Ordre du jour n° 13 du Chef d’Etat Major des Armées – Analyse du Général Dominique Delawarde
Bonjour à tous,
Aujourd’hui, deux textes à votre attention.
Le premier est de ma composition. Il analyse et commente l’ordre du jour nmr 13 du CEMA, daté du 22 avril. Le CEMA engage ses subordonnés à dire la vérité, à « dire les choses, sans chercher à enjoliver la situation, par peur, flatterie ou paresse intellectuelle ». C’est ce que je m’efforce de faire dans cet article.
Le deuxième texte fait état d’un revirement important dans la position du monde politique italien sur la guerre en Ukraine. Il est daté du 11 mai et constitue peut être l’amorce d’un mouvement plus vaste en Europe. Son titre ?
L’Italie sera-t-elle le grain de sable dans la machine de « guerre permanente » de l’Otan ?
Bonne lecture
Général Dominique Delawarde
MINISTÈRE DES ARMÉES
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É T A T – M A J O R D E S A R M É E S
ordre du jour n° 13
du général d’armée Thierry Burkhard
Chef d’état-major des armées
Le CEMA: Officiers, sous-officiers, officiers-mariniers, soldats, marins et aviateurs, d’active et de réserve, personnel civil des armées,
Près de deux mois se sont écoulés depuis le début de l’attaque russe contre l’Ukraine, le 24 février dernier.
Après avoir été contrainte de se retirer de la région de Kiev, l’armée russe concentre désormais ses efforts dans le Donbass. Les buts politiques affichés de cette « opération militaire spéciale » ont été revus à la baisse, et la résistance des forces armées ukrainiennes continue.
Commentaires Général Dominique Delawarde (DD) : Il est inexact de dire que les forces russes ont été «contraintes» de se retirer de la région de Kiev. Elles l’ont fait, non pas sous la contrainte, mais parce que ces forces avaient parfaitement joué leur rôle d’abcès de fixation pour les forces ukrainiennes pendant que l’armée russe s’emparait sans difficulté du Sud Est de l’Ukraine. Ces forces avaient, désormais, mieux à faire à l’Est, pour entreprendre l’encerclement et la destruction du corps de bataille ukrainien déployé dans le Donbass. J’ajoute qu’en menaçant la capitale ukrainienne en début d’opération, les russes interdisaient le déclenchement de l’offensive contre le Donbass prévue par l’Armée Ukrainienne, concentrée à l’Est. On ne se lance pas dans une «aventure militaire » lorsque le cœur du régime est menacé.
S’agissant des buts de guerre russes qui seraient revus à la baisse, c’est l’exact contraire qui s’est produit. Les objectifs territoriaux proclamés par les russes en début d’opération se limitaient à la reconnaissance par le régime de Kiev de l’annexion de la Crimée et de l’indépendance des deux républiques du Donbass dans leurs frontières d’avant 2014. Désormais, les objectifs russes proclamés se sont étendus sur tout le littoral de la mer Noire et incluent la région d’Odessa et la région limitrophe de la Transnitrie. Les russes ont donc revus leurs buts de guerre à la hausse.
Quant à la résistance des forces ukrainiennes, force est de reconnaître qu’elle faiblit de jour en jour puisque les forces ukrainiennes reculent sur tous les fronts malgré l’aide colossale apportée par les 30 pays de l’OTAN en livraisons d’armes, en renseignement et même en conseillers et en mercenaires.
