[EDITO] Le patron de Telegram arrêté : la liberté d’expression, combat d’avenir

En France, chez ceux qui s’entre-convainquent de leur appartenance à « l’élite », il est de bon ton de rire de l’ancien ministre de l’Information de De Gaulle Alain Peyrefitte, qui se faisait communiquer le contenu du JT tous les soirs avant diffusion par l’ORTF. On rigole d’un air pincé dans les milieux médiatiques de cette « censure » grossière, digne des journaux du Second Empire qui parvenaient à leurs lecteurs bardés de « blancs », les critiques du régime ayant été effacées. On a même eu, durant tout le XIXe siècle, un nom pour la censure, devenue un membre de chaque famille : on parlait des ciseaux de tante Anastasie. Depuis, en France en particulier où l’on se gargarise de liberté d’expression, la sphère médiatique politiquement correcte accuse et dénonce, non sans raisons du reste, la Russie (durement), la Chine (mollement), la Hongrie (méchamment) et toute une ribambelle de pays. On ne pourrait y informer librement, contrairement à ce qui se passe dans l’Hexagone. Il va falloir revoir ce gentil logiciel.

Car l’arrestation en France, donc avec l’autorisation des plus hautes autorités françaises, du patron et créateur du réseau social Telegram, le Franco-Russe Pavel Durov, a de quoi inquiéter tout Français attaché à la liberté d’expression quelle qu’elle soit, même utilisée par des adversaires. On ne connaît pas, pour l’instant, les éléments officiels précis qui motivent cette arrestation. Selon Le Figaro, le milliardaire Pavel Durov faisait l’objet d’« un mandat de recherche » émis par des enquêteurs français. Motif : sa messagerie, connue pour protéger strictement l’anonymat de ses utilisateurs, servirait de repaire aux escrocs en tous genres, aux trafiquants de drogue, aux cyberharceleurs, à l’apologie du terrorisme et à la fraude, affirme une « source proche du dossier » citée par le quotidien. Télégram refuserait de « modérer » les propos tenus sur le réseau, c’est-à-dire de les supprimer ou de collaborer avec les enquêteurs. Vu sous cet angle, les sincères et les naïfs peuvent applaudir. Enfin un peu d’ordre ?

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Sauf que l’habillage est grossier. Ces arguments consensuels, ces authentiques combats à mener, cachent très très mal un dessein liberticide. Les lois qui s’accumulent dangereusement en Europe et en France contre ces réseaux n’offrent aucune garantie de respect absolu de la liberté d’expression, de la liberté de critiquer les décisions politiques et sociales prises par nos gouvernants, leurs agences européennes ou mondiales, leurs ambitions, leurs bilans, leurs décisions, leurs faux-semblants, leurs manœuvres. La loi de 1881 imposait une liberté absolue de la presse et des médias, responsables en cas de conflit devant les tribunaux. Elle a fait consensus jusqu’à aujourd’hui. On sort totalement de ce schéma pour un univers de liberté sous contrôle renforcé. Tout un nouvel arsenal juridique donne au pouvoir non élu de Bruxelles et au pouvoir politique français un outil de censure inédit. Il a ouvert les vannes des consciences de nos décideurs. Ceux qui affirmaient qu’on ne pouvait toucher à la liberté d’expression qu’en tremblant sont morts et enterrés. Leurs successeurs ne tremblent pas. Il faut recaporaliser l’opinion publique qui glisse à droite, en France et en Europe, comme au bon vieux temps où trois ou quatre chaînes nationales tenaient le même discours aux Français.

Ainsi, comme le précisait hier notre journaliste Raphaëlle Claisse, Meta, le groupe propriétaire d’Instagram, un réseau social concurrent de Telegram, s’est donné la permission de censurer de nombreux comptes de droite, comme celui d’Occidentis (160.000 abonnés sur Instagram), de La Bonne Droite, de l’ASLA (Association de soutien aux lanceurs d’alerte) ou d’Alice Cordier. À la demande de qui ? Sur quelle base ? Avec quels recours pour les intéressés ? Hier, les aficionados de CNews, la chaîne d’information du groupe Bolloré, ont tremblé. Le couperet est tombé sur la chaîne sœur de CNews, C8, dont le propriétaire Vincent Bolloré est devenu la bête noire du pouvoir, de la gauche et de l’extrême gauche. Cette suppression administrative d’une chaîne TNT n’a qu’un seul demi-précédent en France : le retrait de l’autorisation d’émettre de la chaîne Numéro 23, qui sera finalement sauvée par le Conseil d’État. Autre cran au garrot qui se met en place ? Ce 12 août 2024, Thierry Breton a envoyé une lettre à Elon Musk, le propriétaire de l’influent réseau social X, pour l’exhorter à veiller à ce que X « modère », c’est-à-dire élimine, « correctement les contenus de son réseau, après le débat qu’il avait organisé avec le candidat à la présidence des États-Unis, Donald Trump », précise le site européen Euractiv.

Le Président Macron a été pionnier, dans ce domaine. En 2020, la loi Avia, présentée par une députée macroniste, avait, elle aussi, tenté de s’appuyer sur des indignations consensuelles pour bâillonner les médias et les Français sur les réseaux sociaux. Le texte était si dangereux pour nos libertés qu’il avait été… censuré par le Conseil constitutionnel, pourtant peu suspect d’accointances patriotes. La droite n’est pas seule à s’inquiéter. La journaliste et écrivain Aude Lancelin, femme de gauche, écrit sur X que « la liberté d’expression est en danger en Europe ». La liberté d’expression redevient un dur combat. Cela n’empêchera pas la France élitaire de se gausser d’Alain Peyrefitte, avec des airs entendus. Et douze trains de retard.

Source : Boulevard Voltaire

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