La démocratie dérange Bruxelles alors en pleine campagne électorale, elle convoque les dirigeants de TikTok pour s’expliquer des résultats du vote en Roumanie

Roumanie : la Cour constitutionnelle annule l’élection présidentielle sur fond de suspicion d’ingérence russe

Par Paul CozighianCyrille Louis, à Bucarest

Alors que le candidat nationaliste Calin Georgescu était arrivé en tête du premier tour, l’actuel président pro-européen reste en poste jusqu’à une date indéterminée.

Il s’agit d’un coup de théâtre inédit dans l’histoire européenne récente. À moins de quarante-huit heures du second tour de l’élection présidentielle roumaine, et à l’issue d’une campagne empoisonnée par les soupçons d’ingérence russe en faveur du candidat d’extrême droite Calin Georgescu, la Cour constitutionnelle a décidé vendredi d’en annuler la tenue. La juridiction a « annulé la totalité » du scrutin afin de « s’assurer de sa validité comme de sa légalité », et demande à ce que « l’intégralité du processus électoral » soit reportée. L’avant-veille, le président Klaus Iohannis avait déclassifié une note du Conseil suprême de défense nationale qui dénonçait l’utilisation du réseau social TikTok dans la campagne et pointait du doigt des ingérences russes. Elena Lasconi, la candidate de centre droit, a déploré une décision « illégale et immorale » qui « bafoue la démocratie ». 

La Cour a fait savoir qu’une nouvelle date de scrutin serait communiquée ultérieurement tandis que le mandat du chef de l’État, initialement censé s’achever le 12 décembre, sera prolongé jusqu’à ce que son successeur prenne ses fonctions. Les institutions du pays semblaient depuis quelques jours mobiliser toute leur énergie en vue de prévenir l’élection du candidat d’extrême droite. Mercredi, pour la première fois depuis la chute du communisme en décembre 1989, les principaux partis proeuropéens avaient accepté de mettre leurs querelles en sourdine pour s’engager à soutenir Elena Lasconi. L’Église orthodoxe roumaine, dont de nombreux prêtres ont récemment apporté leur soutien à Calin Georgescu, les avait rappelés à leur devoir de neutralité, tout en proclamant son attachement à l’ancrage européen de la Roumanie. 

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Jeudi soir, une grande manifestation de soutien à la candidate avait été organisée en présence d’artistes influents dans le centre de Bucarest. Mais en dépit de ces efforts soutenus, des sondages communiqués sous le manteau continuaient à prédire une large victoire à son adversaire russophile. Le peu de temps qu’il restait à la candidate de l’Union sauvez la Roumanie, un jeune mouvement antisystème créé dans le sillage des manifestations anticorruption, pour refaire son retard, a sans doute pesé dans la balance.

Des comptes TikTok suspects

Quelques jours plus tôt, une demande de recomptage des voix avait une première fois conduit la Cour suprême à suspendre la campagne. Mais les froncements de sourcils de pays amis de la Roumanie l’avaient conduite à écourter ce processus pour valider les résultats du premier tour. Le premier ministre sortant, Marcel Ciolacu, éliminé de la course à la présidence dimanche 24 novembre, estime que « la décision de la Cour constitutionnelle est la seule solution correcte après la déclassification de documents qui montrent que le résultat du vote roumain a manifestement été déformé suite à l’intervention de la Russie. » Les services secrets roumains affirment avoir recensé 25.000 comptes TikTok directement associés à la campagne de Calin Georgescu et précisent qu’ils sont devenus « extrêmement actifs deux semaines avant la date du scrutin ».

La décision de la Cour constitutionnelle est la seule solution correcte après la déclassification de documents qui montrent que le résultat du vote roumain a manifestement été déformé suite à l’intervention de la RussieMarcel Ciolacu, premier ministre sortant

Plusieurs centaines de milliers d’euros auraient été versés à des dizaines d’influenceurs en contrepartie de leur participation à la diffusion de vidéos ou de messages présumés favorables au candidat nationaliste. L’ancien haut fonctionnaire, auquel les sondeurs attribuaient moins de 1 % des suffrages à quelques jours du premier tour, a dès lors pris brusquement son envol pour s’imposer avec 23 % des voix. Les services roumains cherchent depuis à comprendre comment un tel basculement a pu s’opérer.

Une décision qui «polarise» la société

George Simion, le chef de file du parti nationaliste Alliance pour l’unité des Roumains (AUR), qui espérait figurer au second tour de la présidentielle mais avait été devancé par Calin Georgescu, a dénoncé un « coup d’État », reprochant à « des juges politiques » d’avoir « annulé la volonté du peuple roumain par crainte d’un candidat extérieur au système qui avait toutes les chances de devenir le président de la Roumanie », tout en appelant au calme. En Roumanie, les membres de la Cour constitutionnelle sont désignés de façon collégiale par le président et les principales formations politiques. Vendredi après-midi, des témoignages de mauvaise humeur ont été signalés dans certains des bureaux de vote à l’étranger, où le scrutin venait de débuter.

Il y a un peu plus d’un mois, des manœuvres comparables avaient mis en tension les services de sécurité moldaves en marge de l’élection présidentielle, mais le scrutin a finalement pu aller à son terme. Avec sa décision d’annuler le second tour, la Cour constitutionnelle roumaine précipite au contraire le pays dans l’inconnu. Selon le politologue Costin Ciobanu, elle menace de « polariser » encore un peu plus la société et « soulève de sérieuses questions sur la solidité des institutions ». D’autres observateurs soulignent au contraire que l’annulation du scrutin témoigne d’un salutaire réflexe d’autodéfense dans une démocratie visée par une guerre hybride. Les capitales européennes, pour leur part, restaient en fin d’après-midi étrangement silencieuses, comme indécises face à cette expérience institutionnelle peu orthodoxe.

Source : Le Figaro

Dans un revirement de situation stupéfiant, une Cour suprême de gauche en Roumanie a annulé les résultats des élections sans aucune explication claire.

Dans un revirement de situation stupéfiant, une Cour suprême de gauche en Roumanie a annulé les résultats des élections sans aucune explication claire. Calin Georgescu, qui a remporté une victoire inattendue, a déclaré publiquement que le Forum économique mondial contrôle les dirigeants européens et a décrit la victoire de Donald Trump en 2016 comme une anomalie dans cette matrice. Il a également suggéré que des oligarques pédophiles dirigent les Nations Unies et sont liés à la disparition de huit millions d’enfants chaque année sans aucune trace. Un jet privé en provenance de Floride a atterri en Roumanie quelques minutes avant que la Cour constitutionnelle n’annule les élections.