Le CEMA: «Bien peu d’entre nous avaient parié sur cette résistance farouche. Les Ukrainiens ont mis en échec une opération « coup de poing », qui visait à provoquer un changement de régime à Kiev. Alors que les combats se poursuivent, ces premières semaines d’affrontement ont d’ores et déjà livré de nombreux enseignements. Ce sont certains d’entre eux que je voudrais aborder ce matin, tant ils me paraissent importants dans l’exercice du métier militaire. Le premier d’entre eux, s’il est évident, n’en est pas moins essentiel : la guerre de haute intensité est de retour en Europe. »
Commentaires DD : Le CEMA prête aux russes des intentions en évoquant une « opération coup de poing visant à provoquer un changement de régime à Kiev», sans doute pour pouvoir dire que cet objectif n’a pas été atteint. D’où tient-il ces informations ? En outre, il oublie de dire que cette «résistance farouche» n’est pas le fait des seuls ukrainiens mais aussi celle des 30 pays de l’OTAN qui soutiennent très concrètement les forces armées ukrainiennes, et surtout celle des USA qui dirigent les opérations du côté ukrainien et qui sont à l’origine des rares coups d’éclat très médiatisés (naviral amiral de la flotte russe de la mer noire coulé). Sans l’assistance et le soutien actif de l’OTAN, les forces ukrainiennes qui ont pourtant fait leur mobilisation générale, alors que les russes ne l’ont pas faite, seraient déjà défaites depuis longtemps.
Le CEMA: «77 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, deux armées s’affrontent avec toute la puissance de leurs capacités : avions, chars, navires, missiles, artillerie, cyber… Vous qui servez la France, vous avez déjà été confrontés, parfois de très près, à la violence de la guerre et des combats. La nouveauté de la situation tient à la proximité géographique: des missiles russes frappent régulièrement l’Ouest de l’Ukraine, à moins de 1500 km de Paris. La guerre est là, plus proche que nous ne l’avons jamais connue.»
Commentaires DD :La guerre menée par une coalition de 13 pays de l’OTAN contre la petite Serbie lors du démembrement planifié par les USA de l’ex Yougoslavie, en 1999, était déjà une guerre de haute intensité avec 38 000 sorties aériennes et 78 jours de bombardement. Tout cela ne se passait pas si loin de nos frontières. Il y avait donc déjà une « proximité géographique ». Ce sont les bombes de l’OTAN, et non celles de la Russie, qui ont été larguées en premier sur le territoire européen, plantant par là l’une des graines dont nous récoltons les fruits en Ukraine aujourd’hui.
Le CEMA: «Pour nous, militaires français, cela signifie que nous devons nous y préparer. La probabilité d’un engagement majeur a considérablement augmenté et nous devons en tenir compte.
Notre préparation et la crédibilité qui en découle doivent nous permettre de gagner la guerre avant la guerre et, si les circonstances l’exigent, d’être prêts à nous engager dans un affrontement de haute intensité.
Commentaires DD : Le CEMA a raison lorsqu’il dit que la probabilité d’une guerre de haute intensité augmente, surtout lorsqu’une OTAN, devenue agressive depuis 1990 et voulant imposer et/ou conserver son hégémonie, sème le chaos un peu partout sur la planète depuis 30 ans, sous des prétextes fallacieux.
Le problème est que la préparation des armées à ce genre de conflit nécessite du temps qui se compte en années, voire en décennies (c’est cette préparation que Poutine a faite depuis plus de 20 ans). Il faut en effet, des équipements et des personnels en nombre et qualité suffisantes. Il faut aussi des budgets, une maintenance qui fonctionne, un entraînement adéquat, des réserves …etc … Toute chose que nous n’avons plus aujourd’hui à l’Ouest pour avoir trop engrangé, et pendant trop longtemps, les dividendes de la paix.
Il ne faut pas se leurrer. Si l’OTAN n’est pas entré en guerre aux côtés de l’Ukraine autrement que par des sanctions économiques, c’est que les américains et la composante UE de l’OTAN savent pertinemment que nous ne sommes pas en état de la gagner par des moyens militaires sans y laisser des plumes. Et que ces plumes laissées sur un champ de bataille européen nous manqueraient cruellement lors d’un affrontement avec la Chine qui ne manquerait pas de suivre.
Je rappelle à ceux qui l’ignorent, que la Russie et la Chine sont les deux adversaires désignés nommément dans le dernier concept stratégique de l’OTAN …..
Le CEMA: «Le deuxième enseignement est moins une redécouverte qu’une confirmation, celle du rôle crucial des forces morales. Ce sont d’abord les forces morales qui expliquent la remarquable résistance ukrainienne.»
