AIN – Les gendarmes résistants dans le département, lumière sur une facette méconnue de l’Histoire + Mémoires des Résistants et FFI de l’arrondissement de Brest
Du 9 novembre au 11 mai 2025, l’exposition « Les gendarmes résistants dans l’Ain, le choix de l’impossible » voyagera à travers le département. Parrainée par Laurent Gerra, elle redonne un visage à ces militaires engagés aux côtés des résistants, sous le régime de Vichy et l’occupation..
Par Julia Beaumet
Ici, des gendarmes interrogent un prisonnier allemand. Photo fournie – collection personnelle de Michelle Ravier
C’est une facette de l’histoire peu explorée. De juin 1940 à septembre 1944, quand certains gendarmes adhéraient à la collaboration, d’autres pourtant imprégnés de la même culture de l’obéissance aux ordres, s’engageaient aux côtés des résistants.
Pas moins de 103 gendarmes sur 457 hommes de la Compagnie de l’Ain ont ainsi participé à des actions de résistances, soit un cinquième des effectifs des brigades. Un comportement exemplaire retracé dans une exposition unique tant le sujet a été peu traité jusque-là.
« Certains étaient gendarmes le jour, résistants la nuit »
Pour lever le voile sur ce chapitre inédit, une commission « Histoire » s’est constituée en 2021, au sein du groupement de gendarmerie départementale de l’Ain, en partenariat avec l’association « mémoires de l’Ain 1939-1975 » présidée par Martial Zanetta. Avec le soutien de Florence Gherardi, la directrice départementale de l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG) et les archives départementales de l’Ain, des bénévoles se sont lancés dans un travail de longue haleine pour sortir de l’oubli ces gendarmes ayant choisi « le choix de l’impossible ».
« Certains étaient gendarmes le jour, résistants la nuit. Défendre la patrie avait plus de prix qu’un serment à un maréchal… », glisse Martial Zanetta. Conducteur de bus de métier, cet ancien juge prud’homal au tribunal de Bourg-en-Bresse , s’est plongé avec ardeur dans ce travail, au point de signer son engagement d’officier de réserve citoyenne pour la gendarmerie.
La gendarmerie paiera un lourd tribut
Il constatera à quel point les actions de résistance pouvaient être de natures différentes : « Des gendarmes œuvraient avec mollesse dans l’application des ordres, d’autres aidaient ceux qui étaient soumis au service du travail obligatoire (STO) à filer dans les maquis », raconte Martial Zanetta.
Et souligne le lourd tribut subi par les forces de gendarmerie en temps de guerre. Pour leur engagement résistant, des gendarmes des brigades de Nantua, de Brénod et de Saint-Rambert-en-Bugey ont en effet été exécutés ou victimes de la déportation. Peu sont rentrés des camps.
Une exposition itinérante
> Château des Allymes à Ambérieu-en-Bugey
Du 9 novembre à 14 h 00 au 11 mai 2025
> Portes ouvertes de la compagnie de Trévoux à Montluel
Du 17 mai au 18 mai 2025
> Hôtel de Ville à Oyonnax
27 mai 2025
> Salle des Augustins à Montluel
Du 3 juin au 7 juin 2025
> Fort l’Écluse à Léaz
Du 15 juin 2025 au 14 septembre 2025
> Préfecture de l’Ain
Journées du Patrimoine septembre 2025
> Musée militaire de Lyon – Cercle Bellecour
Octobre 2025
Source : Le Progrès
Les gendarmes dans la Résistance Broché – 17 mai 2001
de Pierre Accoce (Auteur)
Le rôle de la gendarmerie sous l’Occupation n’a jamais fait l’objet d’une étude sérieuse, objective et exhaustive. Il est encore largement occulté par toutes sortes de déformations et de confusions qui n’ont jamais été scrupuleusement éclaircies.
Non, la gendarmerie n’a pas été un instrument zélé au service de l’État vichyste. Non, la gendarmerie n’a pas été un relais docile de la politique de collaboration. Non, la gendarmerie n’a pas été massivement complice des rafles et des déportations.
Au contraire, de nombreux soldats bleus, écoutant leur conscience, ont rejoint très tôt la Résistance. Ils ont œuvré dans les réseaux existants, créé leurs propres antennes, combattu dans l’ombre contre l’occupant.
