a pris une photo, c’était dans l’idée de décrire les blessures de Luhaka dans son procès-verbal.

Déclarations du gardien de la paix H.

Ce gardien de la paix confirme les circonstances de l’interpellation de Luhaka. Alors qu’il participait à son menottage, il a vu son collègue C. faire usage de sa matraque télescopique à plusieurs reprises « au niveau des jambes de l’interpellé dans le but de le faire fléchir ». Il n’a pas vu en revanche de geste de son collègue susceptible d’avoir occasionné une blessure à l’anus.

Dans le véhicule administratif, lors du trajet retour vers le commissariat, il était assis à l’arrière droit du véhicule, l’interpellé étant entre lui, et son collègue C.. Il mentionne que « l’individu gesticulait dans la voiture, l’obligeant lui et son collègue à le maintenir de la main ». Il réfute toute violence illégitime, de son fait ou de ses collègues, à l’encontre de la victime, lors de ce trajet.

Lors d’une seconde audition, il mentionne que la conduite de l’interpellé le long du mur du centre culturel était « justifiée par la sécurisation des lieux par leurs collègues de la BAC appelés en renfort, avant de rejoindre le véhicule administratif ». Il précise que lors du trajet retour, la victime n’a pas signalé sa blessure, ni fait état de douleurs.

Déclarations du gardien de la paix Cl.

Cl. a vu son collègue C. aux prises « avec un individu de type africain ». Il a lui-même repoussé vers un mur un individu qui voulait intervenir. Une altercation a suivi, au cours de laquelle, alors qu’il était en protection, il a vu ses collègues chuter à terre avec l’individu. Lui s’est concentré sur « la sécurisation de la zone en maintenant des individus hostiles à distance ». Il n’a vu aucun geste de ses collègues pouvant occasionner les blessures.

La trace rougeâtre au niveau du caleçon attribuée à un saignement au niveau du nez

Sur le trajet du retour, alors qu’il conduisait, il a senti que l’individu « gesticulait derrière lui ». C’est une fois au commissariat qu’il a vu une trace rougeâtre au niveau du caleçon, dont il a pensé qu’elle pouvait provenir d’un saignement visible au niveau du nez. Lui non plus ne l’a pas entendu se plaindre d’une blessure au niveau de l’anus.

Déclarations du gardien de la paix C.

« Au début de l’opération, il était pris à partie par un individu qui le narguait, résume le commandant de l’IGPN. Il le repoussait, mais un second individu, identifié ultérieurement comme le nommé Luhaka, s’interposait et saisissait le policier par le col de son vêtement. Son collègue Cl. intervenant pour lui porter assistance, était à son tour pris à partie par le nommé Luhaka. Le gardien de la paix H. venait prêter main forte à son collègue C. pour maîtriser l’individu, mais sans y parvenir. Voyant cela C, en compagnie de D. revenait au contact de Luhaka. Dans le mouvement, ils arrivaient au niveau du parapet de la dalle. Alors que D. tentait vainement de ceinturer le nommé Luhaka, C. faisait usage à plusieurs reprises de sa matraque en portant des coups sur les jambes de l’individu pour le faire tomber au sol. Le nommé Luhaka finissait par s’affaisser, entraînant avec lui le gardien de la paix D., qui se retrouvait sous lui.

Voyant son collègue en difficulté, C. déclarait porter des coups de matraque à l’individu pour dégager D. Le nommé Luhaka parvenait à se remettre debout, et à ce moment-là, le gardien de la paix H. intervenait pour ceinturer l’individu.

C. déclarait porter de nouveaux coups de matraque à M. Luhaka, lequel finissait par tomber au sol, et se laissait menotter. Le gardien de la paix C. mentionnait qu’à aucun moment, l’interpellé ne s’était plaint d’une blessure au niveau de l’anus. Il réfutait toute violences illégitimes, justifiant l’usage de sa matraque télescopique par l’opposition physique du nommé Luhaka à son interpellation. Il mentionnait avoir toujours frappé à hauteur des jambes. Dans son audition, il précisait que M. Luhaka, alors qu’il était assis le long du muret, lui faisait part d’une gêne sans autre précision. Pensant que cela était du aux menottes, C. le changeait de position, et par la suite l’intéressé ne se plaignait plus.

Après l’interpellation, C. réfutait toute forme de violence à l’encontre de l’interpellé, tant sur la dalle que dans le véhicule administratif lors du trajet vers le commissariat.»

Le policier accusé de viol nie avoir baissé le caleçon de Théo

Lors d’une seconde audition, confronté aux déclarations de la victime, le gardien de la paix nie avoir donné un coup de poing au visage de Luhaka lors du contrôle d’identité. Il maintient que ce dernier l’avait saisi par le col. Il confirme avoir porté des coups de matraque, mais uniquement aux jambes, et ne s’explique pas la blessure de la victime à l’anus. Il réfute catégoriquement avoir commis des violences après le menottage, alors que Luhaka avait été conduit à l’arrière du centre culturel.

Lors de sa troisième audition, confronté à l’ensemble des enregistrements de vidéo-protection de la commune d’Aulnay-sous-Bois, le gardien de la paix admet avoir porté un violent coup de matraque « en forme d’estocade ». Il reconnait que ce coup avait certainement occasionné la blessure à l’anus. Il précise que la finalité et les conséquences de ce geste n’étaient « pas intentionnelles », car il visait la cuisse pour faire plier la jambe de l’intéressé. Par contre, il nie avoir baissé le caleçon de l’individu. Il maintient qu’à aucun moment, la victime n’a crié de douleur, et que par la suite elle ne s’est jamais plainte de sa blessure à l’anus.

Conclusion de l’IGPN

« L’analyse des divers éléments recueillis lors de cette enquête établissait que si le geste du gardien de la paix C. avec sa matraque était à l’origine de la blessure de M. Luhaka à l’anus, l’élément intentionnel pouvant caractériser le viol n’était pas établi ».

La suite est désormais entre les mains du juge d’instruction, qui devrait procéder dans les semaines qui viennent à de nouvelles auditions, en attendant les confrontations et une éventuelle reconstitution.

Source : Marianne

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