Commentaires DD : Ne nous racontons pas d’histoires.La remarquable résistance ukrainienne ne s’explique que par le soutien intéressé des 30 pays de l’OTAN (Armes, finances, conseillers) et par la prise de commandement des forces ukrainiennes par un leadership américain qui apporte le renseignement sur les mouvements de troupes de l’adversaire et la suprématie dans la guerre de l’information et la propagande de guerre (à défaut de l’avoir sur le terrain).
Le CEMA: «Je ne pense pas uniquement aux combattants, dont le courage et la volonté ne sont plus à démontrer. Je pense également à la population, à la société ukrainienne dans son ensemble et à ses dirigeants. Unis dans le soutien à ceux qui combattent en leur nom, tous font preuve d’une résilience et d’une cohésion admirables.»
Les forces morales doivent être pour nous une préoccupation de tous les instants. Parce qu’elles ne surgissent pas du néant au moment du combat, elles doivent être forgées et entretenues en permanence. Faute d’avoir anticipé cette obligation, nous serions promis à la défaite.
Commentaires DD : Le CEMA semble avoir oublié que l’Ukraine est en situation de guerre civile depuis 8 ans et qu’il existe deux Ukraines et deux populations Ukrainiennes: celle de l’Ouest, pro-occidentale et celle de l’Est, pro-russe. Évoquer l’unité de la population derrière ses dirigeants relève donc d’une grossière erreur d’appréciation.
Oui, il y a bien eu une incroyable résilience de la population de l’Est de l’Ukraine qui a refusé d’abandonner sa culture et sa langue (le russe), souvent la seule qu’elle connaissait et qu’une gouvernance stupide et corrompue (par les occidentaux) voulait supprimer par décret.
Oui cette population de l’Est de l’Ukraine a fait preuve d’un courage et d’une volonté sans faille en résistant pendant 8 ans aux assauts et aux bombes de leur propre gouvernement au prix de milliers de vies.
Oui cette population de l’Est de l’Ukraine fait preuve de courage et d’une volonté sans faille en partant à la reconquête de ses territoires occupés par des bataillons de représailles avec le soutien de leur allié russe.
S’agissant de la population de l’Ouest de l’Ukraine, seul l’avenir nous dira si elle est résiliente ou non. Il faut attendre encore un peu …..
S’agissant des forces morales, le CEMA serait bien avisé de comprendre qu’on se bat avec beaucoup plus de coeur quand on croit en sa cause et qu’on défend sa sécurité et sa survie.
Je doute que les soldats occidentaux aillent se battre de gaité de coeur à 2 000 kms de leurs frontières pour certains, contre un adversaire qui ne les a ni agressé, ni menacé, mais qui, au contraire, leur a tendu la main à plusieurs reprises. Les chefs d’État occidentaux ont tous été mal élus et ne bénéficient pas d’un large soutien de leur population. En revanche, les russes sont unis derrière leur chef d’État à plus de 80%. Ils me semblent beaucoup plus aptes à résister, une fois de plus dans l’histoire, à l’agression d’un occident en déclin.
Le CEMA: «Le troisième enseignement porte sur l’importance de notions que nous connaissons bien, pour y être confrontés dans l’exercice du commandement : la franchise, la loyauté et, à l’opposé, le mensonge. Les chefs militaires russes ont menti.
À leurs dirigeants politiques d’abord, en leur laissant croire que l’efficacité opérationnelle de l’armée russe lui permettrait de remporter une victoire rapide en Ukraine. Force est de constater que le changement d’échelle, du modèle expéditionnaire de Syrie aux opérations massives d’Ukraine, est à ce jour un échec.
À leurs subordonnés ensuite, sur les buts de l’opération, sur la situation en Ukraine et pire encore, sur leur capacité à leur donner les moyens de remplir leurs missions. Or, et cela est apparu de manière flagrante, l’organisation et le commandement ont largement fait défaut.
Les unités russes ont notamment cruellement manqué d’une logistique et d’un soutien efficaces, au moins au début de la campagne. Ajoutées aux erreurs tactiques et opératives, ces faiblesses se sont avérées rédhibitoires. Elles ont sonné le glas des ambitions russes initiales.
Enfin – et ce n’est sans doute pas le moins grave –, les chefs militaires russes se sont également mentis à eux-mêmes.»