C’est le souci de rétablir une vérité historique ignorée qui a inspiré cet ouvrage à Pierre Accoce. Ils furent au total 12 000 gendarmes, le quart de l’effectif de l’arme, à participer activement à la Résistance. Un pourcentage dont aucun autre corps de métier ne peut se prévaloir et qui témoigne de l’enracinement des valeurs patriotiques et républicaines chez ces gardiens de l’ordre et de la sécurité.
Source : Amazon
Mémoires des Résistants et FFI de l’arrondissement de Brest
DERRIEN Jean-François Naissance : 12 mai 1917 – Mespaul (29)
Année d’entrée en résistance ou F.F.I. : 1943 Résistance :Jade, D.F
Unité :F.F.I Lannilis / E.M Pseudonyme(s) : Jean-Maurice Secteur(s) d’action : Lannilis
Décès : 24 septembre 2000 – Lourdes (65)
Jean-François Marie Derrien est issu d’une famille de cultivateurs ayant neuf enfants. Il passe son certificat d’études primaires puis à 17 ans, il suit une préparation militaire lui permettant de s’engager en 1935 au 48ème Régiment d’Infanterie (R.I) de Guingamp. Après un passage au 42ème Régiment d’Infanterie de Forteresse en Alsace, il fait une demande pour intégrer la Gendarmerie en 1939. Requête acceptée, il est muté à la caserne de Pontanézen de Lambézellec. Il effectue son stage et passe l’examen d’entrée avec succès, il est ensuite versé dans la Gendarmerie Mobile à la caserne de Kervéguen à Recouvrance au début 1940. Malgré la période incertaine, il concrétise son union avec Jeanne Pouchard en l’épousant le 25 mai 1940. À la débâcle en juin, il participe à la sécurisation de l’évacuation de l’or de la Banque de France sur les navires au port de Brest. Le 19 juin 1940, les Allemands sont aux portes de Brest, les gendarmes sont mis sur les routes de Brest pour tenter de ralentir la progression ennemie, en vain.
Jean-François Derrien relate la fin de cette journée :
Mais vers 18 heures, la camionnette de Kervéguen vient nous chercher pour rentrer car les Allemands sont déjà à l’entrée de Brest. Le moral est très bas, et bien plus bas encore, lorsque, arrivés à la caserne, on nous demande de nous mettre en tenue numéro un, pour nous rendre à la caserne du château, afin de présenter les armes… Notre humiliation est à son comble . Les larmes ruissellent sur mon visage, en présentant les armes et je serre les dents. Je me demande si nous serons faits prisonniers.
Les gendarmes ne sont pas faits prisonniers et restent en poste pour pallier au manque d’effectif dans les commissariats, à la requête de Victor Le Gorgeu, maire de Brest. En 1941, sa femme est enceinte et quitte la ville pour la ferme familiale des Derrien pour échapper aux bombardements réguliers sur Brest. Jean-François la rejoint les jours de repos. Au fil de l’occupation, il commence à désobéir à certains ordres et enfreint le règlement. Le 25 mai 1941, il est affecté à la brigade de Gendarmerie de Lannilis où sa fille naît le 18 juin 1941. Il poursuit la sape contre l’armée allemande de manière indirecte en faisant du zèle auprès de commerçants ayant d’étroites relations avec l’occupant. Il met aussi de la mauvaise volonté pour trouver les jeunes du canton requis dans le cadre du Service du Travail Obligatoire (S.T.O). Ces actions lui valent d’être dans le collimateur de la feldgendarmerie de Brest. En janvier 1943, son fils Jean-Maurice naît.
En mai 1943, Jean-François Derrien est contacté par la marchande foraine Alice Coudol du réseau de Résistance Alliance, sur suggestion d’Amédée Rolland de Lannilis, Théophile Jaouen et Joseph Mouden de Tréglonou. Cette dernière cherche un responsable cantonal pour rassembler dans la clandestinité des volontaires prêts à se battre quand le débarquement interviendra. Jean-François Derrien accepte et l’équipe se met au travail pour recruter des hommes ayant une expérience militaire à Lannilis, Plouguerneau et Landéda. Après l’arrestation d’Alice Coudol et le démantèlement du réseau auquel elle appartenait en octobre 1943, Jean-François Derrien est coupé quelques jours avant de renouer les liaisons avec François Broc’h de Guissény. Ce dernier a également été en contact avec le réseau Alliance et désormais il œuvre pour le mouvement Défense de la France (D.F). Jean-François Derrien bascule alors dans cette organisation et rapidement il noue des contacts avec la Résistance des cantons de Ploudalmézeau et Saint-Pol-de-Léon.
