LBD, munitions, grenades : les armes du maintien de l’ordre sont-elles vraiment toutes classées ?
© KENZO TRIBOUILLARD Source: AFP enquête Un policier armé d’un LBD 40, à Paris, le 1er mai 2019 (image d’illustration).
Les armes à létalité réduite utilisées par les forces de sécurité intérieure ont-elles toutes bénéficié d’une décision de classement, comme le prévoit la loi ? Selon un concepteur de LBD interrogé par RT France, ce ne serait pas le cas. Enquête. Les armes dites non-létales, moins létales ou à létalité réduite, actuellement en dotation pour les polices nationale, municipale et la gendarmerie ont-elles suivi le parcours nécessaire avant d’être utilisées sur le territoire national ? Selon Gaël Guillerm, président du bureau d’études breton RedCore qui conçoit notamment des lanceurs de balle de défense, plusieurs armements de forces intermédiaire utilisés par les forces de l’ordre n’auraient jamais bénéficié d’un arrêté de classement.
En tant que fabricant d’armes, Gaël Guillerm a mené sa propre enquête auprès de l’administration pour faire homologuer ses produits. RT France l’a rencontré le 10 décembre à Lorient pour évoquer, notamment, son initiative. En l’espèce, une pétition destinée à provoquer un débat national sur la notion de létalité réduite, avec, à terme, une refonte du Code de sécurité intérieure. Car «l’inventeur» breton, tel qu’il se qualifie lui-même, n’en démord pas : il considère que ce code qui encadre notamment l’armement des forces de sécurité souffre, à son sens, d’une grande obsolescence. L’entrepreneur basé près de Lorient estime même que la notion de létalité réduite est «absente du droit français», et que «c’est une exception». Selon lui, la puissance de sortie de la munition à la bouche du canon d’un lanceur de balles de défense n’est pas définie, de même que la proportion de produit irritant contenu dans une grenade lacrymogène. Mais surtout, interrogé par RT France, Gaël Guillerm entend dénoncer trois éléments qu’il considère comme des écueils pour ces armements déployés en maintien de l’ordre. Premièrement, le «couple arme munition» composé par le LBD40-GL06 de l’industriel suisse Brügger & Thomet et de la munition CTS (du nom du fabricant américain Combined Tactical Systems), ne serait pas le bon et pourrait expliquer une partie des blessures occasionnées en manifestation. C’est aussi l’explication qu’a fournie le fabricant helvète suite à la polémique liée à l’emploi de cette arme en France. Deuxièmement, Gaël Guillerm veut s’adresser aux membres des forces de l’ordre : «C’est à chaque fois la responsabilité du policier de terrain qui est automatiquement et injustement engagée, parce qu’il a fait usage de matériel qui fonctionne mal, c’est vraiment la définition des lampistes.»
Troisièmement, le président de RedCore est manifestement très en colère après ce qu’il appelle «l’economic system», qui graviterait autour du ministère de l’Intérieur et qui serait, à son sens, propice à un fonctionnement administratif arbitraire : «Un industriel pour un même produit va avoir un classement dans une catégorie, l’autre qui n’a pas la carte aura un classement dans une autre catégorie.» Le Code de la sécurité intérieure prévoit le classement, mais a-t-il eu lieu ? La controverse que soulève Gaël Guillerm sur la question du classement des armes est sujette à débat d’un point de vue juridique, mais le point sur lequel il met le doigt ne manque pas d’intriguer : si le Code de la sécurité intérieure précise bien de manière générique dans son article D211-17 que les LBD 40mm sont censés être classés dans la catégorie A2 – propre aux armes de guerre telles que les obusiers et les canons – ni lui ni RT France n’ont été en mesure de trouver l’arrêté de classement correspondant à celui qu’utilisent la police nationale et la gendarmerie – le fameux LBD 40 Grenade Launcher-06 développé par Brügger & Thomet. Idem pour la grenade lacrymogène MP7 du français Nobel Sport. Ce type de munition, couplée au lance-grenades Cougar 56mm du français Alsetex (groupe Etienne Lacroix), est utilisé par les forces de l’ordre françaises et selon une enquête vidéo du journal Le Monde, c’est ce projectile que le Gilet jaune Manuel Coisne a reçu dans l’œil le 16 novembre sur la place d’Italie à Paris. A cet égard, Gaël Guillerm fait une préconisation inattendue : «Victime et tireur [policier ou gendarme], dans certains cas, doivent faire front commun.» Car, à son sens, c’est la relation entre l’administration et les fabricants d’armements à létalité réduite qui a mené à certaines blessures. Et le président de RedCore va jusqu’à dire : «Le Code de la sécurité intérieure prévoit qu’avant toute utilisation et mise en service chaque arme et chaque munition doivent avoir une autorisation. Dans notre enquête, on a découvert que 80% des armes utilisées par les forces de l’ordre, moins létales ou létales, le sont en toute illégalité.»
Force est de constater que les demandes journalistiques en ce sens, aussi bien auprès des fabricants que des autorités administratives, se heurtent à un grand mur de silence. Sollicités par RT France, plusieurs industriels et distributeurs français et suisses ont préféré ne pas répondre. C’était d’ailleurs la politique affichée par le stand d’Alsetex sur le salon Milipol à Villepinte au mois de novembre 2019 où un panneau annonçait «no interview». Même résultat auprès des experts de la Direction générale de l’armement qui s’occupent notamment des armes classées en A2. Par ailleurs, si on peut facilement trouver les arrêtés de classement pour certains modèles du fameux Flash-Ball développé par l’entreprise française Verney-Carron (pas pour le nouveau modèle modifié SuperPro2, pourtant vendu aux polices municipales, selon nos informations), mais également pour les lance-grenades Cougar et Chouka, développés par Alsetex, RT France n’a donc pas été en mesure de trouver celui concernant le LBD 40 GL-06 du suisse B&T… Et pour cause : ainsi que l’a reconnu lui-même un expert de la DGA auprès du conseil de Gaël Guillerm dans un courrier que RT France a pu consulter, «il n’existe pas d’arrêté de classement du LBD 40 de Brügger et Thomet.» Et de justifier : «En effet, toute décision de classement ne fait pas l’objet d’un arrêté.» L’explication tient-elle ? Elle n’est en tout cas pas immédiatement vérifiable et après avoir consulté plusieurs avocats, dont certains représentent des Gilets jaunes blessés, RT France n’est pas parvenu à obtenir une réponse claire.
En revanche, dans un courrier du ministère de l’Intérieur adressé au juge des référés du Conseil d’Etat le 4 octobre 2019, dont RT France a pris connaissance, il est clairement expliqué : «Un fabricant d’arme ne saurait mettre sur le marché un modèle qu’il a développé sans que ce modèle ait, au préalable, fait l’objet d’une décision de classement.»
La décision de classement de ce très polémique lanceur de balles de défense, initialement conçu comme un lanceur de grenades, a-t-elle bien eu lieu ? Pourquoi dans ce cas n’y a-t-il pas eu d’arrêté de classement ? Dans l’attente d’une réponse claire des autorités administratives à cet égard, le point soulevé par Gaël Guillerm demeure… en suspens. Et selon lui, cette absence de réponse pourrait, le cas échéant, déboucher sur de nouvelles voies de recours pour les personnes qui ont subi de graves blessures irréversibles au cours de cette année de crise sociale. Contactés par RT France, les avocats de certaines de ces personnes ont dit réfléchir à cette possibilité.
Source : RT France
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