Commentaires DD : Entendre un général otanien disserter sur le mensonge est stupéfiant, voire abracadabrantesque et illarant. Il oublie que le mensonge est justement la marque de fabrique de l’OTAN reconnue aujourd’hui par la planète entière.
Faut-il rappeler à ce général français (donc otanien) le mensonge éhonté de son collègue le général US Colin Powell, ancien CEMA US, au Conseil de sécurité de l’ONU ? Mensonge qui s’est traduit par la mort de centaine de milliers d’êtres humains.
Faut-il lui rappeler le mensonge du faux massacre de Racak qui a justifié le bombardement de la Serbie pendant 78 jours ?
Faut-il lui rappeler le mensonge US (donc otanien), repris par les otaniens de tout poil, des couveuses du Koweït qui a justifié, lui aussi, une guerre meurtrière?
https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=l%27affaire+des+couveuses+au+kowe%C3%AFt
Faut-il lui rappeler la citation de Mike Pompeo, ancien officier US, ex major de West Point, reconverti dans l’industrie du mensonge: « Nous avons menti, triché, volé, c’est comme si nous avions reçu des stages de formation entiers pour le faire » ? (Voir la vidéo ci dessous).
https://www.france-irak-actualite.com/2020/04/mike-pompeo-et-l-arme-du-mensonge.html
Bref, en matière de mensonge, les généraux et responsables otaniens sont très, très, très mal placés pour donner des leçons au reste du monde en général, à la Russie en particulier. Il faut cesser de faire dans «l’inversion accusatoire». Les généraux otaniens ne sont plus crédibles, à l’échelle de la planète. Ils devraient en prendre conscience. Il leur suffirait de voyager un peu et/ou de lire les journaux africains, asiatiques, ou sud américains pour mesurer le mépris et la haine que leurs ingérences suscitent.
J’observe aussi qu’en 2022, les généraux russes savent encore donner leur vie pour leur pays en montrant l’exemple au contact de la troupe, comme le faisaient les généraux français sous Napoléon et même encore lors de la 1ère guerre mondiale. Plusieurs sont déjà tombés en Ukraine. Affirmer dans le confort de son bureau parisien que les officiers russes mentent à leur troupe est indécent et insultant pour ces officiers dont les anciens nous ont aidé à remporter les 2 guerres mondiales. Il n’y aurait jamais eu de victoire dans la guerre de 14 ou de débarquement en 1945 sans la contribution majeure des forces russes sur les fronts de l’Est. Il ne faut pas l’oublier.
Quant aux faiblesses attribuées au commandement russe, seule l’issue de la guerre qui l’oppose au régime de Kiev, soutenu par l’OTAN, permettra de le dire dans quelques mois. On jugera alors lequel du leadership russe ou du leadership otanien (qui dirige aujourd’hui les forces ukrainienne) est le meilleur. Pour l’instant, les affaires sont plutôt mal parties pour l’Ukraine et son allié otanien. Ni les sanctions économiques, ni les résultats militaires ne font pencher la balance en leur faveur.
Le CEMA: «Le devoir d’un militaire, qu’il soit chef ou subordonné – car on est toujours l’un et l’autre – est de dire la vérité ; dire les choses, sans chercher à enjoliver la situation, par peur, flatterie ou paresse intellectuelle. Face aux chefs, il consiste à présenter, en toute franchise, les limites et les faiblesses qui peuvent être les nôtres. Il implique, naturellement, de proposer des solutions.»
Envers nos subordonnés, il impose de donner du sens, à la mission comme aux sacrifices demandés, et consentis.
Ce devoir de vérité nous renvoie également à nos propres qualités : seule la plus grande franchise permet de préparer au mieux les temps difficiles, lorsqu’il faut livrer bataille. Je vous invite à faire vôtre cette phrase tirée du testament de Marc Bloch : « Je tiens la complaisance envers le mensonge, de quelques prétextes qu’elle puisse se parer, pour la pire lèpre de l’âme. »
Vous savez déjà tout cela. Mais nous savons également combien facile et tentant il peut être de se laisser aller. L’exigence doit être permanente ! Notre mission ne nous donne pas le droit à la faiblesse, et je ne connais pas de meilleure façon de progresser que de chercher, partout, tout le temps, à hausser le niveau d’exigence.
