Loi sur la fin de vie : vers une libéralisation controversée ?

| 21/05/2024 | par Caducee.net

21 organisations de soignants sonnent l’alarme : en moins d’une semaine, les députés de la commission spéciale ont considérablement élargi l’accès à la mort assistée, surpassant les avancées réalisées par la Belgique en 22 ans et par le Canada en 8 ans, et allant même au-delà des recommandations du CCNE et de la Convention citoyenne. Ces modifications, qui seront débattues le 27 mai, suscitent des réactions variées parmi les législateurs et les professionnels de la santé.

Un choix entre euthanasie et suicide assisté

Le projet de loi initial prévoyait le suicide assisté avec une exception pour l’euthanasie pour les personnes incapables de l’exécuter elles-mêmes. Cependant, un amendement (CS977) adopté par la commission permet désormais aux patients de choisir librement entre l’euthanasie et le suicide assisté, soulignant que cette décision doit revenir au patient plutôt qu’être conditionnée par le type de maladie qui affecte la personne. Cette modification transforme l’euthanasie en un choix plutôt qu’une exception.

Cécile Rilhac, Députée Renaissance a déclaré dans le Figaro « Ce choix entre euthanasie et suicide assisté devrait incomber au malade et non au type de maladie. Ce n’est pas à la présence d’éventuelles paralysies de se substituer à la volonté du patient. »

Claire Fourcade, présidente de la Société Française de Soins Palliatifs (SFAP), a exprimé son inquiétude.

« Notre désarroi et notre inquiétude sont immenses devant ce texte qui devient le plus permissif au monde et nous place dans la droite ligne du Canada, c’est-à-dire avec la possibilité d’un nombre d’euthanasies supérieur à 40.000 par an en France. »

Les amendements ont aussi pour objectif de classer l’euthanasie comme un soin, ce qui met les professionnels de la santé mal à l’aise. 

Des critères d’éligibilité élargis et une procédure simplifiée

Le critère initial de « pronostic vital engagé à court ou moyen terme » a été remplacé par celui d’une « affection grave et incurable en phase avancée ou terminale » (CS1558). Cette redéfinition élargit l’accès à l’aide à mourir à des patients dont le pronostic vital n’est pas immédiatement menacé (CS659), incluant potentiellement des affections variées telles que l’insuffisance rénale, les cancers et les insuffisances cardiaques ou respiratoires.

Le projet de loi sur la fin de vie a introduit la possibilité d’inscrire une demande d’euthanasie dans les directives anticipées, permettant ainsi de respecter les dernières volontés médicales écrites au cas où un patient deviendrait inconscient. Initialement, cette option était exclue du texte car le malade devait être capable de réitérer sa demande oralement avant l’acte létal. La manière dont ces demandes seront prises en compte reste incertaine. Sur ce point les soignants s’interrogent quant à la validité et à la vérification de ces directives, susceptibles d’être influencées par des proches, en particulier dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

De plus, le délai de réflexion de 48 heures avant l’accès à l’aide à mourir a été assoupli, pouvant être abrégé sur avis médical pour préserver la dignité du patient. La décision médicale ouvrant l’accès à l’aide à mourir sera évaluée dans le cadre d’une « procédure collégiale pluri-professionnelle », mais la décision finale reviendra à un seul médecin. Cette collégialité a été critiquée par le député Philippe Juvin (LR), craignant une concentration des décisions entre les mains d’un seul praticien.

Un amendement introduisant un délit d’entrave à l’aide à mourir a également été adopté. Danielle Simonnet (LFI) a précisé que ceux qui entraveraient ce droit pourraient être condamnés à un an de prison et 15 000 € d’amende. Cette disposition, calquée sur celle pour l’IVG, soulève des inquiétudes sur son impact sur la prise en charge des malades en fin de vie et sur les politiques de prévention du suicide.

