Maintien de l’ordre : grenade, flashball… quel cadre légal pour leur utilisation ?
Policiers et gendarmes disposent de deux armes dites de « force intermédiaire » pour riposter aux violences lors d’opérations de maintien de l’ordre. Chacune doit être utilisée dans un cadre légal bien précis.
Un jeune homme de 28 ans dans le coma, deux enquêtes confiées à la « police des polices », une troisième ouverte par le Défenseur des droits. Telles sont les conséquences de l’explosion d’une grenade de désencerclement lancée par un fonctionnaire de police jeudi 26 mai, cours de Vincennes à Paris, au terme d’une manifestation contre la loi travail.
La victime, qui souffrirait d’un œdème cérébral, a-t-il été blessé par cette grenade ? Dans quelles circonstances celle-ci a-t-elle été lancée par le policier ? C’est ce que les investigations de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) devront déterminer.
Un homme grièvement blessé après le tir d’une… par ITELE
Au même titre que les lanceurs de balle de défense (LBD), les conditions d’utilisation des grenades de désencerclement (GMD), par les forces de l’ordre sont vivement critiquées côté manifestants. Comment la loi encadre-t-elle vraiment le recours à ces armes dites de « force intermédiaire » ? iTELE fait le point.
► Trois armes dont une interdite en maintien de l’ordre
Au total les forces de l’ordre sont dotées de trois types d’armes de force intermédiaire (AFI) : le pistolet à impulsions électriques (PIE), le lanceur de balles de défense (LBD) et la grenade à main de désencerclement (GMD). Leurs règles d’utilisation ont été rappelées dans une circulaire du ministère de l’Intérieur, signée conjointement par les directeur général de la police nationale et de la gendarmerie nationale en septembre 2014. Ces armes doivent permettre aux policiers et gendarmes de répondre à deux besoins: « maîtriser un ou plusieurs individus dangereux » ou « réagir à une prise à partie par des groupes armés ou violents », le tout dans une situation qui « n’exige pas le recours aux armes à feu ». Ainsi, les AFI ont pour but d’apporter « dans le respect des lois et des règlements, une réponse graduée et proportionnée à une situation de danger lorsque l’emploi de la force s’avère nécessaire ».
L’emploi du PIE, plus connu sous le nom de la marque Taser, est interdit dans la cadre d’opérations de maintien de l’ordre. Enfin, pour chacune de ces armes, la place Beauvau rappelle que si elles ne sont « ni conçue(s), ni destinée(s) à tuer », elles restent des armes « dont il convient de ne pas sous-estimer la dangerosité ».
► La GMD : à ras du sol pour disperser un attroupement
La grenade à main de désencerclement (GMD) est susceptible d’être utilisée « lorsque les forces de l’ordre se trouvent en situation d’encerclement ou de prise à partie par des groupes violents ou armés ». Le but : « déstabiliser un groupe d’agresseurs en le faisant se replier ou en le dispersant ». Pour se faire, la munition, qui peut être lancée jusqu’à 30 mètres de distance, provoque une forte détonation et projette 18 galets en caoutchouc – ainsi que le « bouchon allumeur »- dans un rayon de 10 mètres.
Dans le cadre d’une opération de maintien l’ordre, elle est utilisée pour disperser un attroupement (au sens légal du terme) dans deux cas de figure:
- Après ordre de dispersion émanant de l’autorité administrative puis deux sommations, la dernière devant être répétée.
- Le second, directement et sans sommation, en cas de violences sur les forces de l’ordre où si celles-ci « ne peuvent défendre autrement le terrain qu’elles occupent ».
La circulaire alerte enfin sur les précautions d’emploi de cette grenade : elle doit être lancée « à ras du sol » et « en direction du groupe d’éléments hostiles à disperser ». Le lanceur doit également « prendre en compte les particularités environnementales afin de prévenir tous dommages collatéraux tels que les risques pour les personnes se trouvant à proximité ».
► Les lanceurs de balles de défense : la tête n’est pas visée
Les forces de l’ordre peuvent être dotées de deux types de lanceurs de balles de défense : le LBD de calibre 40 mm, le second de 44 mm, aussi appelé Flashball. Le premier, à un coup, est aussi le plus précis : doté d’un système d’aide à la visée, il permet « un tir optimum » à 30 mètres. Le second est un lanceur à deux coups, comme le laissent entrevoir ses deux canons superposés caractéristiques. Ces deux lanceurs disposent, selon les termes du ministère, d’un « fort pouvoir d’arrêt ». Le LBD 40 mm jusqu’à une distance maximale de 50 mètres, et jusqu’à 15 mètres pour le le Flash-ball. Les risques de lésions pour la cible sont toutefois plus importants quand elle se trouve à moins de 10 mètres pour le premier et à moins de 7 mètres pour le second.
Le LBD 40 et son système d’aide à la visée – Crédit : site du constructeur suisse Brügger & Thomet
Dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre, ces deux lanceurs peuvent être employés sans sommation par les policiers lors d’un attroupement, en cas de violences contre les forces de l’ordre où si celles-ci ne peuvent, là encore, « défendre autrement le terrain qu’elles occupent ». Les gendarmes ont quant à eux l’obligation de formuler des sommations. Comme pour la GMD, le lanceur doit également « prévenir tous dommages collatéraux tels que les risques pour les personnes se trouvant à proximité ». Enfin, les zones « préférentielles de visée » sont le torse et les membres supérieurs et inférieurs ». La tête, elle, ne doit jamais être visée.
► Pourquoi tant de blessés ?
Il n’existe pas aujourd’hui de bilan officiel du nombre de manifestants blessés en marge des cortèges d’opposants à la loi travail. Mediapart en évoque des dizaines et met en exergue le cas du cours de Vincennes et celui d’un étudiant rennais de 20 ans éborgné par un tir de LBD 40mmn. Est-ce là les conséquences des consignes de fermeté du gouvernement ? Pour Alexandre Langlois, secrétaire général de la CGT Police, « c’est surtout l’utilisation des forces de l’ordre qui n’est pas bonne ». Le syndicaliste déplore notamment une modification du code de la déontologie de la police par Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, en 2013:
Selon ce code de déontologie, la mission de la police nationale est d’assurer ‘la défense des institutions’ alors que l’ancienne version, instaurée en 1986, précisait qu’elle ‘concourt à la garantie des libertés et à la défense des institutions de la République’
Alexandre Langlois met aussi en avant les conséquences de l’Etat d’urgence. « Des collègues policiers ne sont pas formés au maintien de l’ordre: on n’a plus d’heures de repos, donc forcément, pas de formations », regrette-t-il, avant d’ajouter « que des ordres nous disent d’utiliser ces armes directement sans gradation de la riposte ». Selon le secrétaire général de la CGT Police, les fonctionnaires seraient « très réticents » à utiliser ces armes, car à chaque fois qu’une grenade de désencerclement est lancée, « c’est potentiellement une raison de révocation en cas de problème, tandis que celui qui a donné l’ordre ne sera jamais inquiété ».
Enfin pour le syndicaliste, la doctrine du maintien de l’ordre à la française « a un train de retard par rapport à beaucoup de pays européens » :
On est dans une dans une logique de gestion de la foule, tandis que nos voisins se concentrent sur des actions ciblées contre des individus violents et beaucoup de dialogue avec les organisateurs de rassemblements
Marc-Antoine Bindler (@marcobindler) – Crédit photo : Jean-Luc Mounier (@mounierjl)/ iTELE
Source : ITélé
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