Commentaires DD: Dire la vérité à son chef sans peur, sans flatterie, sans paresse intellectuelle, comme le CEMA engage instamment ses subordonnés à le faire, c’est l’objet de mes commentaires ci dessus. Comme il faut, dit-il, proposer des solutions, les miennes sont simples:
1 – Prendre ses distances avec une OTAN qui veut s’ériger en shérif de la planète, alors qu’elle aurait dû disparaître après la dissolution du pacte de Varsovie, une OTAN qui est devenue agressive depuis 1990 (1 million de bombes larguées en 30 ans et plusieurs millions de morts liés directement ou indirectement à ses ingérences), et une OTAN dont toutes les opérations militaires sont directement liées aux seuls intérêts des USA et au maintien de son hégémonie. Relire à cet égard le très court article du général d’Armée (2S) Jean René Bachelet intitulé: La guerre en Ukraine et le crépuscule de l’Occident. https://www.place-armes.fr/post/la-guerre-en-ukraine-et-le-cr%C3%A9puscule-de-l-occident
2 – Prendre ses distances, à l’instar de certains généraux italiens, vis à vis d’une guerre qui n’est pas la notre, http://www.politique-actu.com/actualite/ukraine-otan-revolte-generaux-italiens-notre-guerre-disons/1820041/, ni celle de l’OTAN puisqu’aucun des États membres de l’OTAN n’a été agressé, Ne pas prendre partie dans une guerre de sécession entre deux Ukraines, celle de l’Est et celle de l’Ouest, dont les populations ne souhaitent manifestement plus vivre ensembles.
Quant à donner du sens, à la mission comme aux sacrifices demandés, et consentis, il va falloir faire fort pour tenter de convaincre la totalité des quelques milliers de soldats vraiment opérationnels et disponibles qui nous restent, d’aller se faire tuer en Ukraine, dans le cadre de l’OTAN, pour les seuls intérêts des USA et de leur marionnette Zélenski.
Le CEMA: Je sais pouvoir compter sur vous. Vous démontrez au quotidien, en état-major et en unité opérationnelle, toutes vos qualités. Les ordres nationaux et les décorations qui ont été remis ce matin récompensent l’engagement d’officiers et de sous-officiers remarquables, tout entiers consacrés au service de la France.
Je vous félicite une fois encore. Ce que nous apprend la guerre en Ukraine, c’est que nous avons changé d’époque, d’échelle et d’enjeux. Chacun doit faire le nécessaire pour s’y préparer. Le moment venu, nous n’aurons pas le droit de ne pas être au rendez-vous.
Paris, le 22 avril 2022
Commentaires DD: Wait and See, en espérant qu’il n’y aura pas, demain, trop de décorations à titre posthume.
Général Dominique Delawarde
L’Italie sera-t-elle le grain de sable dans la machine de « guerre permanente » de l’Otan ?
[(Alors que le Premier ministre italien Mario Draghi et le président Joe Biden se rencontraient mardi à la Maison-Blanche, l’unité de façade qu’ils ont tenté d’afficher est sur le point de voler en éclat, tant l’opposition progresse en Italie contre la stratégie de « guerre permanente » de Londres et Washington — y compris dans les rangs des partis composant la majorité, faisant planer la possibilité d’une chute du gouvernement…)]
Mario Draghi pourrait en effet se retrouver privé de gouvernement à son retour des États-Unis. Car, tandis que Biden a pressé le Premier ministre italien à accroître le soutien militaire à l’Ukraine, les choses ont basculé en Italie.
