11 Novembre : la science redonne un nom à un poilu inconnu

 Sur cette photo retrouvée par la famille, on peut voir Claude Fournier (assis au premier rang, le 2e en partant de la gauche) aux côtés de 14 camarades de régiment.DR

Après une enquête passionnante, le corps d’un poilu a pu être identifié. Le sergent Claude Fournier est sorti de l’oubli un siècle après sa disparition.

Sans la science, il serait toujours un soldat inconnu. Un poilu mort pour la France en 1916 dans l’enfer de Verdun, à l’âge de 35 ans. Une victime de 1914-1918 dont on commémore, ce 11 novembre, l’Armistice. Un squelette parmi trois autres découverts, il y a deux ans et demi, lors des travaux de rénovation du Mémorial de Verdun. Grâce au flair d’un légiste, à la persévérance d’un maire, avec l’éclairage des gendarmes, l’aide d’un petit-fils, le soutien de l’Office national des anciens combattants, grâce enfin à un peu de chance, le sergent Claude Fournier est sorti de l’oubli un siècle après sa disparition.

Et ça, c’est aussi historique. Ce héros des tranchées est le premier combattant français de la Grande Guerre à être identifié par la génétique. Le premier également à bénéficier d’une reconstitution du visage, grâce aux techniques ultramodernes d’identification criminelle de la gendarmerie. Pour y parvenir, il a fallu résoudre une passionnante énigme qui fait étape en Lorraine, Alsace, Bourgogne, Ile-de-France et Paca.

 - Verdun (Meuse). Bruno Frémont, médecin-légiste, et Tania Delabarde, anthropologue à l’Institut médico-légal de Paris, au travail. (PHOTO/DR)

Trois squelettes mais un seul nom

Le mercredi 6 mai 2015, une pelleteuse creuse un trou de 2 m de profondeur à Fleury-devant-Douaumont (Meuse), sous le parking du Mémorial de Verdun, en plein chantier de rénovation avant la commémoration du centenaire de la bataille sanglante. Soudain, dans une couche de glaise noire, le conducteur aperçoit des ossements. La gendarmerie est prévenue. Elle alerte le procureur. Bruno Frémont, médecin légiste, est dépêché sur place. «Trois squelettes enchevêtrés quasiment complets émergeaient dans de la terre très compacte et humide», se souvient cet expert de 62 ans, qui est aussi urgentiste au Samu de Verdun. Du matériel militaire français datant de 1914-1918 est mis au jour en grattant le sol. Des sacoches en cuir contenant des balles de fusil Lebel «encore étincelantes au soleil», une ceinture en cuir de l’armée sous les ordres du général Nivelle, des baïonnettes Rosalie, un casque Adrian, des godillots cloutés, des boutons d’uniforme, des gourdes à double goulot… Les corps sont assurément des soldats de la Grande Guerre. Le docteur extrait des entrailles argileuses une paire de lorgnons et une petite fiole intacte d’alcool de menthe Ricqlès qui faisait office de remontant dans les tranchées. Elle est encore remplie à moitié de breuvage. «J’ai mis le nez sur le bouchon, ça sentait toujours la menthe », assure-t-il. La terre issue de la cavité, qui a été utilisée pour remblayer un espace 200 m plus loin, est également passée au peigne fin. Et là, miracle ! les ouvriers retrouvent une médaille métallique ovale de 3 cm de hauteur. Sur ce morceau d’alliage de zinc et d’aluminium figurent un nom et un prénom — Fournier Claude — ainsi que le nombre 1900. Il s’agit d’une plaque d’identité militaire avec année d’incorporation, portée généralement autour du cou et qui permettait de mettre un nom sur les poilus morts au front. Appartenait-elle à l’un des trois squelettes mis au jour ? Rien, à ce moment-là, ne permet de l’attester.

 

 - Les ouvriers retrouvent par miracle une médaille métallique ovale de 3 cm de hauteur. (PHOTO/DR) 

Sur les traces du petit-fils

Après des recherches, menées notamment par un journaliste de «l’Est républicain» passionné par la bataille de Verdun, mais aussi avec le coup de pouce du Souvenir français, le profil de Claude Fournier se précise. Sur sa fiche militaire, on apprend que ce sergent, pilier du 134 e régiment d’infanterie, est né le 27 novembre 1880 à Colombier-en-Brionnais (Saône-et-Loire) et qu’il est «mort pour la France le 4 août 1916 devant Douaumont». «Tué à l’ennemi», précise le document à la question «genre de mort».

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Grâce à un article dans la presse locale, le maire de Colombier-en-Brionnais, Jean-Paul Malatier, a vent de cette histoire hors normes qui touche son village de 300 âmes. Sur le monument aux morts de 1914-1918 de la commune est inscrit le nom de Claude Fournier aux côtés de 34 autres. L’édile de 58 ans se lance alors dans des pérégrinations généalogiques ardues. «Plus personne ne porte ce nom dans la commune et, quand j’interrogeais les anciens, cela ne leur parlait pas. Il faut dire que Claude Fournier a quitté jeune la commune pour travailler comme jardinier du côté de Lyon», raconte cet agriculteur.

Enquête génétique

Il finit par croiser la route d’une petite-nièce du soldat qui l’oriente sur la piste du petit-fils du défunt, Robert Allard, 75 ans, domicilié à Cannes (Alpes-Maritimes). Il l’appelle. Au bout du fil, son interlocuteur est ému : «Je suis tombé des nues. Dans la famille, on savait que mon grand-père maternel était mort à Verdun mais rien de plus. Alors, quand on vous annonce, même avec beaucoup de précautions, qu’on a peut-être retrouvé son corps un siècle après…», confie cet oenologue à la retraite. Il a immédiatement une pensée pour sa mère qui s’est éteinte en 2011 à l’âge de 101 ans. «C’était son grand regret de n’avoir jamais su où son père reposait.»

