Le général Christian Rodriguez, n°2 de la gendarmerie et candidat au poste de directeur général est un vétéran de la guerre psychologique menée en 2010 contre le forum « gendarmes et citoyens ».
Etrange télescopage de l’histoire récente de l’institution, le n°2 de la gendarmerie, Christian Rodriguez serait pour certains « le candidat idéal » pour succéder à son patron, le général Lizurey à l’automne prochain. Pourquoi pas ? Chacun est libre de ses opinions et le pouvoir exécutif libre de ses choix, sous réserve de les éclairer par des faits.
Alors, souvenons-nous de l’époque pas si lointaine où la gendarmerie avait donné le jour à ses propres « gilets jaunes ». Ils débattaient alors de l’avenir de l’institution sur la toile, c’est à dire sur le forum « gendarmes et citoyens » créé par l’adjudant Mickael Le Potier en 2007.
A l’occasion de sa fermeture en 2013, le journaliste Xavier Sidaner avait résumé l’affaire sur le site Acteurs publics :
« Petit retour en arrière. On est en avril 2007. Un groupe de gendarmes lance un site pour permettre à leurs collègues de France et de Navarre d’échanger en toute liberté sous couvert d’anonymat. Dans ce monde fermé où la parole est ultra surveillée, la démarche séduit rapidement et fait le buzz. En six mois, le nombre d’inscrits bondit d’une petite cinquantaine à quelque 7 000 membres.
Ce fulgurant succès n’enthousiasme que moyennement le ministère de la Défense. Au point que quelques semaines après l’ouverture du forum, le directeur général de la gendarmerie missionne l’un des membres de son cabinet pour infiltrer le forum. Christian Rodriguez, officier supérieur et aujourd’hui conseiller de Manuel Valls, inscrit sous le pseudonyme Childéric, se connecte plusieurs fois par jour et apporte ses commentaires. Manque de chance, la tonalité un peu trop “voix de son maître” de ses messages piquent la curiosité des modérateurs, qui ont tôt fait de le démasquer. »…
De son côté, David Servenay avait dès 2010 consacré un article à cette guerre psychologique et à l’agression verbale dont avait été victime Ronald Guillaumont, lors de la diffusion d’un reportage sur Canal+ :
« Les adresses IP remontent à la direction générale
Les limiers de la modération se mettent en chasse. Surprise, ils découvrent qu’ Armagedon partage la même adresse IP que deux habitués du forum, enregistrés sous les pseudos Clovis 1er et Childéric. Or, ces deux avatars sont en réalité d’éminents officiers du cabinet de la direction générale de la gendarmerie !
Ronald Guillaumont s’est donc fendu d’une lettre ouverte au Premier ministre, pour réclamer justice :
« Le conseil d’administration de l’association et moi-même en venons à conclure que la direction générale de la gendarmerie nationale ne se contente pas de surveiller ce qui se dit sur ce forum, mais qu’elle a missionné des officiers pour qu’ils portent la désinformation et la contestation institutionnelle pendant leurs heures de service. »
En clair, une cellule de guerre psychologique activée au sein même de la direction générale, rattachée au ministère de l’Intérieur. Au cabinet du ministre de la Défense, on souligne prudemment qu’il faut distinguer les agissements privés d’un individu de celui d’un officier en service commandé.
L’accusation fait bondir le général Jean-Philippe Ster, patron du Sirpa gendarmerie :
« A aucun moment, la direction générale ou le cabinet du ministre n’a donné de directive ou de consigne dans un sens pareil. Les propos tenus sur un forum engagent leurs auteurs et uniquement eux. S’ils sont avérés, ce n’est pas admissible. En tout cas, le cabinet du Premier ministre ne nous a pas sollicités sur ce sujet. »…
A l’heure où les gendarmes manifestent leur mécontentement face aux réformes en cours, les vieilles habitudes des « psy-ops » semblent revenir à la vitesse du buzz au galop… »
Finalement, on ne sait pas si, à l’époque, le colonel Rodriguez intervenait sur ordre ou d’initiative ?
Et puis, ce même officier n’a jamais caché son peu de dilection pour les associations professionnelles. Ainsi le 30 mai 2010, il écrivait sur le forum :
Petit problème : en octobre 2014, la CEDH a condamné la France pour son refus d’autoriser les militaires à s’associer pour défendre leurs intérêts professionnels (Adefdromil contre France Req : n°32191/2009 et Matelly c France Req : no 10609/2010.
En 2015, une loi bien timide modifiant le code de la défense a donc permis la création d’associations professionnelles nationales de militaires.
La Gendarmerie en compte actuellement deux : l’Association Gend XXI et l’Association « Gendarmes et Citoyens », qui ont du mal à se rendre audibles tant le système a été verrouillé. On ne les a pas beaucoup entendues pendant la crise des « gilets jaunes » -contrairement aux syndicats de police- sur l’engagement et la fatigue des gendarmes mobiles et les justes compensations attendues.
Néanmoins, l’une d’entre elles a vu sa constitution de partie civile reconnue recevable dans le cadre d’une affaire de violences contre des gendarmes lors des manifestations par le Tribunal de grande instance de Dijon.
Nul ne contestera que les forces de l’ordre sont aujourd’hui épuisées. Ainsi, le nombre de suicides tant dans la Police que dans la Gendarmerie s’est situé en 2018 à un niveau jamais constaté jusqu’alors et le début de l’année 2019 confirme cette tendance auto-destructrice.
C’est dire que le dialogue social et que la prévention des risques psycho-sociaux sont plus que jamais des sujets incontournables.
C’est d’autant plus vrai que « L’Essor de la Gendarmerie» indique, dans un article publié sur son site le 4 février dernier que :
« L’APNM Gendarmes & citoyens a été saisie à plus de 800 reprises par des gendarmes en 2018, contre 450 en 2017. C’est l’un des chiffres révélateurs de l’activité de l’association professionnelle nationale de militaires de la Gendarmerie qui conforte manifestement, d’année en année, sa présence au sein de l’Arme, avec en particulier des adhésions en hausse de 21 % en 2018. »
Le général Lizurey, directeur général pour quelques mois encore a récemment souligné combien la concertation est indispensable au bon fonctionnement de la Gendarmerie, en pensant probablement à l’avanie qui avait résulté des manifestations de gendarmes en 2001.
L’engagement quasi idéologique en 2010 du colonel Rodriguez, fils de gendarme, contre le « Forum Gendarmes et Citoyens » et contre le concept d’associations professionnelles, ainsi que ses interventions sur ordre ou d’initiative pour perturber les échanges sur le forum et tenter d’imposer la vision officielle conduisent à se demander si, devenu général, il est bien l’homme de dialogue, dont la Gendarmerie a indiscutablement besoin pour panser ses plaies et maintenir le cap ? Chassez le naturel…
En un mot, est-il bien « le candidat idéal », comme l’a déclaré L’Essor en janvier dernier ?
On doit se poser la question, y compris en haut lieu.
Jacques Bessy.
Colonel (e.r) de la gendarmerie
Avril 2019
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