A l’automne 1943, par ses relations le gendarme Derrien aide le réseau Jade Fitzroy à rapatrier vers Landéda des aviateurs alliés camouflés à Landerneau. Des hommes de son mouvement participent également aux transferts des aviateurs devant être récupérés sur l’île Guénioc par la Royal Navy anglaise. La première expédition est ratée, la seconde un fiasco. Il faut attendre la troisième tentative dans la nuit du 25 au 26 décembre 1943 pour que les aviateurs anglais et quelques autres candidats à l’évacuation puissent rejoindre l’Angleterre.
Depuis son basculement à D.F, l’organisation clandestine continue. Ils parviennent à obtenir quelques armes anglaises pour la formation des recrues. Jean-François Derrien rencontre le responsable militaire du mouvement, le chanoine Marcel Kerbrat de Lesneven. Au début 1944, après sept à huit mois de prospection, la liste des volontaires est suffisante pour composer théoriquement la future Compagnie F.F.I de Lannilis. Le recrutement n’est pas une mince affaire, le gendarme essuie plusieurs refus, notamment d’officiers de carrière en congés d’armistice. Le 14 février 1944, il donne un coup de main à François Broc’h pour récupérer des tickets d’alimentation à Saint-Pol-de-Léon. En fin février, une réunion des chefs de l’Armée Secrète se déroule chez Jean-François Derrien, y assistent François Broc’h, Mathieu Donnart, Paul Fonferrier et Baptiste Faucher. Parmi les sujets abordés lors de cette réunion, le rattachement de Kernilis et Coat-Méal au groupement cantonal de la Résistance de Lannilis ainsi que l’organisation de la récupération d’armes parachutées dans le centre Finistère.
Cette opération est réalisée le 9 mars 1944 par Jean-François Derrien et Paul Chamaret de Lannilis avec l’appui de trois membres du groupe Action Directe de Brest ; Yves Hall, Georges Dauriac et Francis Beauvais. Elle permet de ramener près de 2.5 tonnes d’armement et de munitions pour équiper l’arrondissement de Brest pour l’instruction des jeunes recrues. Le même mois, à la demande François Broc’h, Jean-François Derrien participe à une opération de récupération de tickets d’alimentation à Ploudaniel avec Francis Beauvais et Guy Hennebaut.
En avril 1944, alors qu’il organise la collecte d’informations d’ordre militaire sur les fortifications allemandes, un des hommes du gendarme Derrien est arrêté. Dans la foulée, un étranger se présente à la caserne de Lannilis et demande à voir Jean-François Derrien. Craignant qu’il s’agisse d’une souricière par les services de sécurité allemands, le gendarme et sa famille se volatilisent. La famille passe la nuit chez Joseph Mouden mais regagne dès le lendemain leur domicile. Car tout ceci n’est qu’un concours de circonstances, l’inconnu n’était autre que André Pichard, qui souhaitait prendre contact pour des renseignements. Ce quiproquo met cependant le gendarme Derrien dans le mal et il est sommé de s’expliquer lors d’une réunion des officiers de la gendarmerie au Faou. Il écope d’une sanction pour son comportement.
Le 3 mai 1944, se tient une nouvelle réunion à la gendarmerie de Lannilis en présence de Paul Fonferrier, Baptiste Faucher, Pierre Bernard, François Broc’h et Derrien. Il est question de l’organisation du Bataillon F.F.I de Lannilis. Suite à plusieurs arrestations, il est recommandé à Jean-François Derrien de quitter la gendarmerie pour se mettre à l’abri. Le chef de Lannilis rétorque que c’est impossible, sans faire prendre de gros risques à sa famille. Son enlèvement par la Résistance est alors organisé pour lui donner un sérieux motif d’absence. Le simulacre se déroule le 9 mai 1944, avec l’aide de Francis Beauvais et trois autres résistants du groupe Action Directe de Brest, permettant au gendarme Derrien, qui a au préalable prévenu ses subordonnés, d’avoir les coudées franches.