En ce qui concerne le discernement du patient, un amendement permet désormais de respecter les volontés exprimées dans les directives anticipées, même si le patient perd sa conscience de manière irréversible (CS1990). De plus, la procédure d’aide à mourir a été simplifiée : le délai de confirmation de la demande peut être réduit ou supprimé à la discrétion du médecin (CS1278), et la demande reste valable pendant 12 mois sans nécessiter de reconfirmation (CS1778).

La Société Française de Soins Palliatifs (SFAP) a exprimé ses réserves, soulignant que ce critère pourrait inclure des patients atteints de maladies chroniques ou de cancers avancés, sans que ces patients soient en fin de vie imminente.

Les préoccupations des professionnels de santé négligées

Certains aspects préoccupants soulevés par les professionnels de la santé ont été ignorés, notamment :

  • La possibilité pour toute « personne volontaire », y compris des proches, de réaliser l’acte létal.
  • L’absence de formation et d’accompagnement pour les soignants et les proches réalisant l’acte.
  • L’administration de la substance létale sans encadrement strict.
  • L’obligation pour les établissements de santé d’autoriser la pratique de l’acte létal et pour les pharmaciens de ne pas opposer d’objection de conscience.

Les réactions aux modifications du projet de loi sur la fin de vie sont variées et souvent critiques.

Annie Genevard, députée LR, a exprimé sa vive inquiétude, affirmant que « le débat a pris un tournant très inquiétant. Le législateur a ouvert la boîte de Pandore au détriment de la protection du patient, de ses proches et des soignants. » Pierre Dharréville, député communiste, a souligné « un basculement qui a une dimension anthropologique vertigineuse. » Danielle Simonnet, députée LFI, a défendu les modifications en déclarant : « Nous élargissons l’accès de l’aide à mourir. Cette nouvelle définition place le patient au centre de la décision au lieu de la faire dépendre de son médecin. »

En tant qu’oncologue, le Dr Barrière se trouve en première ligne pour répondre aux demandes d’aide active à mourir. Particulièrement préoccupé par les implications pour les patients atteints de cancer, qui représentent 60 % des cas dans les pays où cette pratique est légalisée, il exprime de fortes réserves concernant les dérives potentielles, notamment en termes de norme sociale et de risques pour les patients socialement précaires ou isolés, craignant que ceux-ci puissent se sentir poussés à choisir la mort pour ne pas être un fardeau.

Le Dr Barrière souligne que l’évolution rapide des traitements oncologiques rend difficile la prédiction précise de l’espérance de vie et de la qualité de vie future des patients. Il cite l’exemple des patients atteints de mélanome métastatique, qui ont désormais de bonnes chances de survie à long terme grâce à l’immunothérapie, alors qu’il y a 30 ans, leurs perspectives étaient désespérément limitées.

Sa plus grande crainte est que la loi autorisant l’euthanasie conduise à des choix non éclairés de mourir prématurément alors que des traitements efficaces existent. Il insiste sur l’importance d’un pronostic sans traitement et sur le danger de se prononcer sur un pronostic avec traitement.

Le Dr Barrière envisage d’exercer son droit de retrait si l’euthanasie devient une norme, soulignant que son opposition n’est ni religieuse ni politique. Il reconnaît la souffrance irréversible de certains patients et envisage des exceptions à l’euthanasie, mais il insiste sur la nécessité de ne pas en faire une norme. Il propose une approche similaire à celle de l’Italie, où l’euthanasie pourrait être rendue possible après un examen collégial, multidisciplinaire, et validée par un juge.

Un changement sociétal majeur et redoutable

Cette réforme marque un tournant décisif, remettant en question le principe fondamental de ne pas provoquer la mort. Pour les 21 organisations de soignants, la valeur de fraternité, pilier de notre humanité, doit prévaloir pour éviter de répondre à la souffrance par des solutions irréversibles. « La solidarité et l’accompagnement par des soins de vie sont préférables à l’acte de provoquer la mort »  Les députés, en séance publique à partir du 27 mai, seraient bien inspirés de reconsidérer ces dispositions pour éviter des impacts négatifs sur les patients, les personnes handicapées et les personnes âgées, et pour prévenir un bouleversement profond de notre société.

Source : Caducee.net

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