Alors que le Parlement avait auparavant approuvé la décision de Draghi sur l’envoi d’armes, le groupe de députés s’y opposant, initialement minuscule, est devenu majoritaire en quelques jours. A l’origine, seuls la gauche radicale et de petits groupes au sein du M5S (Mouvement cinq étoiles), de la Lega et du Parti démocrate (PD) lui-même s’opposaient à cette décision. Cependant, depuis les déclarations du pape contre « les aboiements de l’Otan à la porte de la Russie », la situation a radicalement changé. Le M5S, dirigé par l’ancien Premier ministre Giuseppe Conte, et la Lega, dirigée par Matteo Salvini, sont désormais publiquement opposés à de nouvelles livraisons d’armes et favorables à une négociation de paix. L’opposition au sein du PD, dirigée par l’ancien ministre Graziano Delrio, a pris de l’ampleur au point que la direction du PD, pro-Otan, a changé de camp, sans doute dépassés par les événements. https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/03/pret-a-rencontrer-poutine-le-pape-evoque-les-aboiements-de-l-otan-a-la-porte-de-la-russie_6124644_3210.html
Chose remarquable, parmi les artisans de ce basculement, l’on retrouve l’homme d’affaires Carlo De Benedetti, considéré comme l’oligarque ayant créé le Parti démocrate italien. Deux jours après l’intervention du Pape, De Benedetti a accordé un long entretien au quotidien Corriere della Sera, appelant à découpler la politique étrangère italienne (c’est-à-dire de l’UE) de l’axe Washington-Londres. Il a notamment mis en garde contre les conséquences imminente de la crise alimentaire, déclarant que des millions de réfugiés, forcés de choisir entre la famine et le risque de se noyer dans la Méditerranée, vont envahir l’Italie depuis l’Afrique.
Comme dans un effet domino, le secrétaire général du PD, Enrico Letta, a ensuite donné une interview au même journal, s’écriant : « l’Italie, la France, l’Allemagne, l’Espagne et la Pologne doivent maintenant se déplacer, unis, pour la paix. Allez d’abord à Kiev, puis rencontrez Poutine. Nous ne devons pas nous laisser guider par les États-Unis, l’Europe est assez grande. Cette guerre se déroule en Europe et c’est à l’Europe d’y mettre fin ».
Le Parlement a ensuite exigé d’être informé par le Premier ministre avant sa visite à Washington, ce que Draghi a ignoré. C’est pourquoi il risque d’être confronté à son retour à une majorité sur le papier qui rejettera tout ce que Biden aurait pu lui demander. Cela ne signifie pas forcément que le gouvernement tombera, mais a minima il en sortira très affaibli – de même que l’unité de l’Europe derrière les États-Unis.
De plus, l’opposition contre la stratégie anglo-américaine monte également parmi les militaires italiens. Dans un entretien publié par l’Antidiplomatico et relayé sur notre site, le général italien Fabio Mini, ancien chef d’état-major du Commandement de l’Otan pour l’Europe du Sud, appelle à dissoudre l’Alliance pour créer une nouvelle structure de sécurité régionale, rejoignant ainsi l’appel de l’Institut Schiller publié dès le début de la guerre en Ukraine.
https://solidariteetprogres.fr/actualites-001/un-general-italien-appelle-a.html?var_mode=calcul*
Par ailleurs, le général Marco Bertolini (à la retraite), ancien commandant du quartier général des opérations interarmées, a exprimé de fortes critiques à l’encontre du secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg. Alors que ce dernier a récemment déclaré que « les membres de l’Otan n’accepteront jamais l’annexion de la Crimée », Bertolini a affirmé que Stoltenberg ferait mieux de se taire sur des sujets qui dépassent ses compétences.
« Nous devons comprendre que la Crimée est une ressource indispensable pour Poutine, parce qu’elle est principalement habitée par des Russes, et surtout parce qu’elle garantit l’accès à la mer Noire, a-t-il expliqué dans une interview avec Il Fatto Quotidiano. La déclaration de Stoltenberg démontre que la Crimée est le point le plus sensible de la question. Le problème est que Stoltenberg ne peut pas parler au nom de Zelensky. Il est le secrétaire général de l’Otan, qui est une organisation supranationale et, pour commencer, il ne peut même pas parler au nom d’un seul pays, d’autant plus que l’Ukraine ne fait pas partie de l’Alliance ».
Face au risque imminent d’affrontement direct entre la Russie et les États-Unis, la dissolution de l’Otan et son remplacement par une nouvelle architecture de sécurité est une urgence absolue. Puisse les développements en Italie en être l’étincelle…
Source : Solidarité et progrès
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