« J’ai vu l’horreur absolue » – Roland Gilles

13 mars, 2025

TÉMOIGNAGE

Le général d’armée Roland Gilles, ancien directeur général de la Gendarmerie nationale et ancien ambassadeur de France à Sarajevo, nous livre le témoignage de son récent séjour en Israël (organisé par ELNET) où il a rencontré l’horreur absolue et fait le constat d’une paix illusoire aujourd’hui.

Roland Gilles – Le Tarn Libre

7 mars 2025

Samedi 22 février – Paris

Le vol Toulouse-Paris vient d’atterrir à Charles de Gaulle. Pendant que la télévision égrène les images de la libération de six otages israéliens supplémentaires, je me remémore ce rêve et cette envie, jamais réalisés, d’aller un jour en Israël. Je rejoins le lendemain un groupe international d’experts militaires invité à aller constater sur place ce à quoi est confronté le Proche Orient et comment Israël répond aujourd’hui.

Dimanche 23 février : Tel Aviv

Dès l’accueil, nous sommes dans le vif du sujet, avec le témoignage d’un soldat grièvement blessé le 7 octobre. Il relate sa terrible journée, son déplacement vers le sud, la « Gaza Enveloppe » et le combat engagé face à des assaillants fanatisés. Il est blessé, perd des camarades, sauve des vies. Il s’exprime avec sobriété, il ne se veut pas héros, il dit faire son devoir pour la survie de son pays. Il n’a pas de haine, il protège les siens qui aspirent à vivre en paix. II reprendra les armes lorsque ses forces le lui permettront.

Lundi 24 février : aux portes de Gaza

Je visite en une matinée deux lieux martyrs du 7 octobre. Le kibboutz de Kfar Aza est à deux kilomètres de la barrière de Gaza. Terrible assaut meurtrier à 6h30 quand le village peuplé de 900 âmes est attaqué par une masse de combattants du Hamas électrisés. Je ne vois que des maisons, sans âme pour certaines, ravagées pour d’autres, notamment celles qui bordent « la rue de la mort » et le foyer d’accueil de la jeunesse. Les visages des occupants assassinés sont aujourd’hui affichés sur ce qui reste des murs ou d’une porte ; l’officier qui nous guide raconte froidement les exécutions en citant les prénoms de femmes, d’enfants qu’il connaissait… Me reviennent les images d’Oradour sur Glane ! Plus loin encore vers le sud, le site du Festival de musique Nova est devenu un lieu de mémoire. 360 visages sourient sur des grandes affiches, autant de vies d’une jeunesse emportée en deux heures par la fureur meurtrière. Beaucoup n’ont eu aucune chance, comme les 19 filles et garçons massacrés dans cette buvette Coca Cola où les frigos à même la terre n’ont pu les protéger. 1200 Israéliens seront massacrés en une matinée (je calcule vite : 12 000 Français en rapportant au volume de notre population). Le poste frontière de Erez nous ouvre ce qu’il reste de ses portes : là, je prends conscience que la solution à deux Etats est bien morte : ce poste de transit entre Gaza et Israël, construit par l’Etat hébreu, voyait passer 20 000 Palestiniens par jour venant travailler dans les kibboutz. Il a été la première cible des assaillants du Hamas qui ont voulu détruire ce lieu, prémices d’une future frontière entre deux Etats. Il n’existe plus, comme la solution de paix.

Mardi 25 février : Tel Aviv

Lourd moment en fin d’après-midi où je visionne les photos et films durs et vrais des massacres perpétrés par le Hamas et des civils palestiniens. Des images de sang, de haine, dont sont victimes enfants, jeunes gens, femmes et jeunes filles violées, un soldat blessé décapité ; des assassinats en direct, des corps mutilés, brulés. L’horreur absolue qui ancre la conviction que la solution à deux Etats, déjà évoquée, est pour longtemps impossible tant haine et colère rendent la confiance inaccessible.

Mercredi 26 février : Tel Aviv et Jérusalem

Je suis interpellé au cours d’un dialogue par le constat simple d’un ministre : « Israël est engagé sur sept fronts militaires et en a un huitième le front médiatique ! ». Il entend par là les critiques récurrentes sur l’action militaire israélienne et les victimes civiles palestiniennes à Gaza. Nous posons aux chefs militaires la question des règles d’engagement des forces israéliennes au regard du droit international de la guerre. Les réponses nous présentent les mesures prises pour conduire une guerre la plus « propre » possible, sachant qu’il n’est aucune guerre sans morts, surtout en milieu urbain dense. Chaque décision d’opération est ainsi subordonnée à une procédure visant à limiter le nombre des victimes civiles ; un conseiller juridique présent à chaque échelon détient le pouvoir d’interdire toute opération ; Tsahal prévient à l’avance par tracts, internet, radio… les habitants d’un quartier de la nécessité d’évacuer le lieu à bref délai… alors que j’ai vu les débouchés des tunnels emménagés par le Hamas dans une chambre d’enfant ou une crèche à Gaza. Dans un autre domaine, l’approvisionnement des populations palestiniennes de Gaza par Israël pendant les 500 jours de guerre en eau, électricité, médicaments, télécommunications nous est présenté. L’Etat hébreu a en outre recueilli un millier d’enfants palestiniens alors que l’Egypte a refusé. Le Hamas a empêché l’évacuation de Palestiniens vers des convois humanitaires.

Je mesure, en écoutant mes interlocuteurs, le degré de souffrance vécu de part et d’autre. Je lis les commentaires mettant sur un même plan les actions militaires d’Israël et l’agression du Hamas le 7 octobre 2023. Pour avoir vu sur place, je ne cautionne pas, devant l’évidence que les soldats israéliens répondant à une attaque meurtrière n’ont pas, eux, en une journée, assassiné sauvagement 1200 civils innocents puis emmené 250 otages pour un calvaire insoutenable. Je me dis que s’il n’y a pas de hiérarchie de la douleur quand on perd un être cher, il y a en revanche une hiérarchie de l’horreur et de la barbarie dans l’acte qui donne la mort. Un terroriste est toujours un criminel, un soldat qui défend son pays et son peuple n’est pas un criminel.

Mes derniers interlocuteurs s’interrogent sur une paix à laquelle ils aspirent mais ne la voient pas dans un avenir proche. Pour les responsables politiques, les vrais détenteurs du pouvoir aux portes d’Israël ne la veulent pas, notamment le Hamas poussé par l’Iran, affaibli mais pas à terre ; pour eux, Israël a le devoir de se défendre pour sa survie, sans avoir de choix. La belle jeunesse que j’ai rencontrée chaque jour me dit, elle, son désir de vivre, en précisant qu’elle doit d’abord survivre et, pour cela, contribuer à rendre le pays fort.

Source : Elnetwork.fr

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