La présence de ce descendant direct permet d’entreprendre l’enquête génétique. A Verdun, sur autorisation du ministère de la Défense, le docteur Bruno Frémont et Tania Delabarde, anthropologue à l’Institut médico-légal de Paris, réalisent des prélèvements au niveau des fémurs et des dents des trois squelettes qui sont ensuite envoyés à une généticienne à Strasbourg (Bas-Rhin). De son côté, Robert Allard fait un prélèvement salivaire dans un laboratoire. Les tests sont comparés. Résultat : l’ADN du petit-fils est «compatible» avec celui de l’une des trois dépouilles. Le sergent Claude Fournier, matricule 04329, est donc formellement identifié.

La gendarmerie établit quatre portraits-robots

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Le poilu inconnu a désormais un nom. Mais il lui manque un visage. Robert Allard a possédé des photos de son aïeul rassemblées dans un carton dans son garage mais il a «tout perdu» lors des inondations d’octobre 2015 à Cannes. L’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), basé à Pontoise (Val-d’Oise), entre alors en scène. Dans un cadre légal défini par le procureur de la République, il procède à une reconstitution faciale. Le crâne conditionné sous scellés de Claude Fournier est scanné. Pas moins de 78 points de repère sont relevés sur cette représentation en 3D : profondeur des arcades sourcilières, hauteur des pommettes, tour de l’oeil… «A ce stade, on obtient un visage neutre, un peu comme les i-robots», compare le lieutenant-colonel Nicolas Thiburce. Le portrait-robot génétique, établi à partir d’une séquence ADN du soldat, qui délivre des marqueurs physiques fiables «à 95-96 %» comme la couleur de la peau (blanche), des yeux (bleus) et des cheveux (blonds), humanise ensuite le visage. Les données scientifiques ne permettent pas de «rendre l’expression» de la face, donc il y a forcément une part d’«interprétation subjective». Quatre têtes avec différents systèmes pileux (barbe, moustache) et coiffures sont proposées par les experts. Elles peuvent être finalement comparées avec la vraie. Car un cliché du sergent a, entre-temps, été retrouvé au fond d’une boîte à souvenirs par une cousine éloignée de Robert Allard. Il apparaît aux côtés de 14 camarades de régiment, avec chapeau et moustache. Il y a un petit air de famille avec l’un des portraits-robots de l’IRCGN. «Moi, spontanément, en regardant la photo, j’irais sur lui. Mais certaines personnes ne le reconnaîtront pas», concède l’officier supérieur, qui ne veut surtout pas donner l’impression que sa méthode est «révolutionnaire». Dans ce cas précis, elle permet de «rendre hommage au soldat Fournier» et d’enrichir le «devoir de mémoire». Il y a quelques jours, un commandant de gendarmerie a remis ce rapport à Robert Allard. Il en a eu les larmes aux yeux. «On ne peut pas dire que la ressemblance est flagrante. Mais cela redonne un peu de vie à mon grand-père. Pour moi, c’est un héros», encense-t-il.

Inhumé dans une tombe à son nom, un siècle après

 - Actuellement à l’ossuaire de Douaumont, les restes de Claude Fournier seront inhumés dans une tombe à son nom en présence de son petit-fils. (PHOTO/DR)

Grâce à cette longue enquête à rebondissements, Claude Fournier est sorti de l’anonymat. Et a eu droit aux honneurs de la République. Dès août 2016, le maire de Colombier-en-Brionnais (Saône-et-Loire) a organisé une «cérémonie du souvenir» à l’occasion du centenaire de la disparition de l’enfant du pays, de qui il est «plus que fier». Devant le monument aux morts, il a rappelé ses remarquables états de service. Le poilu fut, en effet, cité à l’ordre du régiment en 1915 parce qu’il était un «gradé énergique et dévoué, d’une grande bravoure». Des vertus qui lui permettront d’être décoré, quelques semaines avant son dernier souffle, de la médaille de la Croix de guerre. Son corps repose actuellement à l’ossuaire de Douaumont, à quelques encablures de Verdun. Le 21 février, date anniversaire du déclenchement de la bataille, la dépouille rejoindra le cimetière militaire tout proche. Claude Fournier sera ainsi inhumé et disposera de sa propre tombe prise en charge par l’Etat français. A ses funérailles seront présents son petit-fils et le premier magistrat de Colombier, Jean-Paul Malatier, qui a bien l’intention de faire le voyage avec des écoliers de Saône-et-Loire. «Il faut profiter de cette histoire pour rappeler à la jeunesse tout ce qu’ont réalisé ces milliers de héros de 1914-1918», insiste-t-il.

80 000 corps enfouis jamais retrouvés

Des soldats enfouis à l’instar des trois squelettes découverts en 2015, il y en aurait environ 80 000, français et allemands, dans les forêts aux abords de Verdun. Ces victimes, qui furent souvent recouvertes par les tirs d’obus, n’ont jamais pu être remises à leurs familles. Entre le 21 février et le 19 décembre 1916, la bataille la plus meurtrière de 1914-1918 après l’offensive de la Somme a fait 300 000 morts dont un peu plus de la moitié dans le camp français. Chaque jour, 1 000 militaires, en moyenne, perdaient ainsi la vie. A proximité de Verdun, l’ossuaire de Douaumont, inauguré en 1932, abrite les restes de 130 000 poilus inconnus. Dans les sépultures de l’immense nécropole voisine dorment en paix 16 000 héros tombés au champ d’honneur et qui, eux, ont été identifiés.

Source : Le Parisien

 

 

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