Il s’établit durant une quinzaine de jours au château de Penmarc’h en Saint-Frégant, base arrière de la Résistance brestoise. Muni d’une bicyclette et de faux papiers il effectue pendant tout le mois des liaisons entre les différents chefs de la Résistance et son canton. Le 3 juin 1944, à la suite de nouvelles arrestations, il s’établit au moulin de Baniguel chez Jean Méard pour se rapprocher de Lannilis. Le 5 juin 1944, il fait un point avec son adjoint Étienne Manach pour choisir des agents de liaisons entre les différentes compagnies du bataillon et prendre des mesures dans le cas d’un parachutage d’armes. Le mois passe et Jean-François Derrien change encore une fois de planque. Il trouve refuge au Grollo à Lannilis. Il est en constante liaison avec ses équipes et l’État-Major F.F.I de Brest replié au moulin de Garéna à Lannilis. En juillet la planification concrète des opérations avance, il est aussi l’heure de la mise en place du comité de Libération de Lannilis, qui doit se charger sitôt les Allemands chassés, de gérer la commune et mener des enquêtes sur les collaborateurs. Le 17 juillet au soir, le gendarme est présent à Saint-Frégant pour réceptionner l’équipe Horace de la Mission Jedburgh mais le largage n’a pas lieu.
Cette équipe interalliée est finalement rencontrée en fin juillet 1944 dans le secteur de Lannilis. Le 2 août, le Bataillon F.F.I de Lannilis reçoit son largage de conteneurs d’armes près de la ferme de Keryel en Tréglonou. Plusieurs drop zones ayant été refusées au dernier moment par les aviateurs, les F.F.I de Lannilis reçoivent beaucoup plus de matériels que prévu. Sont largués près de 130 colis, pour un poids total estimé entre 25 et 30 tonnes d’équipements. Il y a là de quoi armer 800 hommes, mais encore faut-il débarrasser le terrain de largage et tout mettre en sécurité. Il faudra la nuit entière et l’aube pour que les F.F.I du canton puissent sécuriser le chargement.
Le 4 août 1944, Jean-François Derrien reçoit la consigne de mettre en alerte ses hommes, le lendemain se présente au Poste de Commandement F.F.I à Lanarvily et obtient l’ordre d’entrer en action. L’insurrection générale des F.F.I est décrétée pour le 6 août 1944. Les opérations sont déclenchées dans le canton dans la nuit du 5 au 6 août 1944. Depuis son P.C de Keryel, le gendarme suit les opérations à Kerbabu et Tréglonou ainsi qu’au Cosquer en Plouguerneau. Les allemands sont fixés sur leurs positions, les F.F.I sont maîtres des routes. Le 10 août 1944, la garnison allemande se rend aux américains à Lannilis. Le lendemain, les derniers allemands se rendent à Landéda également. S’ensuivent des opérations de nettoyage de tout le secteur pour débusquer les soldats allemands se cachant en rase campagne et récupérer le matériel abandonné par l’occupant. Jean-François Derrien établit son P.C à Lannilis et procède à l’épuration.
Le Bataillon F.F.I de Lannilis se réorganise avant d’être déployé pour la réduction de la poche de Brest et du Conquet. Le 15 août 1944, l’unité se porte sur la ligne de front entre Plouguin et Coat-Méal. Le 22 août avec l’aide des américains, les F.F.I de Lannilis refoulent les Allemands au-delà de Milizac. Fin août, le bataillon est en position à Locmaria-Plouzané, sur la route menant à Brest, après être passé par Saint-Renan. Les opérations se poursuivent à Plougonvelin jusqu’à la reddition complète de la poche du Conquet le 10 septembre 1944. Une partie de son bataillon est ensuite déployée dans les faubourgs de Brest jusqu’à la capitulation allemande le 18 septembre 1944. Les F.F.I de Lannilis sont démobilisés le 1er octobre 1944.
Après un bref passage dans la nouvelle armée française, Jean-François Derrien réintègre la gendarmerie jusqu’à sa retraite. Pour son action dans la Résistance, il reçoit la médaille Militaire, la Croix de Guerre 1939-1945 avec étoile de vermeil, la Medal of Freedom (USA) et la médaille commémorative française de la guerre 1939-1945. En 1993 il est fait Chevalier de la Légion d’honneur et l’année suivante, il publie ses mémoires dans le livre Gendarme et Résistant sous l’occupation (1940-1944).
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