24 heures en garde à vue pour avoir réclamé la « démission » de Darmanin : « C’est pas normal ! »
Dimanche 26 juillet 2020, Gérald Darmanin a été interpellé près de Rouen par des manifestants réclamant sa « démission ». Quatre ont été placés en garde à vue, deux témoignent.
Après la visite de Gérald Darmanin, dimanche 26 juillet 2020 à Saint-Étienne-du-Rouvray, quatre personnes ont été placées en garde à vue. (©Capture d’écran / JBM)
Alice* et Pierre* ne sont pas encartés à un parti, « pas d’extrême gauche », « pas militants », mais ils ont décidé après le petit-déjeuner, « par conviction », d’assister à la venue de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, aux célébrations de la mort du Père Hamel, dimanche 26 juillet 2020 à Saint-Étienne-du-Rouvray, près de Rouen (Seine-Maritime).
Ils voulaient y assister « pour aller discuter avec lui, pour l’écouter et lui faire passer notre message, sans lui manquer de respect » :
Nous voulions lui dire que nous trouvions qu’il n’avait pas sa place ici. C’est le seul ministre visé par une plainte qui ne démissionne pas.
Alice et Pierre, pour avoir crié « Démission », « C’est la honte », et « Pour toutes les femmes », ont passé 24 heures en garde à vue pour « outrage et participation à une manifestation interdite », détaille la police.
« Un agent s’est posté juste derrière nous »
C’est « en voyant les tweets de 76actu » que le couple de Rouennais décide, dimanche 26 juillet, « avant d’aller au marché », de faire un détour par Saint-Étienne-du-Rouvray : « On avait notre cabas, on était en tongs… On avait juste préparé des feuilles A4 avec écrit dessus, ‘Démissionnez SVP’ que l’on comptait lui montrer pacifiquement. On est facilement rentrés, après que les agents du dispositif de sécurité nous ont fouillés sans tomber sur nos feuilles, et on a rapidement senti que l’on était observés. Un agent s’est posté juste derrière nous. »
Dans l’assemblée, à l’opposé de l’endroit où ils se trouvent, d’autres personnes sont venues manifester leur mécontentement, mais Alice et Pierre le certifient : « On ne les connaissait absolument pas. »
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Lorsque l’un des autres manifestants, avant que le ministre ne débute son discours, crie « Sale violeur », le couple de 26 ans enchaîne : « Démission ! », « C’est la honte ! », « Pour toutes les femmes ! » : « C’est sorti tout seul ! », assurent-ils. Alors interpellés — « ça, on s’y attendait » —, ils sont « violemment » sortis de l’assemblée par les forces de l’ordre, comme neuf autres personnes.
Ils nous ont postés contre un mur, ils ont fouillé nos sacs et nous ont embarqués direction le commissariat de Brisout-de-Barneville. Là-bas, nous deux et deux autres personnes avons été placés en garde à vue.
« Quand on fait une connerie, on assume. Là, on savait qu’on allait être évacués de l’assemblée, en criant ‘Démission !’. Mais passer 24 heures en garde à vue ensuite, c’est pas normal. Même des policiers nous disaient ‘Vous n’avez rien à foutre là’. Au début, ils disaient que l’on avait dit ‘Sale violeur’, alors que des vidéos ont rapidement prouvé le contraire. »
« Crier ‘sale violeur’ nous semble inapproprié, ajoutent-ils. Monsieur Darmanin n’a pas été jugé. La présomption d’innocence est un principe primordial et bien sûr, on ne peut pas le bafouer. Jusqu’à aujourd’hui, Gérald Darmanin n’est pas un violeur et ce n’est pas notre propos. Par contre, le fait qu’il soit nommé au gouvernement et qu’il accepte le poste est un message violent de mépris et de non écoute pour les personnes investies dans le débat autour des violences faites aux femmes dans notre société, plus généralement de la place de la femme en France. Au début du quinquennat, plusieurs ministres ont été congédiés pour des affaires judiciaires, sans avoir été condamnés. Pourquoi pas lui ? »
« C’est une expérience… »
En garde à vue où « tout est sale », où « on doit toquer pour aller aux toilettes », où « il y a du sang séché sur les murs » etc., Alice « pleure beaucoup ». Retenu dans une autre pièce, Pierre « entend les sanglots » : « C’était terrible de savoir qu’elle n’allait pas bien. En plus, elle est épileptique et n’avait pas ses médicaments, ni sa pilule. »
Alice a tout de même pu voir un médecin. Tous deux notent que « les policiers ont tous été supers avec nous, ils nous faisaient même comprendre qu’ils voyaient bien que quelque chose n’allait pas avec notre garde à vue ».
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« C’est une expérience », leur soufflera un policier comme pour les aider à relativiser avant de les relâcher, 24 heures après leur interpellation. « Si ça peut faire avancer le débat, alors on est fiers de nous », expliquent-ils deux jours après leur mésaventure. C’est qu’à la suite de leur garde à vue, Alice et Pierre ont vécu comme une consolation à tous leurs malheurs la Une de Libé :
La question de l’outrage
Juridiquement, la notion d’outrage, explique Maître Etienne Lejeune, avocat au barreau du Havre, concerne « les paroles de nature à porter atteinte à la dignité d’une personne ou au respect dû à sa fonction. De fait, il n’y a pas nécessité de propos injurieux ou grossier ».
Les autorité ont statué, et Alice et Pierre ont finalement tous deux reçu un rappel à la loi pour « participation à une manifestation interdite », l’enquête n’ayant pas permis d’établir qu’outrage il y avait eu, explique le parquet de Rouen. À noter que le fait de participer à une manifestation interdite est passible de contravention, mais ne peut pas engendrer de garde à vue.
L’homme ayant crié « Sale violeur » est quant à lui convoqué devant le tribunal correctionnel le 23 novembre 2020 dans le cadre d’une convocation par procès-verbal pour « outrage » à l’égard du ministre de l’Intérieur et « manifestation interdite ». Quant aux sept autres personnes ayant été interpellées mais pas placées en garde à vue, elles ont ensemble déposé plainte pour « atteinte à la liberté individuelle ». Alice et Pierre décideront « dans les prochains jours » s’ils décident ou non de déposer plainte à leur tour.
* Les prénoms ont été changés
Source : Actu.fr
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